"Bataille de la feta" : la Grèce gagne un nouveau round contre le Danemark

Maëlane Loaëc (avec AFP) | Reportage TF1 : Mathilde Guénégan et Lucas Lassalle
Publié le 14 juillet 2022 à 18h50

Source : JT 20h WE

Le pays méditerranéen défend ardemment sa paternité sur la feta, fromage frais qui s'arrache à travers la planète.
Depuis une vingtaine d'années, seuls les producteurs grecs peuvent accoler l'appellation à leurs fromages.
Le Danemark, qui avait tenté d'outrepasser la règle, vient d'être rappelé à l'ordre par la justice européenne.

C'est un bras de fer que la Grèce prend très au sérieux. Et qu'elle remporte une nouvelle fois : le Danemark a été défait ce jeudi devant la Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE). Copenhague a manqué à ses obligations européennes en laissant ses producteurs continuer à exporter du fromage sous l'appellation d'origine protégée "feta", a tranché la justice, après une requête soutenue par Athènes, aux côtés de Chypre.

La feta, produit-phare de l'été et mets incontournable d'un menu méditerranéen, est une appellation protégée au niveau européen depuis 2002. Dans un arrêt de 2005, la justice de l'Union européenne avait réservé aux seuls producteurs basés en Grèce le droit d'appeler "feta" l'emblématique fromage de brebis, dont la pâte trempée dans la saumure donne ce goût prononcé. Un recours avait été déposé par le Danemark et l'Allemagne, soutenus par la France et la Grande-Bretagne. Deux ans plus tard, les producteurs grecs étaient les seuls à pouvoir s'arroger l'appellation d'origine protégée (AOP).

Mais dans les faits, le fromage est si populaire à travers le monde et la demande si forte, que le Danemark avait depuis laissé ses producteurs de fromage continuer à utiliser l'appellation quand ils exportaient en dehors de l'UE. De quoi pousser la Commission européenne, soutenue par la Grèce et Chypre, à saisir la justice. 

Plusieurs bras de fer, toujours de mauvaises pratiques

Et la Cour lui a donné raison : le pays scandinave aurait dû "prévenir et arrêter une telle utilisation commise sur son territoire", selon un communiqué de la CJUE, établie au Luxembourg. En vertu de ses règles, Copenhague "doit se conformer à l’arrêt dans les meilleurs délais", sans quoi un nouveau recours peut être envisagé, avec cette fois la menace de sanctions pécuniaires à la clé. Toutefois, elle a toutefois estimé que le Danemark n'avait pas enfreint ses obligations de "coopération loyale" dans ce dossier. 

Ce n'est pas la première bataille que livre la Grèce ces dernières années pour protéger son appellation. En 2015, elle s'était déjà insurgée contre un amendement de l'accord de libre-échange conclu entre l'Europe et le Canada deux ans plus tôt, lui reprochant de ne pas garantir une protection suffisante de la feta. Quelques années plus tôt, en 2009, la Société des Caves de Roquefort avait été condamnée à Paris à verser 100.000 euros de dommages et intérêts à un distributeur français de feta grecque pour avoir conservé la mention "feta" sur certains de ses produits. Derrière cette entreprise, le groupe Lactalis, l'un des plus importants producteurs de feta française, sous la marque Salakis.

Encore aujourd'hui, le Danemark n'est pas le seul à continuer à produire du fromage estampillé "feta" sur son sol. Chaque année, la Grèce exporte environ 40.000 tonnes de ce fromage, alors que la demande mondiale est 13 fois plus importante. En France, on trouve parfois dans les rayons des supermarchés quelques emballages trompeurs : à bien y regarder, on découvre que le fromage vendu est en fait fabriqué dans notre pays ou en Allemagne, à partir de lait de vache, trois fois moins cher que celui de brebis. Les barquettes sont pourtant vendues à des prix similaires à ceux de la véritable feta grecque. 

"Ma feta est unique"

Alors que la recette traditionnelle, elle, repose sur 70% de lait de brebis et 30% de lait de chèvre. C'est celle qu'utilise Nikos Memmos, producteur grec installé dans la région de Kalamata, où les brebis sont plus nombreuses que les habitants. "Elles sont toutes en liberté et mangent ce qu'elles trouvent, c'est qui va donner à notre feta son bon goût", expliquait-il l'an passé dans le reportage du 20H de TF1 en tête de cet article, au cœur des paysages secs et ensoleillés des montagnes du Péloponnèse

Dans son atelier, il ne produit pas plus de 70 tonnes de fromage par an, et n'exporte que 14 tonnes vers la France. "Ma feta est unique : j'utilise les mêmes techniques que mon grand-père. On produit peu, en prenant notre temps, ce qui ne serait pas du tout rentable pour les industriels", se targuait-il. "La feta artisanale est facilement reconnaissable car son goût est doux, un peu prononcé, c'est la meilleure. Le fromage français, lui, est un peu fade, mais il convient pour cuisiner", arbitrait pour sa part Aris Tsanaklidis, chef cuisinier à Athènes dans le restaurant Kuzina.

La majeure partie de la feta qui nous arrive de Grèce est en réalité produite de façon industrielle, notamment dans les usines du groupe Dodoni, l'un des leaders du marché, qui produit environ cinq tonnes par jour. Mais l'entreprise a toutefois réussi à conserver certaines traditions, comme la conservation de la feta deux moins durant dans de larges tonneaux de bois. Pour ne plus vous laisser tromper, que vous préfériez un fromage artisanal ou industriel, vous serez dans tous les cas assuré qu'il vient de Grèce dès que le label AOP figure sur l'emballage.


Maëlane Loaëc (avec AFP) | Reportage TF1 : Mathilde Guénégan et Lucas Lassalle

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