INTERVIEW - Lors d'un meeting organisé ce week-end en Arizona, Donald Trump a montré les muscles. Mais l'ancien président américain est loin de rassembler derrière lui en vue de l'investiture en 2024, explique Jean-Eric Branaa, spécialiste des États-Unis.
Un discours très offensif, mais un poids politique loin d'être acquis : lors de son premier meeting de l'année tenu samedi dernier en Arizona, l'ancien président américain Donald Trump a étrillé le gouvernement de son successeur Joe Biden et a affirmé que les Républicains allaient récupérer le pouvoir. "Cette année, nous allons reprendre la Chambre, nous allons reprendre le Sénat, nous allons reprendre l’Amérique, c’est tellement important. Et en 2024, nous allons reprendre la Maison Blanche", a-t-il proclamé face à une foule de quelques milliers de personnes.
L'ancien locataire de la Maison-Blanche s'en est pris plus largement aux "politiciens de Washington" qui cherchent à "contrôler" les vies des Américains selon lui, tout en affirmant à nouveau que son camp avait remporté les élections présidentielles contre Joe Biden - une affirmation encore jamais prouvée. Malgré ces saillies, Donald Trump est loin de peser dans les élections de mi-mandat, prévues en novembre, et encore moins de prétendre aux élections présidentielles de 2024, analyse Jean-Eric Branaa, maître de conférences en sciences politique à Paris II-Assas et spécialiste des États-Unis.
Donald Trump a-t-il affiché des ambitions quant aux élections présidentielles de 2024 lors de son meeting ?
Je ne le pense pas. Il dit que son camp va reprendre la Maison Blanche, mais il n’a pas dit que ce sera grâce à lui. Ce qui est sûr, c’est qu’il se maintient dans le circuit, mais on voit surtout quelqu'un qui n’a pas digéré sa défaite, qui ne l’accepte pas et aimerait que ceux autour de lui fassent la même chose.
Mais son meeting n’a pas été dirigé uniquement contre les Démocrates : il s'en est aussi pris aux Républicains qui ont voté pour son impeachment (sa destitution, suite à l’assaut du Capitole par ses partisans le 6 janvier 2020, ndlr) et ceux qui ont certifié la victoire de Joe Biden, dont le gouverneur d’Arizona lui-même, Doug Ducey. Donald Trump a annoncé que si celui-ci se présentait aux élections sénatoriales, il n’aurait pas son soutien, au même titre que d'autres gouverneurs républicains. Or si on veut être candidat en 2024, on ne commence pas à attaquer autant de monde dans son propre camp.
Par ailleurs, ce n’est plus le Donald Trump de la campagne de 2016 : j'ai le sentiment que c'était un meeting crépusculaire, sans aucune proposition. Il commence aussi à être âgé, et il traîne beaucoup de casseroles, ne serait-ce que les problèmes judiciaires - même si l'enquête au sujet de l'assaut contre le Capitole ne le vise pas personnellement. Et puis, il y a ce signe assez terrible : le public ne grimpait qu’à 8000 personnes, alors qu'un raz-de-marée de 60/000 à 70.000 personnes était annoncé, d’autant que l’Arizona est un état très conservateur. Même Fox News n’a pas diffusé le meeting en direct ! Je pense donc qu'il ne se lancera sûrement pas dans une campagne en 2024. Il faudra attendre son prochain meeting prévu 29 janvier au Texas pour mieux en juger, mais je pense qu’il ne fera pas mieux.
"Son retour en force n'est pour l'heure qu'un fantasme médiatique"
Jean-Eric Branaa, maître de conférences en sciences politique à Paris II-Assas et spécialiste des États-Unis
Fait-il encore autorité au sein de son propre parti ?
Beaucoup de Républicains élèvent la voix contre lui, à commencer par le leader des sénateurs républicains, Mitch McConnell, auquel l’ancien président s’en est aussi pris lors de son meeting. Au niveau de la Chambre des représentants en revanche, les députés se taisent plus facilement car le soutien de Donald Trump est utile pour l'emporter dans des États où le vote entre démocrates et républicains est serré et où il y a de très nombreux candidats républicains. Mais même sur ce processus électoral, il ne pèse pas tant, car il n’a donné que 93 soutiens sur les près de 20.000 votes prévus lors des élections de mi-mandat, tous postes présentés et tous niveaux rassemblés. Et sur ces 93 soutiens, 60 vont à des gouverneurs ou sénateurs, donc des gros postes dont les sortants sont sûrs d’être élus et n’ont pas besoin de l'appui de Donald Trump.
Par ailleurs, ceux à qui il apporte son soutien ne semblent pas être les favoris pour le moment. En Géorgie par exemple, un État traditionnellement républicain, Donald Trump a apposé au gouverneur sortant Brian Kemp un candidat, mais celui-ci n'arrive qu'à 50% des intentions de vote dans les sondage. On ne peut donc pas dire pour le moment que Donald Trump va être un faiseur de rois lors de ces primaires, même s'il va tenter d'y être influent. Pour moi, il ne pèse pas dans le parti aujourd'hui, il n’a aucun réseau, aucune possibilité de faire élire des gens.
Il faut aussi noter que l'on peut d'ores et déjà pronostiquer une victoire des Républicains à la chambre des représentants, mais cela repose plutôt sur un mécanisme technique que sur l'éventuelle influence de Donald Trump : le récent recensement de la population a révélé qu'il y avait plus d'États détenus par des républicains, donc ils pèsent plus lourd dans le vote. Et puis, à l'horizon 2024, on voit déjà de potentiels candidats républicains monter très fortement, comme Ron DeSantis, le gouverneur de Floride, qui critique Donald Trump tous les jours et gagne des places dans les sondages. Donald Trump peut se battre contre un, mais pas six, sept ou huit candidats. Il me semble donc que son retour en force n'est pour l'heure qu'un fantasme médiatique.
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Peut-il encore jouer sur l'affirmation que les élections étaient volées, ce qu'il a martelé tout au long de son discours, pour regagner du terrain ?
Il est vrai que selon les sondages, 44% des Américains pensent toujours qu’il y a eu une tricherie. Mais c'est surtout le signe d'une défiance générale vis-à-vis du groupe politique. Il y a une coupure entre les gens qui vivent leur vie de tous les jours, et ceux qui font de la politique depuis Washington.
Car pour autant, 60% des Américains ne veulent pas que Donald Trump revienne, même parmi ceux qui le soutenaient. Aujourd’hui, le fait que la violence se soit installée aux États-Unis déplaît à tout le monde, et tous souhaitent y mettre fin. Comme après une chute, la douleur est vive et personne ne veut retomber, même si la société est encore divisée. Même au sein des Républicains, on ne veut plus se ranger du côté de celui qui se fâche, même si on pense qu'il a raison.
Et puis, il y a une révolution dans la pensée aux États-Unis en quatre à cinq ans. La vice-présidente démocrate Kamala Harris s'impose de plus en plus : elle est une présidentiable possible dans la tête des gens. Aujourd’hui, dans l'opinion publique, plus personne n’est contre l’arrivée d’une femme à la présidence. Le plafond de verre a explosé, alors qu'il y a quatre ans à peine, Hillary Clinton déclarait elle-même que sa position de femme était un frein à l’accès à la présidence. Par ailleurs, Kamala Harris est jeune, et le camp républicain voudra lui opposer un candidat également jeune, plutôt qu'un Donald Trump, qui a déjà 75 ans. On est passé dans un autre monde.