ENQUÊTE - Un parent d'élève a été placé en garde à vue au lendemain de l'attaque terroriste contre un professeur d'histoire, Samuel Paty, assassiné devant son collège vendredi. Ce père s'était plaint sur Facebook du cours de l'enseignant qui avait montré une caricature de Mahomet. Jean-Michel Blanquer a dénoncé une vidéo "mensongère" qui, "à la fin, a créé une tragédie."
Un emballement sur les réseaux sociaux mené par une parent d'élève a-t-il conduit à un attentat terroriste sur un enseignant ? Au lendemain de l'attaque contre un professeur d'histoire du collège du Bois d'Aulne, décapité en pleine rue à Conflans-Sainte-Honorine, les enquêteurs tentent de déterminer l’enchaînement des faits. Un parent d'élève - notamment - a été placé en garde à vue. Il est l'auteur de plusieurs publications, dont une vidéo, postées sur les réseaux sociaux au début du mois d'octobre. Dans cette dernière, il interpelle la direction du collège et l'inspection académique. En cause, un cours d'éducation morale et civique du 5 octobre au cours duquel Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie de 47 ans, avait montré des caricatures de Mahomet dans le cadre d'un leçon sur la liberté d'expression.
Dans des commentaires, on trouvait l'adresse du collège et le nom du professeur
Samuel Paty a pourtant donné des cours similaires sur la liberté d'expression les années précédentes. Mais cette fois-ci, l'initiative suscite la polémique. D'après les témoignages que nous avons recueillis auprès des élèves scolarisés au collège du bois d'Aulne, certains seraient partis "se plaindre" auprès de la conseillère principale d'éducation (CPE). Une autre en a parlé à son père. Qui a réagi en écrivant une longue publication sur Facebook toujours en ligne ce samedi. Il dénonce cette affaire "incroyable mais vraie" et raconte sa vision des faits: un enseignant aurait demandé aux musulmans de sortir de la classe, avant de diffuser "l'image de quelqu'un tout nu" en leur disant que "c'est le prophète des musulmans". Il s'agissait en fait, selon plusieurs témoignages, d'une caricature du prophète accroupi avec une étoile dessinée sur ses fesses et l'inscription "une étoile est née". Le professeur avait auparavant "invité les élèves musulmans à sortir de la classe" pour ne pas heurter certaines sensibilités. Une demande, semble-t-il, mal interprétée. Si bien que sur les réseaux sociaux, ce parent d'élève renchérit et assure qu'il ne laissera "pas passer", invitant les internautes à en faire de même : "Si vous n'êtes pas d'accord avec ça, vous pouvez écrire un courrier au directeur de l'école pour virer ce malade".
Le lendemain, il n'en reste pas là. Il publie cette fois-ci une vidéo, toujours sur son compte Facebook. Relatant à nouveau face caméra l'épisode, décrivant l'enseignant comme un "voyou" qui a propagé de "la haine", il interpelle les autres parents d'élèves : "Tous ceux qui ne sont pas d'accord avec ce comportement ou tous ceux qui ont rencontré des difficultés (...) si vous voulez qu'on soit ensemble et qu'on dise stop, envoyez-moi un message". Et de conclure : "Merci de partager un maximum." Aussitôt dit aussitôt fait. La séquence est reprise sur d'autres réseaux sociaux, et notamment sur Twitter. Désormais supprimée, on trouvait en commentaires l'adresse du collège et le nom du professeur, que le père de famille n'avait pas donné dans sa vidéo. Un appel auxquels certains parents ne répondent pas. En commentaires de la vidéo, une femme proposait de se tourner vers le commissariat et non pas d'en appeler à la vindicte populaire. D'autres ont tenté de donner une autre version des faits, comme Sonia, que nous avons contactée.
Au-delà des réseaux sociaux, l'homme s'était rendu à de nombreuses reprises devant le collège pour tenter de mobiliser des parents et avait porté plainte contre le professeur. Ce dernier avait à son tour porté plainte pour diffamation. L'"affaire" était remonté jusqu'à la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). Rodrigo Arenas, coprésident de la première association de parents d'élèves fait état d'un "père extrêmement énervé" après ce cours sur la liberté d'expression. Le père de famille a été arrêté ce samedi à 4h15 avec un de ses proches à Chanteloup-les-Vignes.
Une vidéo "mensongère" faite "pour créer du conflit"
Au sein du collège, la principale a tenté à plusieurs reprises de jouer l'apaisement. Dans un mail envoyé aux parents le 9 octobre au soir, et que nous avons pu nous procurer, elle revient sur ce "fait ponctuel et bref" qui a pu "susciter de l'émotion auprès de quelques élèves". Elle y rappelle notamment que non, personne n'a été contraint de sortir, mais que "dans le but de protéger les enfants qui auraient pu être offensés par cette caricature, (et seulement dans ce but), il leur a été proposé de sortir quelques minutes accompagnés d'un adulte ou de détourner le regard quelques secondes". Et de préciser que tous deux sont restés à disposition des parents "qui souhaitaient revenir sur cette situation".
Un prédicateur islamiste également en garde à vue
L'incident semblait donc clos. C'est en tout cas ce que pensaient les élèves, dont cette jeune fille qui témoigne dans les pages du Monde : "Ça a été LE sujet de discussion sur Snapchat et dans la cour de récré pendant deux jours, et puis on est passés à autre chose." Malheureusement, la réalité est toute autre. "La principale a fait état d'appels menaçants", a décrit le procureur anti-terroriste lors de sa conférence de presse samedi. Samuel Paty lui aussi, reçoit des menaces. Jusqu'à ce vendredi 17 octobre, où un homme de 18 ans d'origine tchétchène l'attaque sauvagement en pleine rue non loin du collège.
Les enquêteurs doivent désormais déterminer précisément si cet emballement sur les réseaux sociaux a pu contribuer au passage à l'acte du terroriste. Le procureur anti-terroriste a précisé que la demi-sœur du parent d'élève placé en garde à vue avait rejoint les rangs de Daech en Syrie. Les enquêteurs ont également placé en garde à vue un prédicateur islamiste, Abdelhakim Sefrioui, samedi. Ce dernier a accompagné le parent d'élève devant le collège et contribué - sur internet - à encore accroître la résonance des publications à l'encontre de Samuel Patty. Le ministre de l'Education Nationale Jean Michel Blanquer a, lui, dénoncé une vidéo "mensongère" faite pour "créer du conflit". "Et à la fin ça a créé une tragédie."
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