Cyber-surveillance en Libye et en Égypte : pourquoi 4 dirigeants d'entreprises françaises ont-ils été mis en examen ?

Publié le 22 juin 2021 à 12h28
Tribunal judiciaire de Paris, porte de Clichy
Tribunal judiciaire de Paris, porte de Clichy - Source : PHILIPPE LOPEZ / AFP

DROITS HUMAINS - Quatre dirigeants de sociétés françaises qui ont vendu du matériel de cyber-surveillance aux régimes autoritaires libyens et égyptiens ont été mis en examen, notamment pour "complicité d'actes de torture". Explication de toute l'affaire.

La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) a annoncé mardi 22 juin dans un communiqué la mise en examen de Philippe Vannier, président d'Amesys, une société de vente de matériel de cyber-surveillance et d'Olivier Bohbot, Renaud Roques et Stéphane Salies, respectivement président, directeur général et ancien président de Nexa, entreprise également spécialisée dans ce domaine, notamment pour "complicités d'actes de tortures". 

Ces mises en examen font suite à des faits remontant à 2011. En plein printemps arabe, des journalistes du Wall Street Journal révèlent en août que la société française Amesys, rachetée par le groupe Bull en janvier 2010, avait équipé le centre de surveillance d'internet de Tripoli avec un système d'analyse du trafic internet (DPI), permettant de contrôler les messages qui s'échangent.

Amesys avait alors reconnu avoir fourni au régime de Kadhafi du "matériel d'analyse" portant sur des "connexions internet", tout en rappelant que le contrat avait été signé dans un contexte de "rapprochement diplomatique" avec la Libye, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Mise en examen pour "complicité d'actes de tortures" dans le volet libyen

À la suite de ces révélations, une plainte avait été déposée, mais classée sans suite, avant qu'une instruction ne soit ouverte. Celle-ci vise alors la vente entre 2007 et 2011 au régime de Mouammar Kadhafi d'un programme de cyber-surveillance baptisé Eagle, développé par Amesys. Dans ce dossier, les parties civiles accusent la société d'ingénierie d'avoir fourni en toute connaissance de cause ce matériel à l'État libyen qui l'a utilisé pour repérer des opposants, ensuite emprisonnés et torturés.

Au moins six victimes, qui s'étaient constituées parties civiles, ont été entendues entre 2013 et 2015 par les juges français. En mai 2017, la société avait été placée sous le statut de témoin assisté, intermédiaire entre celui de témoin simple et celui de mis en examen.

"Complicité d'actes de torture et de disparitions forcées" dans le volet égyptien

La deuxième information judiciaire, ouverte en 2017, vise la vente au régime d'Abdel Fatah al-Sissi par l'entreprise Nexa Technologies, dirigée par d'anciens responsables d'Amesys, du logiciel mis au point par cette dernière et appelé cette fois-ci "Cerebro", aussi utilisé pour traquer ses opposants.

Les investigations ont été lancées par une plainte de la FIDH et de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), avec le soutien du Cairo Institute for Human Rights Studies qui s'appuyait sur une enquête du magazine Télérama révélant la vente en mars 2014 d'"un système d'écoute à 10 millions d'euros pour lutter – officiellement – contre les Frères musulmans", l'opposition islamiste en Égypte.

Selon la FIDH, cette deuxième information judiciaire a "par ailleurs été étendue à des faits de vente de technologie de surveillance à l'Arabie Saoudite". Toujours selon l'ONG, ces mises en examen "pourraient précéder celle des deux entreprises en tant que personnes morales".

Ces différentes enquêtes semblaient en sommeil, jusqu'à la semaine dernière. Les mises en examen ont été décidées coup sur coup par des juges d'instruction du pôle "crimes contre l'humanité" du tribunal judiciaire de Paris. 

À la suite de ces décisions, l'avocat et président d'honneur de la LDH, Michel Tubiana, a exprimé le souhait que les autorités françaises s'engagent "résolument à prendre toutes les mesures pour empêcher l'exportation de technologies de surveillance "à double usage" vers des pays qui violent gravement les droits humains".


La rédaction de TF1info , avec AFP

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