Visite de Macron à Beyrouth : pourquoi le président du Liban veut-il faire de son pays un "Etat laïc" ?

par Hamza HIZZIR
Publié le 1 septembre 2020 à 17h18, mis à jour le 1 septembre 2020 à 21h37

Source : TF1 Info

PLURALISME - Dimanche, le président libanais Michel Aoun a admis dans un discours la nécessité de changer le système politique, appelant même à proclamer un "Etat laïc". Qu'est-ce que cela implique ?

Michel Aoun, le président du Liban, comme d'autres avant lui, a fait un rêve. Celui d'un nouveau "pacte politique" pour son pays. "Parce que je suis convaincu que seul un État laïc est capable de protéger le pluralisme, de le préserver en le transformant en unité réelle, je demande que le Liban soit déclaré État laïc", a même solennellement déclaré le chef de l'Etat, de confession chrétienne, dans un discours le dimanche 30 août, à la veille de la visite d'Emmanuel Macron, sur place depuis lundi soir.

Une revendication de la rue

Son homologue français avait, du reste, lui-même évoqué, vendredi 28 août, les "contraintes d'un système confessionnel" qui ont conduit "à une situation où il n'y a quasiment plus de renouvellement (politique) et où il y a quasiment une impossibilité de mener des réformes". Des mots repris à son compte deux jours plus tard par Michel Aoun, estimant que le système confessionnel "est devenu un obstacle à tout développement (..), à toute réforme et à toute lutte contre la corruption". Une volonté qui survient alors que  la population libanaise impute aux responsables politiques, accusés de négligence et de corruption, l'explosion meurtrière survenue le 4 août au port de Beyrouth, qui a tué au moins 188 personnes.

Il s'agit d'une revendication de la rue, déjà exprimée lors des mobilisations de 2015 ou du soulèvement populaire d'octobre 2019, et réentendue lors des manifestations récentes consécutives à l'explosion. Problème : une grande partie de la population ne fait pas confiance, pour y mettre un terme, à un Président issu de ce système confessionnel, maintenu en place durant plusieurs décennies par les élites politiques libanaises successives. Un système datant en fait de l'empire ottoman, sous lequel chrétiens et Druzes se partageaient la région du mont Liban, avant que le mandat français ne le fasse perdurer en 1920.

Nous sommes traités en tant que sujet appartenant à une des 18 communautés et c’est grâce à cette appartenance que nous accédons à nos droits
Amin Elias, professeur à l’université libanaise

Mais, concrètement, le système a pris sa forme actuelle en 1943, année de l'indépendance du Liban, avec la signature d'un premier pacte national établissant la répartition des charges politiques et administratives entre les 18 communautés reconnues par l'Etat selon leur poids démographique, sur la base du seul recensement effectué à ce jour... En 1922. Depuis lors, tout, au Liban, de l'éducation à la vie personnelle et professionnelle, tourne plus ou moins autour de la religion et de cette répartition. "Nous sommes traités en tant que sujet appartenant à une des 18 communautés et c’est grâce à cette appartenance que nous accédons à nos droits", explique ainsi à La Croix Amin Elias, professeur à l’université libanaise.

Contrats de mariage et corruption

Faire du Liban un Etat laïc impliquerait donc déjà de "laïciser" toutes les institutions, dont les écoles publiques, où les programmes devraient forcément être revus. Plus largement, il est actuellement illégal, à titre d'exemple évocateur, pour un chrétien de se marier avec une musulmane, ou un musulman avec une chrétienne, au Liban, sans que l'un se convertisse. De nombreuses lois confessionnelles sont, du reste, jugées discriminatoires à l'encontre des femmes...

"De nombreuses personnalités religieuses gagnent leur vie grâce aux contrats de mariage et de divorce, sans parler du recours à la corruption, courant pour influencer les décisions. Il y a des enjeux économiques", synthétise pour sa part, toujours dans La Croix, le politologue Ziad Majed, membre de l’Institut de recherche et études Méditerranée Moyen-Orient, Iremmo. Les réformes à venir impliquent donc de priver de pouvoir, et d'argent, de très influents chefs religieux... En attendant que soit dévoilé un plan d'action allant dans ce sens, Moustapha Adib a été nommé, lundi 31 août, Premier ministre, pour incarner le changement promis par la classe dirigeante. D'obédience sunnite, il doit cette nomination... au système confessionnel.


Hamza HIZZIR

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