Vidéo de Ouïghours sur le quai d'une gare en Chine : les clés pour comprendre ces images

Publié le 22 juillet 2020 à 10h26, mis à jour le 24 juillet 2020 à 15h40

Source : Sujet TF1 Info

GLACANT - Une vidéo montrant le déplacement de détenus dans le plus grand secret dans la province du Xinjiang en Chine est reparue sur divers réseaux sociaux ces derniers jours suscitant des réactions internationales indignées dont celle de la France. La Chine dénonce elle des "mensonges". Les explications de Jean-Philippe Béja, politologue spécialiste de la Chine.

C'est une vidéo  qui vient de réapparaître sur les réseaux sociaux mais qui a été postée sur YouTube le 17 septembre dernier par le compte anonyme "War on Fear" (soit "guerre à la peur"). Ces images, prises par un drone montrent une gare avec un convoi à l’arrêt, des prisonniers, la tête rasée, un bandeau sur les yeux, les mains liées derrière le dos, surveillés par des hommes armés. Transférés où ? A l’intérieur du Xinjiang et vers d’autres provinces chinoises ? La destination reste floue. 

Cette vidéo repasse sur le devant de la scène dimanche dernier. L'ambassadeur de Chine à Londres est invité sur la BBC pour parler de Huawei et de la 5G. Mais le journaliste interroge le diplomate sur cette vidéo. Désarçonné, il se contente de remettre en cause l'origine des images.

Qui sont les Ouïghours ?

Les Ouïghours, principalement musulmans et parlant pour la plupart une langue turcique, constituent l'un des 56 groupes ethniques en Chine. Ils représentent un peu moins de la moitié des 25 millions de personnes vivant au Xinjiang, immense territoire semi-désertique du nord-ouest chinois longtemps frappé par des attentats meurtriers, attribués par Pékin à des séparatistes et des islamistes.

Ce que l'on sait

Partagée par plusieurs personnalités sur les réseaux sociaux ces derniers jours, les Français découvrent pour beaucoup à la fois ces images et la question de la minorité ouïghoure en Chine. Musulmans pour la plupart, ils parlent une langue apparentée au turc, et constituent l'un des 56 groupes ethniques en Chine. Ils représentent un peu moins de la moitié des 25 millions de personnes vivant au Xinjiang, immense territoire semi-désertique du nord-ouest chinois longtemps frappé par des attentats meurtriers, attribués par Pékin à des séparatistes et des islamistes. Au moins un million de ces musulmans sunnites seraient internés dans ces camps d'endoctrinement dans le nord-ouest de la Chine, selon des organisations de défense des droits humains et selon une étude publiée fin juin par la Jamestown Foundation.

"Certaines personnes de ces minorités sont envoyées dans ces camps pour des infractions assez minimes : se laisser pousser la barbe, refuser de manger du porc, avoir le coran à la maison, faire ses prières, donner des prénoms ouïgours à ses enfants..." explique à LCI Jean-Philippe Béja, politologue spécialiste de la Chine. "Il suffit d’appartenir à ces minorités et de continuer à pratiquer sa culture pour être passible d’envoi dans ces camps." Sur place, "on doit apprendre le chinois, chanter des chansons vantant les vertus du communisme, déclamer des odes à la gloire du parti, travailler et être détenu dans des conditions difficiles", poursuit-il. 

Cela a commencé avec la société civile chinoise, cela continue de façon encore plus violente avec les Ouighours, cela se poursuit avec une répression à Hong Kong. Demain, à qui sera le tour ?"
Jean-Philippe Béja, spécialiste de la Chine

"Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, les choses se sont considérablement détériorées en Chine", affirmeJean-Philippe Béja. Le 30 avril 2014, pour le dernier jour de déplacement du chef d'Etat dans le Xinjiang, un attentat à la bombe a fait un mort et 79 blessés à Urumqi, la capitale de la province. Le président chinois a ainsi donné l'ordre d'être "sans aucune pitié" contre le terrorisme et le séparatisme dans cette région à majorité musulmane. 

La même année, "l'arrivée d'un nouveau secrétaire du parti va durcir la donne", souligne le politologue. A savoir, "Chen Quanguo, ancien militaire et haut cadre du Parti communiste chinois, qui se retrouve à la tête de la province du Xinjiang et, ayant fait ses armes au Tibet par une répression assez forte, devient l'exécutant d'une politique d'extermination de l'opposition." Ainsi, depuis 2017, le Parti communiste chinois mènerait activement une campagne d’assimilation et de détention forcée des minorités ethniques (Ouïghours, Kazakhs, Kirghizes…) pour les parquer dans ce qu'il appelle des "centres de formation professionnelle", qui seraient "destinés à aider la population à trouver un emploi et à l'éloigner ainsi de l'extrémisme".

Vingt-trois Etats - dont l’Allemagne, l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la France et le Japon - ont demandé à la Chine "de toute urgence [de s’abstenir] de détenir arbitrairement des Ouïghours et d’autres membres des communautés musulmanes", l’enjoignant à "respecter ses lois nationales, ses obligations internationales et ses engagements pour le respect des droits de l’homme - dont la liberté de croyance - dans le Xinjiang et à travers la Chine".  Les Etats-Unis via le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, ont publiquement condamné mercredi 27 mars les "internements arbitraires" infligés aux Ouïghours. 

Ce mardi, le gouvernement français a lui aussi réagi. Une pratique "révoltante et inacceptable, et nous la condamnons fermement", a déclaré le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire, sur France Info. Interrogé lors des questions au gouvernement, le ministre de l’Europe des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a, de son côté, demandé "à ce que la Chine permette l’accès des observateurs indépendants internationaux" dans la zone du Xinjiang. 

Pour autant, Jean-Philippe Béja ne comprend pas pourquoi l’Union européenne, dans son ensemble, se montre "si discrète sur le sujet" : "On a des intérêts en Chine mais la Chine ne peut agir aussi impunément. Cela a commencé avec la société civile chinoise, cela continue de façon encore plus violente avec les Ouighours, cela se poursuit avec une répression à Hong Kong. Demain, à qui sera le tour ?


Romain LE VERN

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