Le barrage de Kakhovka, dans le sud de l'Ukraine, a été en partie détruit ce lundi.Kiev et Moscou s'incriminent mutuellement.Quel serait l'intérêt militaire pour la Russie d'une telle attaque ? Pierre Servent, éditorialiste géopolitique de TF1/LCI, nous éclaire.
Ce lundi matin, le barrage hydroélectrique de Kakhovka (Ukraine), dans la région de Kherson partiellement occupée par la Russie, a été en partie détruit. Une attaque aux conséquences directes : la ville de Nova Kakhovka, sous contrôle russe, est désormais inondée, et des inquiétudes demeurent pour la centrale nucléaire de Zaporijia, située plus au nord.
Kiev accuse Moscou d'être à l'origine de cette attaque, tandis que la Russie pointe la responsabilité de l'Ukraine. Quel pourrait être l'intérêt stratégique militaire de détruire une telle infrastructure ? Pierre Servent, éditorialiste géopolitique de TF1/LCI et expert en stratégie militaire, répond à TF1info.
L'Ukraine accuse la Russie d'avoir partiellement détruit le barrage hydroélectrique de Kakhovka. Quel serait l'intérêt pour Moscou ?
L'intérêt premier pour la Russie est d'abord militaire. En inondant la zone jusqu'à Kherson, libérée par les Ukrainiens l'année dernière, cela fige cette partie du front et empêche les Ukrainiens de lancer une offensive pour libérer le reste de l'oblast de Kherson. Stratégiquement, dans l'esprit du Kremlin, cet événement est donc susceptible de freiner la contre-offensive. Par ailleurs, l'intérêt pour le Kremlin est aussi de terroriser : la Russie pratique la terreur depuis les premiers jours de la guerre. Avec cette destruction, elle monte d'un cran dans cette politique. Cela peut aussi annoncer d'autres événements gravissimes.
Les premières images indiquent que les explosions viennent de mines à l'intérieur du barrage
Pierre Servent
De son côté, Moscou accuse Kiev d'être à l'origine de la destruction, et fustige un acte de "sabotage délibéré"...
Cela n'a pas beaucoup sens : pourquoi l'Ukraine enverrait-elle une vague dévastatrice pour une partie de sa population ? Plusieurs éléments permettent de rejeter les accusations de Moscou. Dès l'année dernière, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait accusé les Russes d'avoir miné ce barrage. D'après les premières images, les cassures sur les blocs encore debout sont franches et nettes. Cela indique que les explosions viennent de mines à l'intérieur du barrage. Si les Ukrainiens avaient voulu le détruire, ils auraient procédé à des frappes par des missiles de croisière ou de l'artillerie. En aucune façon, ils n'auraient pu poser à l'intérieur du barrage, sous surveillance russe, des centaines de kilos d'explosifs. Tout cela va dans le sens de désigner Moscou comme responsable.
Ce barrage est au centre du conflit depuis octobre dernier. En quoi est-il si important ?
Il s'agit d'un barrage hydroélectrique qui permettrait de fournir de l'électricité. Surtout, son immense retenue d'eau alimentait la centrale nucléaire de Zaporijia, et était indispensable au refroidissement des réacteurs. Même si elle est actuellement en maintenance, elle a toujours besoin d'eau. Toutefois, les Russes se tirent aussi une balle dans le pied : il est possible que le canal de Crimée, qui est relié au barrage et alimente la région en eau potable, devienne inopérant. Avec cette destruction, les Russes mettent donc potentiellement en difficulté la Crimée occupée.
La destruction de telles infrastructures est-elle classique lors de guerres ?
Oui, il existe plusieurs exemples dans l'histoire militaire. Cette destruction est d'ailleurs assez conforme à l'esprit soviétique qui anime le pouvoir actuel. Pendant la deuxième Guerre mondiale, les Soviétiques ont parfois procédé à ce type d'opérations afin de bloquer l'avancée allemande, comme en 1941 du côté de Dnipro (à l'époque Dnipropetrovsk). Encore plus tôt, au 17e siècle, les Hollandais avaient aussi fait sauter des digues dans le but de ralentir l'avancée des troupes françaises.
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