"J'attendais mon tour" : le directeur de Charlie Hebdo raconte à la barre une minute et 49 secondes d'enfer

par Poutchie GONZALES
Publié le 9 septembre 2020 à 18h13

Source : Sujet TF1 Info

RESCAPÉ - Après la parole bouleversante de Coco mardi, Riss, actuel directeur de Charlie Hebdo et blessé à l’épaule le 7 janvier 2015, a livré son témoignage ce mercredi sur l'attentat perpétré par les frères Kouachi dans les locaux de l'hebdomadaire.

"Si on vit pas libre, à quoi bon vivre ?". Ce mercredi, pour la sixième journée du procès des attentats de Charlie Hebdo, Riss, dessinateur et actuel directeur du journal, a livré un témoignage poignant devant la cour d'assises de Paris. "Je me demandais si j'allais recevoir une balle dans la tête, dans les poumons. Je me disais que chaque seconde qui passait était peut-être la dernière", a-t-il dit en relatant sa vision des faits. 

Alors que la rédaction est en pleine conférence ce 7 janvier 2015, les deux frères Kouachi pénètrent dans l’enceinte du journal, rue Nicolas Appert à Paris, et "deux claquements" retentissent dans l'immeuble. Riss voit alors Franck Brinsolaro, le policier chargé de la protection de Charb, "se lever et sortir son arme. Il a dit 'ça ce n’est pas normal'". Un homme cagoulé arrive ensuite dans la salle de rédaction. "J’ai eu l’impression qu’il était surpris de voir autant de monde dans la pièce" explique Riss.  Les tirs commencent à retentir. "Je comprends que je vais mourir, que c'est la fin de ma vie, j'attends mon tour" ajoute-t-il. Couché, face au sol, il est blessé par balle à l’épaule et reçoit un coup dans le dos : "Je me suis mis en apnée, j’ai arrêté de respirer. J’avais peur qu’il m’en remette une couche".

Quelques minutes avant, ils étaient tous debout, ils étaient tous vivants
Riss, 09/09/2020

Les tirs continuent et les assaillants sont à la recherche de Charb, qui se trouve à côté de Riss. Puis viennent les derniers coups de feu, "je ne sais pas sur qui et je ne préfère pas le savoir" explique le dessinateur, des sanglots dans la voix. Après une minute et quarante-neuf secondes, l'attaque est terminée. Il n'y a "plus un bruit, un silence total, terrible". Les terroristes ont quitté la rédaction et Riss reste immobile, toujours au sol. Autour de lui, il entend des murmures, des pleurs. "Fabrice Nicolino gémissait, Sigolène avait parlé...  Et pour les autres ? J'ai dû me résoudre qu'ils étaient morts. C’était leur silence à eux, il ne fallait pas le troubler".

Les secours arrivent, un pompier aide Riss à se relever. Mais ce dernier "fait attention de ne pas regarder la salle". "Je n'ai pas pu faire autrement qu’enjamber Charb", se souvient-il, "je ne voulais pas les voir comme ça. Quelques minutes avant, ils étaient tous debout, ils étaient tous vivants...".

Je ne veux pas vivre soumis à l'arbitraire démentiel des fanatiques. Si on ne se bat pas pour sa liberté, on vit comme un esclave.
Riss, 09/09/2020

Fin février, un peu plus d’un mois après l’attaque terroriste, Riss, encore blessé et marqué, ne veut pas laisser tomber Charlie Hebdo et propose un nouveau numéro aux survivants. "Pour moi, qu'un journal disparaisse sous le coup de l'islamisme en France, c'était un tournant politique  (...).  A ma surprise, énormément de gens voulaient continuer. Nous avions besoin de ça, nous avions besoin d'une activité qui revalorise les victimes".

Cinq ans après, le dessinateur ne regrette pas la publication des dessins satiriques. "Si nous avions renoncé au droit de publier ces caricatures, cela voulait dire que nous avions eu tort de le faire (...) Pour nous, à Charlie Hebdo, nous avons toujours parlé des religions quand l'actualité le justifiait", dit-il. Pour Laurent Sourisseau, le journal a été " victime d'une idéologie", "c'était le reproche, l'interdit de dessiner Mahomet". 

Riss espère avec ce procès avoir un éclaircissement sur "les tenants et les aboutissants" de l'attentat -"qui a fait quoi, comment se met en place un attentat, quels sont les membres ?". Mais cette attaque a bouleversé sa vie, marquée par la perte de ses collègues qu'il considère comme une "famille".

Aujourd'hui, il est toujours sous protection et admet que dans sa situation, il ne faut "pas avoir peur de la solitude".  


Poutchie GONZALES

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