COLD CASE - C’est un mystère vieux de 52 ans en Italie : qui a mis la main sur la Nativité du Caravage dans l’oratoire San Lorenzo de Palerme ? Le 20H de TF1 retrace l'étonnante histoire du vol de ce tableau.
"La Nativité avec saint François et saint Laurent" a probablement été peinte en 1609, un an avant la mort de son auteur, Michelangelo Merisi da Caravaggio, plus connu en France sous le nom du Caravage. Mettant en scène une naissance du Christ, le tableau haut de 2.70 mètres et large de 2 mètres surplombait l’autel de l’oratoire San Lorenzo de Palerme, lorsqu’il a été dérobé dans la nuit du 17 au 18 octobre 1969. Les voleurs se seraient aussi emparé d’un tapis, probablement pour enrouler la toile, découpée dans son cadre avec précision.
À l’oratoire San Lorenzo, le traumatisme est intact. "Avoir volé la Nativité, comment a-t-on pu commettre une telle infamie ?", se lamente le père Cosimo Scordato, prêtre du diocèse de Palerme, dans le reportage du 20H de TF1 en tête de cet article, réalisé en Sicile. "Une naissance, un bébé, une maman, poursuit-il. C’est impossible de se faire une raison. Et pourtant cela a bien eu lieu".
Le larcin n’était pas trop risqué : en 1969, l’oratoire de Palerme n’était guère surveillé que par un concierge. À l'époque, quelques mois avant les faits, le prêtre de la paroisse avait d’ailleurs essayé en vain d’empêcher un reportage de la télévision italienne sur ce "chef-d'œuvre oublié", dont il redoutait qu’il ne donne des idées à des voleurs. Très vite, c’est la mafia qui a été soupçonnée du vol. Quelques mois après celui-ci, un fragment de toile avait été adressé au prêtre, accompagné d’une demande de rançon, soit exactement le mode opératoire de Cosa Nostra pour un kidnapping. Les autorités n’avaient pas donné suite, et la piste s’était éteinte.
Confessions d'un repenti : le tableau a-t-il été brûlé ?
Plusieurs années après les faits, la toile refaisait parler d’elle lors des confessions d’un repenti de la mafia. Surnommé Mozzarella, à la fois pour son amour du fromage et pour son teint blafard, Francesco Mannoia a commencé à la fin de 1989 à parler au juge anti-mafia Giovanni Falcone, qui le tenait pour un "témoin intelligent et fiable". Il lui a alors avoué faire partie de la petite bande qui avait dérobé le tableau en 1969 - au milieu d’une litanie de crimes beaucoup plus sanglants. Mozzarella s’était mis à parler pour échapper à une vengeance de Salvatore Riina, chef redouté de Cosa Nostra.
Un vol commis par la mafia... ou par des amateurs ?
"Mannoia devait avoir 17 ans", témoigne un ancien policier anti-mafia, "avec un complice, ils auraient découpé la toile, puis l’auraient enroulée et emportée dans un petit camion”. "Il m’a raconté", poursuit Maurizio Ortolan qui a participé aux interrogatoires, "avoir montré le tableau à un marchand d’art suisse, mais en le déroulant, beaucoup de fragments de peinture se sont détachées, et la toile était fichue. Alors les voleurs l’auraient brûlée".
De nombreuses versions se sont succédé depuis. Pour certains carabiniers impliqués dans l’enquête, le souvenir de "Mozzarella" est erroné, et il confond avec un autre vol de tableau. Celui du Caravage aurait été perpétré par des voleurs amateurs, effectivement incités par le reportage de la RAI. La mafia aurait en fait "intercepté" la toile lorsque ces profanes ont cherché à la vendre. C’est un chef de la mafia- pas toujours le même selon les versions- qui aurait récupéré le chef-d'œuvre du Caravage pour lui-même, et pour l’exposer lors des réunions des parrains de Cosa Nostra.
Mangée par des rats et des cochons ?
D’autres histoires circulent sur le destin de cette toile, qui n’a jamais cessé de hanter les Siciliens : elle aurait été mangée par des rats et des cochons dans la ferme où elle était cachée, ou détruite lors d’un tremblement de terre, ou bel et bien vendue à un riche collectionneur qui ne peut, de fait, pas se faire connaître. Les autorités italiennes continuent d'enquêter et d’espérer une nouvelle piste, et même le FBI a inscrit la toile parmi sa liste des œuvres les plus activement recherchées. Sur le marché actuel, la Nativité du Caravage vaudrait au moins 100 millions d’euros.
La toile a bien été reconstituée en 2015, grâce à une technologie numérique de pointe, et réinstallée au-dessus de l’autel de l'oratoire San Lorenzo. Mais le cadre vide de la toile d’origine a été conservé dans une autre salle, et c’est devant lui que le président de l’association des musées siciliens lance un appel à la conscience de celui qui possèderait actuellement la toile : "Ça s’est passé il y a 52 ans", argumente Bernardo Tortorici, "donc celui qui a la Nativité est sans doute à la fin de sa vie. S’il m’écoute, qu’il vienne soulager sa conscience devant le bon dieu, il est temps de le faire, que cela puisse se terminer comme dans un conte de fées, qu’il rende ce tableau aux habitants de Palerme, à l’humanité et au Caravage".