RADICALISATION - Abattu jeudi soir par la police, Cherif Chekatt, auteur présumé de l'attentat de Strasbourg, était d'abord connu pour des faits de droits communs avant de radicaliser. Mais comment passe-t-on de la "petite" délinquance au terrorisme ? Éléments de réponse avec Serge Garcet, chercheur au Centre d’Etude sur le Terrorisme et la Radicalisation.
Un délinquant devenu terroriste. Cherif Chekatt, auteur présumé de l'attentat de Strasbourg, a été abattu par la police à deux pas de son quartier natal du Neudorf jeudi soir. Avant de devenir la figure d'une nouvelle attaque terroriste, l'homme natif de Strasbourg était connu pour des délits de droits communs. Entre sa première condamnation, à 13 ans, et sa mort, il avait ainsi été condamné à 27 reprises.
Comment - et pourquoi - passe-t-on de la délinquance au terrorisme islamique ? Nous avons recueilli l'avis de Serge Garcet, professeur au département de criminologie de l’Université de Liège, en Belgique et chercheur au Centre d’Etude sur le Terrorisme et la Radicalisation. Il s’est notamment intéressé aux processus psycho-sociaux en jeu dans la radicalisation. S’il reste prudent, l'enquête n'ayant pas encore permis de tout élucider, il dresse plusieurs hypothèses entre son passé de délinquant et la recherche d’une "forme de rédemption" à travers sa radicalisation.
On propose au délinquant des valeurs et un système prêt à porter
Serge Garcet, professeur au département de criminologie de l’Université de Liège
LCI : Quelles similitudes peut-on repérer entre la délinquance de droit commun et l’engagement religieux radical ?
Serge Garcet : Le processus de radicalisation se fait pas à pas, progressivement. La première phase est celle de fascination, d’approche de la cause radicale. Ensuite, quand la radicalisation se poursuit, on va progressivement observer un décrochage par rapport aux repères traditionnels et continuer sur un mode un peu "underground". C’est dans cette idée d’apprentissage qu’on retrouve le premier lien avec la petite délinquance. Ces deux univers disposent ainsi de modes de fonctionnement similaires comme éviter les contrôles, faire attention à la police, s’organiser pour avoir des armes, etc. Cet apprentissage est donc facilité par un passé de délinquant.
De plus, la radicalisation peut aussi constituer une forme de rédemption pour le délinquant. On se dit "ma vie est en train de partir je ne sais où et je ne sais comment, j’ai une vie dissolue et difficile". Et là, on propose au délinquant un cadre, des valeurs, un système "prêt à porter". Cela va lui permettre de se reconstruire une image et se valoriser dans un contexte où il pense que la justice et la société ne le considère que comme une personne à la marge. On se dit : "Ainsi, je deviens quelqu’un qui appartient à un système, je ne suis plus au ban de la société." C’est ce que je décris comme une reconstruction narcissique. L’idée de transformer la colère et la frustration en une juste et légitime vengeance. Juste car divine et légitime car on m’a fait du tort.
"La case prison n’est pas un passage obligé pour se radicaliser"
Serge Garcet, professeur au département de criminologie de l’Université de Liège
LCI : Quel impact peut avoir la prison dans le processus de radicalisation ?
Serge Garcet : La prison est effectivement, comme d’autres espaces, un lieu de radicalisation. Elle nourrit une série de représentations chez l’individu sur l’injustice du monde occidental et la privation. Ainsi, la rancœur et la frustration qui sont assez fréquentes chez les délinquants, forment un bon terreau pour ancrer une pensée radicale. Mais il n’y a pas de différence entre une radicalisation à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. Ce n’est pas une logique d’embrigadement puisqu’on est en fait d’avantage dans une logique de partage, de communauté d’idées. La case prison n’est donc pas un passage obligé pour se radicaliser.
On se dit que, parce qu’en 2015 Cherif Chekatt était en prison, il s'est radicalisé. Mais on lit également dans la presse qu’il fréquentait une mosquée auparavant. Donc rien ne dit qu’il n’a pas fréquenté d’autres groupes et d’autres personnes de son âge qui aurait participé au développement de cette pensée radicale hors des barreaux.
LCI : La question de savoir ce qui a poussé le coupable "à l’acte" est souvent posée. Ici, le tireur présumé était déjà connu pour des cas de violences. Etait-il donc d’avance susceptible de faire une attaque terroriste ?
Serge Garcet : Oui, il y a probablement un rapport étroit à la violence entre ces deux univers. La littérature montre d’ailleurs que 95% des personnes radicalisées qui passent à l'acte ont des antécédents judiciaires. Et pour ma part, lorsque j’ai rencontré des personnes qui s’étaient radicalisées [Serge Garcet est également expert près des Tribunaux cqfd], j’ai observé des personnalités antisociales, narcissiques et borderline, c’est-à-dire émotionnellement labiles et impulsives. Et ce sont les mêmes personnalités récurrentes dans le milieu délinquant non radicalisé.
Ainsi, par exemple, un même niveau d’empathie est nécessaire dans les deux cas. La personne en face de laquelle on est doit représenter peu de choses pour pouvoir actionner l’arme sur elle. Il faut avoir une sensibilité à l’expression violente. Est également souvent observé dans ces deux univers, comme c’est le cas chez Cherif Chekatt, un trouble des conduites antisociales dès la fin de l’enfance et le début de l’adolescence.
Ce que je note cependant, c’est qu'aujourd’hui nous sommes face à une évolution dans les actes terroristes. Les grands mouvements que nous avons connus aussi bien en France qu’en Belgique étaient structurés, avec une organisation derrière. Là s’il s’agit bien d’un acte isolé, on est dans une nouvelle logique. Il y a une progressive transformation du terrorisme vers des épisodes isolés et difficiles à identifier. Désormais, il va donc rapidement falloir, selon moi, d’un point de vue institutionnel et organisationnel, envisager différemment la lutte contre le terrorisme.
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