Attaque à la mosquée de Bayonne : pourquoi peut-on parler d'attentat et de terrorisme ?

Publié le 29 octobre 2019 à 12h10, mis à jour le 30 octobre 2019 à 6h30

Source : JT 20h Semaine

NUANCES - À partir de quel moment parle-t-on d’un "attentat", de "terrorisme", plutôt que de "fusillade" ou de "tuerie" ? Alors que certains s'interrogent, notamment sur les réseaux sociaux, LCI s’est posé la question après l'attaque qui a fait deux blessés à la mosquée de Bayonne.

De l'importance du choix des mots. Après l'attaque perpétrée contre la mosquée de Bayonne par un ancien candidat du FN aux élections départementales, attaque dans laquelle deux fidèles ont été grièvement blessés, nombre d'anonymes et de personnalités politiques se sont émus des qualificatifs utilisés pour évoquer les faits. "Coups de feu", "fusillade", certains ont pu voir en ces termes un excès de prudence, une façon de minorer le drame. D'autant qu'au même moment, plusieurs voix, à l'instar de Benoît Hamon, Ian Brossat ou encore Marine Le Pen, ont, eux, immédiatement parlé d'"attentat". 

Reste que ces interrogations ne datent pas d'hier. Lorsque le Canadien Alexandre Bissonnette avait tué six personnes dans une mosquée de Québec, fin janvier 2017, personnalités et médias avaient par exemple semblé hésiter, dans un premier temps, sur la manière de qualifier son auteur. Fallait-il parler d’un "tueur isolé", d'un "loup solitaire" ou alors d'un "assaillant", d’un "terroriste" ? Le Premier ministre canadien ne s'était, lui, pas posé la question, faisant rapidement état d'un "attentat terroriste". 

Même chose ou presque après les attentats commis contre deux mosquée de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. La Première minitre Jacinda Hardern, largement saluée pour sa gestion de la crise, n'avait alors pas tergiversé : "Il est clair qu'on ne peut que décrire cela comme une attaque terroriste." Une clarification vue par beaucoup comme nécessaire, voire primordiale. 

Code pénal et dictionnaire semblent d’accord

Il faut dire que la nuance entre ces deux notions de "terroriste" ou de "loup solitaire" peut parfois paraître ténue. Voire "absurde", comme l’écrivait dans les colonnes du Monde l’auteur franco-américain Julien Suandeau après l'attaque de San Bernardino, en Californie, le 2 décembre 2015. Selon lui, terroristes et auteurs de massacres n’ont rien de différent et, à ses yeux, tous ne sont que "des losers sans frontières". 

Des différences semblent cependant bel et bien exister. Juridiquement déjà. En France, le code pénal (Article 421-1) définit comme "actes de terrorisme" les infractions qui sont "intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur". Même chose ou presque du côté de la définition, sémantique cette fois, donnée par le Larousse. Pour le plus célèbre dictionnaire francophone, le terrorisme est un "ensemble d'actes de violence (attentats, prises d'otages, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d'insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système."

Breivik et le 11 septembre 2001

En s’attaquant à un lieu symbolique et aux membres de la communauté musulmane de Bayonne, Claude S., le suspect interpellé par la police, apparaît donc bien comme un terroriste, selon la définition lexicale française. Une définition partagée par la plupart des pays occidentaux, parmi lesquels les Etats-Unis ou le Royaume-Uni notamment. 

Autre exemple : celui de la Norvège, qui, en 2012, a fait modifier sa loi relative au terrorisme face au cas singulier d'Anders Behring Breivik, fanatique d'extrême droite qui avait abattu 77 civils le 22 juillet 2011 lors d'un rassemblement de jeunes du parti travailliste sur l'île d'Utøya. Avant ce changement, il fallait que deux personnes au moins soient impliquées pour qu'un crime soit qualifié d'acte terroriste.

Mais pourquoi, dès lors, la question de la dénomination des auteurs de certaines tueries est-elle si difficile, problématique ? La réponse se trouve peut-être du côté des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, à partir desquels la vision mondiale du terrorisme a changé. De façon pour le moins hasardeuse. 

Le premier acte terroriste qualifié comme tel date de 1791
Daphné Pugliesi, avocate

C’est en effet à ce moment que la notion d’attentat terroriste s’est mise à rimer avec djihadisme. Comme l’expliquait l’avocate Daphné Pugliesi dans une interview accordée à nos confrères d’Atlantico après le carnage de Charleston, où un jeune homme blanc - condamné à mort - avait froidement abattu neuf membres d’une église évangéliste noire, "terrorisme et islamisme n'ont fait plus qu'un, et cet acte (le 11-Septembre, ndlr) est tellement fondateur de la société dans laquelle nous vivons qu'il est très difficile de revenir au sens propre du terrorisme".

La juriste rappelait également que "le premier acte terroriste qualifié comme tel date de 1791" et qu’"il n'y [avait] donc pas de terrorisme islamique qui serait plus proche de la définition que d'autres". Et de souligner qu’il existe "un réel amalgame entre islamisme et terrorisme". Même chose pour le chercheur en droit Tung Yin, cité par nos confrères canadiens de l’Agence Science-Presse, pour qui, aux Etats-Unis, il était pratiquement impossible d’être qualifié de terroriste sans être musulman. De quoi pousser à réfléchir...  


Alexandre DECROIX

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