Visite du prince héritier saoudien à Paris : le tabou des ventes d'armes

Publié le 9 avril 2018 à 17h07, mis à jour le 10 avril 2018 à 10h59
Visite du prince héritier saoudien à Paris : le tabou des ventes d'armes
Source : Eric FEFERBERG / AFP

DIPLOMATIE - Plusieurs ONG ont critiqué ce lundi la visite à Paris du prince Mohammed ben Salmane, dénonçant les ventes d'armes françaises à Ryad. Ces dernières sont soupçonnées d'être utilisées contre les populations civiles au Yémen, dans la guerre menée par l'Arabie saoudite contre les rebelles houthis, soutenus par Téhéran.

Chars, frégates, avions de chasse… Il y a deux semaines, Donald Trump s'est félicité devant la presse des ventes d'équipements militaires à Ryad. "L'Arabie saoudite est un pays très riche et vous allez donner une part de cette richesse aux Etats-Unis sous la forme d'achats du meilleur matériel militaire qui soit au monde", a lancé fièrement le président américain à Mohammed ben Salmane. Cette scène pourrait-elle se reproduire à Paris qui accueille actuellement le prince héritier saoudien ? C'est peu probable. Car la vente d’armes tricolores à l’allié saoudien est un sujet tabou.

Ces échanges commerciaux sont en effet de plus en plus critiqués par les ONG et l’opinion publique. En cause : des soupçons de crimes de guerre au Yémen, où l’armée saoudienne est impliquée. Le conflit yéménite oppose des forces progouvernementales, appuyées notamment par les Saoudiens et les Emiratis, aux rebelles Houthis, soutenus par l'Iran et qui contrôlent la capitale Sanaa. Cette guerre a fait près de 10.000 morts depuis 2015, dont de nombreux civils, et provoqué ce que l'ONU qualifie de "pire crise humanitaire du monde".

Qui est Mohammed ben Salmane, le nouvel homme fort d'Arabie saoudite ?Source : JT 13h WE
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"La France a toujours été un important exportateur"

Si la France s'émeut publiquement des "dommages collatéraux" parmi les civils yéménites, elle demeure l'un des principaux fournisseurs de matériel militaire de l'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis. Problème : il est difficile de connaitre le détail de ces ventes, comme l’explique à LCI Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer Armes et Justice chez Amnesty International France : "La France a toujours été un important exportateur, peu importe qui est aux manettes à l’Elysée. Nous avons une idée des montants, puisque le ministère des Armées communique chaque année au Parlement un rapport sur ses activités. Sauf que les informations sont insuffisantes pour avoir une idée complète de ce qui est fourni. Par exemple, on va apprendre que la France a délivré des licences dans la catégorie 6, laquelle concerne les véhicules terrestres. Il peut s’agir de véhicules blindés, mais on n’en sait pas plus, l’opacité demeure."

Une opacité également présente sur le terrain, où les informations sont difficiles à obtenir. "Nous savons que des armes françaises sont utilisées sur place, par exemple des chars Leclerc qui ont été vendus aux Emiratis. Mais ce que personne n’a trouvé, c’est un fragment, un débris de minutions françaises sur un lieu qui aurait été le théâtre d’une violation du droit international", précise Aymeric Elluin. Et d'ajouter : "Il est difficile d'établir un dialogue avec le gouvernement concernant sa politique d’exportation des armes."

Un contrôle parlementaire "inexistant" sur les ventes d'armes

Pour faire plier les autorités, plusieurs associations envisagent désormais des recours juridiques, jugeant que la France viole notamment le Traité sur le commerce des armes (TCA), ratifié par Paris en 2014, selon lequel les Etats signataires ne doivent pas transférer d'armes qui puissent servir à commettre de graves atteintes aux droits humains. Ces cris d'alerte trouvent un écho dans l'opinion publique française : selon un récent sondage réalisé par l'institut YouGov, trois Français sur quatre (74%) jugent "inacceptable" la vente de matériel militaire à l'Arabie saoudite. Pour sa part, Mohammed ben Salmane fait depuis lundi l’objet d’une plainte déposée au tribunal de grande instance de Paris.  Selon l'association yéménite de défense des Droits de l’homme, à l'origine de cette plainte, le prince est "complice d’actes de torture" pour son rôle joué dans le conflit au Yémen.

Autre piste, politique celle-ci, avec le député Sébastien Nadot. Ce membre de la majorité présidentielle (LaREM) réclame la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les ventes d'armes françaises aux acteurs du conflit au Yémen. "Il s'agit de savoir si la France a tenu ses engagements internationaux en la matière", a expliqué à l'AFP le député, qui déplore un contrôle parlementaire "inexistant" sur les ventes d'armes. "Aujourd'hui ce contrôle est purement administratif. Le Parlement a quelques informations mais aucun élément détaillé", regrette-t-il.

A l'heure où le prince saoudien Mohammed ben Salmane foule le sol français pour une visite de trois jours, comment le gouvernement gère-t-il ces critiques ? En jouant la carte de la régulation. Matignon assure en effet disposer d'un "système de contrôle des exportations de matériels de guerre robuste et transparent" et prendre les décisions d'exportation "dans le strict respect des engagements internationaux de la France".  "Le dispositif de surveillance autour de la question du Yémen (...) a été fortement renforcé ces derniers mois", affirment en outre les services du Premier ministre. Des services qui ont bien l'intention de continuer à faire des affaires avec Ryad, qui représente un juteux marché : d'après l'institut de recherche suédois Sipri, les ventes d'armes au Moyen-Orient ont doublé ces dix dernières années, et la région représente désormais 32% des importations mondiales. 


Thomas GUIEN

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