Un barrage d'envergure situé près de la ville de Kherson, dans le sud de l'Ukraine, a été partiellement détruit pendant la nuit, laissant s'écouler à haut débit les flots du fleuve du Dniepr.Kiev et Moscou se renvoient la responsabilité de la destruction.Les autorités ukrainiennes sont particulièrement préoccupées, craignant de vastes inondations dans la région.Depuis des mois déjà, le barrage faisait l'objet d'inquiétudes.
L'infrastructure avait déjà été endommagée au mois de novembre, mais jamais éventrée de la sorte. Le barrage hydroélectrique de Nova Kakhovka, dans la région de Kherson dans le sud de l'Ukraine, a été partiellement détruit dans la nuit de lundi à mardi. Il s'agit de l'une des plus importantes infrastructures du pays, située sur le Dniepr. Sur les premières images de l'incident qui nous parviennent, à retrouver dans la vidéo en tête d'article, l'on découvre les eaux du fleuve s'écoulant à très haut débit à travers une large brèche dans le barrage, sectionné sur plusieurs mètres de long.
Kiev et Moscou s'accusent mutuellement
Pris dès le début de l'invasion car cible prioritaire des Russes, ce barrage hydroélectrique est aujourd'hui sur la ligne de front entre les régions contrôlées par la Russie et le reste de l'Ukraine. Kiev et Moscou se renvoient la responsabilité de la catastrophe. Le dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky a convoqué son Conseil de sécurité. Fustigeant sur Twitter des "terroristes russes", il a affirmé que "la destruction du barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka ne fait que confirmer au monde entier qu'ils doivent être expulsés de tous les coins du territoire ukrainien". "Les terroristes ne pourront pas arrêter l'Ukraine avec de l'eau, des missiles ou quoi que ce soit d'autre", a poursuivi le président ukrainien, qui a précisé au passage que "tous (s)es services" sont mobilisés sur le dossier.
Russian terrorists. The destruction of the Kakhovka hydroelectric power plant dam only confirms for the whole world that they must be expelled from every corner of Ukrainian land. Not a single meter should be left to them, because they use every meter for terror. It’s only… pic.twitter.com/ErBog1gRhH — Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) June 6, 2023
"La Russie a détruit le barrage de Kakhovka, provoquant probablement la plus grande catastrophe technologique que l'Europe ait connue depuis des décennies et mettant en danger des milliers de civils", a fustigé pour sa part le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba, dénonçant un "crime de guerre odieux". Kiev a réclamé dans la journée une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU, et a qualifié la Russie d'"État terroriste" devant la Cour internationale de justice.
Pour les Ukrainiens, il s'agirait d'une tentative de bloquer la route à leur armée, qui prépare depuis des mois une contre-offensive, en rendant la traversée encore plus difficile en cas de progression dans cette région partiellement contrôlée par les Russes. Kiev a d'ores et déjà accusé les forces russes d'avoir voulu détruire le barrage pour "freiner" son avancée. "L'objectif des terroristes est évident : créer des obstacles pour les actions offensives des forces armées" ukrainiennes, a estimé Mykhaïlo Podoliak, conseiller à la présidence ukrainienne.
Du côté de Moscou, le maire russe de Nova Kakhovka, Vladimir Leontiev, a mis en cause une "grave attaque terroriste" auprès de l'agence de presse russe Tass, laissant entendre que l'Ukraine était aux manettes. "Vers 2 heures du matin, il y a eu un certain nombre de frappes répétées sur la centrale hydroélectrique de Kakhovka, qui ont détruit les vannes (…) En conséquence, l’eau du réservoir de Kakhovka a commencé à être déversée en aval de manière incontrôlable", a-t-il déclaré, cité par Le Monde. "Le barrage n'est pas détruit et c'est un bonheur immense", a-t-il toutefois indiqué sur Telegram.
Selon les agences de presse russes, des tirs d'obus ont provoqué la destruction du barrage. Le Kremlin, lui, a dénoncé un acte de "sabotage délibéré" de Kiev et rejeté "fermement" les accusations ukrainiennes. "L’ennemi essaie de répandre la désinformation, de s’absoudre de la responsabilité d’un autre crime", s'est défendu le ministère de l'Intérieur ukrainien.
80 communes menacées d'inondations
En amont, à 150 km de là, l'eau du fleuve retenue jusqu'alors servait à refroidir la centrale nucléaire de Zaporijia, sous contrôle russe, tandis qu'en aval, se trouve la ville de Kherson, reprise par les forces ukrainiennes aux Russes, et plusieurs autres communes alentours. Le réservoir d'eau alimente aussi la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014. Les Ukrainiens craignent de nombreuses inondations dans la région, qui semblent déjà avoir débuté dans certains secteurs.
Selon Oleksandre Prokoudine, chef ukrainien de l'administration militaire de la région de Kherson, plusieurs villages ont d'ores et déjà été "complètement ou en partie" inondés et "environ 16.000 personnes se trouvent en zone critique" à l'heure actuelle. Ce scénario catastrophe avait été abondamment documenté et modélisé depuis des semaines, puisque le barrage disposait d'une très large contenance : 18 millions de mètres cubes, autrement dit 7200 piscines olympiques.
The second image here shows the likely consequences of blowing up the Kakhovka dam, including putting much of Kherson – a city Putin declared was part of Russia not nine months ago! – under water https://t.co/lKYE8natIT — max seddon (@maxseddon) June 6, 2023
"L’ampleur de la destruction, la vitesse et les volumes d’eau, ainsi que les zones d’inondation probables sont en cours de clarification", a indiqué sur Facebook le commandement sud des forces armées ukrainiennes, cité par Le Monde. De son côté, le chef de l’administration militaire régionale Oleksandr Prokudin a affirmé ce mardi matin peu avant 7 heures que "l’armée russe a commis un nouvel acte de terreur", et averti que l’eau atteindrait des "niveaux critiques" dans les cinq heures à venir. En octobre déjà, Volodymyr Zelensky s'était inquiété devant le Conseil de l'Union européenne d'une possible explosion du barrage, estimant que "plus de 80 localités, dont Kherson, se retrouveront dans la zone d'inondation rapide".
De premières évacuations lancées
Des évacuations ont d'ores et déjà été ordonnées par le ministère de l'Intérieur ukrainien, qui a appelé les habitants de dix villages qui se trouvent sur la rive droite du fleuve et de certains quartiers de la ville de Kherson à rassembler leurs affaires et à partir. Confirmant les prédictions de Volodymyr Zelensky, le Premier ministre ukrainien Denys Chmygal a indiqué que jusqu'à 80 localités sont menacées par l'inondation et annoncé que "des mesures d'évacuation sont en cours" par train vers la ville de Mykolaiv. Elles s'effectuent sous les bombardements continus de l'artillerie russe qui ont blessé deux policiers, selon le ministre de l'Intérieur Igor Klymenko.
L'agence de presse russe Tass, citée par The Guardian, estime également, en citant les services d'urgence, que 80 localités pourraient être touchées par des inondations. La ville de Nova Kakhovka, où se trouve le barrage, "est inondée", selon son maire. Mais les autorités russes semblent dans l'ensemble moins inquiètes que celles ukrainiennes. La montée d'eau a été constatée dans plusieurs localités situées à proximité du barrage sans que la situation devienne critique, selon l'administration de la région de Kherson, installée par la Russie.
"S'il le faut, nous sommes prêts à évacuer les habitants des villages riverains", a déclaré dans un communiqué sur Telegram le chef du gouvernement de la région, Andreï Alekseïenko, en soulignant tout de même que leur vie n'est pas menacée et appelant à "ne pas céder à la panique". Au total, les "territoires côtiers" de 14 localités où résident "plus de 22.000 personnes" sont menacés d'inondation, mais "la situation est entièrement sous contrôle", a-t-il assuré, affirmant même qu'aucune grande localité n'est menacée d'inondation.
Quant à la centrale de Zaporijia, le danger de catastrophe nucléaire "augmente rapidement" selon Kiev : "Le monde se retrouve une fois de plus au bord d'une catastrophe nucléaire, car la centrale nucléaire de Zaporijjia a perdu sa source de refroidissement", s'est inquiété Mykhaïlo Podoliak. L'exploitant ukrainien du barrage, Ukrgidroenergo, a estimé que le réservoir "devrait être opérationnel durant les quatre prochains jours" mais son niveau décroît rapidement, menaçant le système de sécurité de la centrale.
Les autorités d'occupation russe ont estimé en revanche que le site n'était pas menacé. Le directeur de la centrale, Iouri Tchernitchouk, installé par l'occupation russe, a assuré qu'"à l'heure actuelle il n'y a pas de menace" pour la sécurité de l'installation. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'instance de contrôle de l'ONU, a confirmé qu'il n'y avait "pas de danger nucléaire immédiat", mais son directeur général Rafael Grossi a toutefois souligné que les dégâts au barrage "provoquent actuellement une diminution de l'ordre de cinq centimètres par heure" au niveau de son réservoir.
Ce barrage d'une hauteur de 30 mètres pour une longueur de 3,2 km avait été construit en partie en béton et en terre sur le Dniepr en 1956, pendant la période soviétique. Sa puissance est de 334,8 mégawatts (MW), selon la société ukrainienne exploitante, Ukrhydroenergo. Cible prioritaire des Russes, il avait été pris dès le début de l'offensive de Moscou en Ukraine.
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