Démontrer que des crimes de guerre ont été perpétrés nécessite une longue enquête.Il faut recueillir des éléments concrets, des témoignages et des photos.Avant même la diffusion des images de massacres de civils à Bouchal, des enquêteurs et des ONG documentent déjà les exactions qu'auraient commises les forces russes contre des civils ukrainiens.
Les récits d'atrocités affluent, au fur et à mesure que les forces ukrainiennes reprennent le contrôle des zones abandonnées par l'armée russe, autour de Kiev et de Tcherniguiv. Les civils ont été piégés ici pendant plus d'un mois, à la merci de l'occupant. Des corps par dizaines dans des fosses communes, d'autres disséminés sur la route d'Irpin, en banlieue de la capitale ukrainienne, comme on peut le constater dans la vidéo de TF1 en tête de cet article. Et peut-être plus de quatre-cents civils tués à Boutcha, selon les autorités locales. À Marioupol, la ville portuaire toujours assiégée, les quelque 150.000 civils qui y sont bloqués n'ont plus d'eau, ni de nourriture, depuis des semaines, laissant présager un bilan effroyable.
Le sort réservé aux civils alerte la communauté internationale, et les accusations de "crimes de guerre" se multiplient. Tels que les définit le droit international, les crimes de guerre comprennent les attaques intentionnelles contre des civils, les actes de torture, la déportation, les violences sur les prisonniers de guerre, ainsi que les viols.
On compte souvent les morts, mais rarement les viols
Père Patrick Desbois
Ceux-ci seraient déjà nombreux, d'après le père Patrick Desbois. "Maintenant, les témoignages commencent à sortir, donc on va commencer une vraie enquête sur le sujet", explique à TF1 ce prêtre français spécialiste de l'étude des crimes de masse. "Ce n'est pas facile et souvent des viols sont considérés comme des dommages collatéraux", déplore-t-il, "malheureusement, on compte souvent les morts, mais rarement les viols". En Ukraine, son association recueille des témoignages avec le maximum de précisions possibles. L'enjeu est souvent de démontrer que les civils ont été visés intentionnellement, pour la qualification de crime de guerre : la proximité d'une base militaire ou de combats permet à l'agresseur d'invoquer les fameux "dommages collatéraux".
Remonter la chaîne de commandement
Des détails indispensables, qui sont ensuite confiés à des enquêteurs officiels, comme le colonel Éric Émeraux, ancien chef de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité (OCLCH). Ce Français a enquêté sur des crimes de guerre commis en Bosnie et au Rwanda. Tous les éléments récupérés peuvent servir à retrouver les coupables, et à retracer la chaîne de commandement. "On va pouvoir remonter au régiment en question, lequel est dirigé par un commandant de batterie, et au-dessus un commandant de régiment, etc. Et on remonte la chaîne hiérarchique comme ça jusqu'en haut". Mais cela prend beaucoup de temps.
#Ukraine : ⚠️Les forces russes ont commis de graves abus dans des zones occupées – exécutions sommaires, viol – devant d'urgence faire l’objet d’enquêtes en tant que crimes de guerre.👉 https://t.co/EOqz2eHZNW pic.twitter.com/Yma5B37xzS — HRW en français (@hrw_fr) April 3, 2022
Des ONG internationales comme Human Rights Watch s'activent pour documenter les possibles crimes de guerre, recueillant les témoignages dès maintenant, avant qu'une enquête de terrain soit possible pour les recouper. HRW rapporte des "violations des lois de la guerre par des forces militaires russes à l'encontre de civils", allant de viols répétés à des exécutions sommaires, dans les zones occupées de Tcherniguiv, Kharkiv et Kiev. "Les cas que nous avons documentés témoignent d’une cruauté et d’une violence indicibles et délibérées, à l’encontre des civils ukrainiens", témoigne Hugh Williamson, un des dirigeants de Human Rights Watch dans un premier rapport détaillé de l'ONG.
Mais le processus prend beaucoup de temps, entre les crimes et la condamnation éventuelle de leurs auteurs. "On parle là de 5, 10, 15, 20 ou 25 ans", prévient le colonel Émeraux. Et même près de 30 ans pour certains bourreaux du Rwanda. Et il faudra surtout que les autorités russes ou ukrainiennes, selon la nationalité des coupables, acceptent de les livrer.