"La situation ne s'est pas améliorée" : le monde de la justice dénonce à nouveau des conditions de travail dégradées

Publié le 22 novembre 2022 à 13h46

Source : JT 20h Semaine

Un an après une tribune signée par 3000 magistrats et dénonçant une "justice au rabais", avocats, greffiers et magistrats se mobilisent à nouveau.
Selon eux, les mesures prisent par la Chancellerie ne sont pas suffisantes.
Plusieurs rassemblements sont prévus un peu partout en France et un mouvement de grève a été lancé ce mardi.

"Un an après, rien n'a changé". Dans un communiqué commun, 19 syndicats et organisations de magistrats, d'avocats ou de conseillers d'insertion ont dénoncé les conditions de travail toujours dégradées au sein des juridictions et ont appelé à la mobilisation, via un renvoi des audiences ce mardi 22 novembre. 

Plusieurs rassemblements sont également prévus un peu partout en France, notamment à Paris, devant le tribunal judiciaire à midi.

Un an après la tribune des 3000, une situation toujours dégradée

Car une année après la publication d'une tribune retentissante, signée par 3000 magistrats, et dénonçant une "justice au rabais", son état n'a pas évolué, dénoncent les organisations professionnelles. Ce texte avait dénoncé des conditions de travail d'une institution rongée par une "grave perte de sens". Écrit après le suicide d'une jeune collègue, le texte a aujourd'hui été paraphé par près de 8000 magistrats, auditeurs de justice et greffiers.

Or, s'il aurait permis une libération de la parole sur ces conditions de travail, cela n'a pas contribué à un changement radical. "Sur le terrain, la situation ne s'est pas améliorée, et plutôt, elle s'est dégradée pour nombre de collègues ou de juridictions", estime ainsi le président de l'Union syndical des magistrats (USM), Ludovic Friat auprès de TF1info, citant des effectifs toujours insuffisants ou des audiences nocturnes qui se poursuivent. "On ne peut pas utilement défendre quelqu'un à deux heures du matin, on ne peut pas utilement juger quelqu'un à deux heures du matin, on ne peut pas décemment faire attendre des victimes jusqu'à deux heures du matin", souligne-t-il encore.

Pour autant, le ministre de la Justice avait tenté de répondre à "l'état de délabrement avancé" de l'institution constaté par les États généraux de la justice. Eric Dupont-Moretti a ainsi décroché pour 2023 une troisième hausse consécutive de 8% de son budget annuel. 8500 magistrats et personnels de justice supplémentaires doivent être engagés d'ici à la fin du second quinquennat Macron, dont 1500 magistrats et 1500 greffiers, et une hausse de salaire de 1000 euros mensuels en moyenne pour les juges judiciaires a été actée.

Des mesures nécessaires mais insuffisantes

Si ces mesures étaient nécessaires, elles n'en restent pas moins loin d'être suffisantes, selon les organisations syndicales. "On part de tellement loin, la justice est tellement abandonnée depuis longtemps que les magistrats qui arrivent bouchent à peine les trous", regrette ainsi Ludovic Friat. De même, du côté des greffiers, certains syndicats dénoncent l'emploi de contractuels, plutôt que de véritables titularisations, et le manque de rémunérations et de primes satisfaisantes, notamment par rapport aux autres fonctionnaires. 

Le mouvement de mobilisation a également été relancé par le récent décès d'une magistrate, Marie Truchet, à l'âge de 44 ans, alors qu'elle présidait une audience de comparution immédiate à Nanterre. La magistrate Mariannig Imbert, qui a côtoyé la défunte, avait alors dénoncé les conditions de travail qui "ne cessent de se dégrader" dans cette juridiction. 

Depuis, ce tribunal a reçu la visite, rare, et le soutien des deux plus hauts magistrats français, le premier président de la Cour de Cassation Christophe Soulard et le procureur général près la Cour de Cassation François Molins. "Le constat de la souffrance du monde judiciaire n’est plus tabou", a assuré à l'AFP le procureur. "On en parle à tous les échelons judiciaires. Mais au-delà de ce constat, est-ce qu’il y a des choses qui avancent ?"

Dans son rapport 2022, la Commission européenne pour l'efficacité de la justice notait que si le budget du système judiciaire français était stable, "la médiane européenne est en constante augmentation". En 2020, la France a consacré 4,9 milliards d'euros à son système judiciaire, soit 0,21% de son PIB, proportion qui la place à égalité avec la Turquie, en dessous de la médiane européenne (0,30% du PIB). 

Parmi les 44 pays analysés, la France se distingue par ailleurs par le plus faible nombre de procureurs (magistrats du parquet) rapporté à la population, soit 3,19 pour 100.000 habitants, en-deçà de la médiane (11,10) et loin de la Norvège (16,1), de la Pologne (15,3) ou de l'Allemagne (7,45). Idem pour les nombres de tribunaux, de juges, ou de personnels les assistant, rapportés à la population, eux aussi systématiquement inférieurs aux médianes européennes.


Aurélie LOEK

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