Interview

Massacre de Boutcha : "Nous continuons à découvrir des corps, dans des ruelles, des arrière-cours"

Publié le 4 avril 2022 à 17h54, mis à jour le 4 avril 2022 à 18h03

Source : JT 13h Semaine

Les images du massacre commis à Boutcha ont provoqué la condamnation de la communauté internationale.
Moscou a rejeté les accusations, dénonçant des vidéos manipulées.
Sur place, notre grand reporter, Michel Scott, revient sur ce qu'il a vu dans cette ville martyre.

C'est un massacre qu'ont découvert les soldats ukrainiens en rentrant dans Boutcha. Cette ville située à 60km à l'ouest de Kiev était, encore très récemment, occupée par les troupes russes. Sur le chemin de leur retraite, des corps. Ceux de civils abattus alors qu'ils étaient à vélo ou à pied, avec leurs sacs de provisions.

La communauté internationale condamne ce crime de guerre quand le Kremlin, de son côté, réfute "catégoriquement toutes les accusations", assurant que des signes de "falsifications vidéo" et des "fakes" avaient été détectées par leurs experts dans ces images. Présent à Boutcha, Michel Scott, grand reporter à TF1, nous raconte ce qu'il a constaté sur le terrain. 

Nous continuons à découvrir des corps, dans une ruelle déserte ou une arrière-cour
Michel Scott, grand reporter à TF1

Quelle a été votre immédiate impression, une fois arrivé dans ces rues jonchées de cadavres ?

Immédiatement, on a eu la sensation d’entrer dans une ville martyre. Les bâtiments, les rues portent encore les traces de combats extrêmement violents et intenses. Des carcasses de véhicules, de blindés calcinés entravaient le passage, du matériel russe, mais aussi ukrainien, témoignent de la puissance de feu engagé des deux cotés. Mais on a surtout été frappé par le nombre de civils morts. Beaucoup ont, semble-t-il, été abattus par des mitraillages aveugles le long des rues, des gens que l’on a retrouvés fauchés sur le trottoir, devant chez eux, ou sur leur vélo. Nous avons aussi découvert des civils exécutés froidement ou d’autres, encore, tués après avoir été torturés. On parle de 300, 400 morts, mais les autorités et nous-mêmes continuons à découvrir des corps, dans une ruelle déserte ou une arrière-cour. On ressent profondément ce qu’a été la période d’occupation russe avant que l’armée ukrainienne ne reprenne le contrôle de la ville. 

Les soldats ukrainiens constatent douloureusement ce qui se disait sur la brutalité des Russes
Michel Scott, grand reporter à TF1

Face à l’ampleur des massacres, comment réagit l'armée ukrainienne ?

Il n’y a pas de sidération. On a plutôt l'impression que les soldats ukrainiens constatent douloureusement ce qu’ils savaient déjà, ce qui se disait sur la brutalité des troupes russes. Nous aussi, depuis plusieurs jours, nous entendions des récits d’exactions menées dans ces zones de combats par l'armée russe, mais nous n’en n’avions pas la preuve. À présent, les soldats ukrainiens veulent montrer les choses : ils emmènent les équipes de journalistes jusqu’à leur président (Volodymyr Zelensky s'est rendu sur place ce lundi, ndlr) pour dire "regardez ce dont ils sont capables", "regardez qui sont vraiment nos ennemis". 

Pour accréditer l’hypothèse d’un mensonge, il faudrait une organisation du mensonge colossale
Michel Scott, grand reporter à TF1

Votre expérience de grand reporter depuis des années sur tous les terrains de conflit vous a enseigné qu’il faut aussi garder la tête froide et continuer à vérifier l’information. Vous êtes-vous interrogé sur ce qu’il s’est passé à Boutcha ?

 On sait qu’on peut, parfois, essayer de nous manipuler. En l’occurrence, rien dans ce que nous avons vu ici ne nous permet de penser à une mise en scène. Face à des massacres, on peut s’interroger lorsque les victimes sont anonymes, qu’on ne sait pas qui elles sont, pourquoi elles étaient là. Ici à Boutcha, les morts sont connus. Ce sont des frères, des gendres, des filles… On rencontre des voisins, des parents qui les connaissaient et qui nous parlent d’eux. Ils nous racontent de ce qu’ils faisaient quelques heures avant de mourir. Pour accréditer l’hypothèse d’un mensonge, il faudrait que tout un village mente et répète la même histoire inventée de toutes pièces en quelques heures, c’est très difficile à imaginer. Par ailleurs, l’ampleur du massacre et son étendue - partout dans la ville - rendent très improbable le fait que tout cela ait été mis en scène. Il faudrait une organisation du mensonge colossale alors qu'il y a quelques jours seulement, cette ville était un champ de bataille. 

Dans cette zone, nous pouvons nous déplacer partout, y compris au plus près des combats. Nous avons la possibilité de parler à tout le monde ou d'interroger qui nous voulons. Vouloir maquiller la réalité des combats, ou l’exagérer serait prendre un risque beaucoup trop élevé, du point de vue des autorités ukrainiennes, pour qu’elles s’y hasardent. Mais nous continuons, bien sûr, à rester attentifs et à chercher des faits, même au cœur de l’horreur.


La rédaction de TF1info

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