Devenir policier malgré tout : ces futurs gardiens de la paix nous racontent leur vocation

par Amandine REBOURG Amandine Rebourg
Publié le 27 juin 2020 à 7h46
Devenir policier malgré tout : ces futurs gardiens de la paix nous racontent leur vocation
Source : SYLVAIN THOMAS / AFP

POLICE - Devenir policier en 2020. Une vocation pas toujours facile à mener ni même à assumer. Et pourtant elle est ancrée chez des milliers de candidats qui préparent le concours de gardien de la paix. LCI.fr est allé à leur rencontre.

Pour eux, c'est une envie qui remonte à loin, entre l'enfance et l'adolescence. L'envie de réaliser un rêve de gosse, l'envie de se sentir utile dans les affaires de viols et de disparition d'enfants, le désir de servir dans les groupements d'intervention tels que le RAID ou la BRI et parfois, parce qu'ils ont eu des "modèles" familiaux qui exerçaient ce métier. 

Quelques jours après les manifestations contre les violences policières en France et dans le monde, nous avons demandé à ces aspirants policiers, ou fraîchement sortis d'école de nous parler de leur envie d'exercer ces métiers au sein de la police, de leurs vocations et quels regards ils portent sur le contexte actuel, de défiance d'une partie de la population. 

Une vocation qui remonte souvent à l'enfance ou à la suite d’événements graves

Aurélie* prépare le concours de gardien de la paix dont les épreuves se dérouleront en septembre prochain. Depuis toute petite, elle veut faire un métier où elle aiderait "son prochain". Devenir policière, elle n'y avait jamais vraiment pensé "jusqu'à tomber sur des reportages par hasard il y a 2 ans et mon envie s’est confirmée", dit-elle. Et désormais, elle souhaite en faire son métier : "pour toutes les personnes victimes de viols qui ne sont pas écoutées en venant déposer plainte. Pour toutes ses femmes battues par leur conjoint, qu’on doit sauver, pour tous ces enfants disparus où les policiers peuvent parfois mettre trop de temps à lancer une recherche. J’ai envie de rentrer dans la police pour aider et sauver mon prochain". 

Son but ? travailler sur des affaires criminelles.  Raphaël lui, prépare le même concours mais avec un objectif différent : les groupes d'intervention. Intégrer le RAID est une "obsession", dit-il. "Je suis totalement d’accord avec la devise de servir sans faillir", raconte le jeune homme. L'élément déclencheur, comme pour beaucoup, a été les attentats de Paris en 2015. 

Antoine* lui, termine sa formation d'officier. Il a déjà les deux pieds dans la "maison police". S'il a choisi d'entrer dans la police c'est pour "aider les autres", "ce qui anime chaque policier", d'après lui. Avec deux membres de sa famille, gardiens de la paix, il ne s'est jamais vu faire autre chose mais les attentats de 2015 ont renforcé son envie de devenir policier. L'injustice le "répugne" et il est "passionné par la matière pénale". Au quotidien, Antoine* ne dit quasiment jamais quel métier il exercera dans les prochaines semaines, "par méfiance vis à vis de mon interlocuteur car je ressens une telle défiance d'une partie de la population que je ne sais jamais comment il va réagir", dit-il. 

Mes parents savent qu'ils ne doivent rien dire, mon frère aussi, ma conjointe idem.
Philippe, élève gardien de la paix préfère taire sa profession

Pour Philippe*, l'envie de devenir policier remonte à l'enfance. D'abord adjoint de sécurité, il a choisi de passer le concours de gardien de la paix : "j'ai donc tout quitté et j'ai passé eu le concours haut la main, mes 3 mois de formation ADS était de décembre 2016 à Mars 2017 en plein pendant la période attentat. J'ai toujours voulu être dans la police, ce qui s'est confirmé lorsque j'étais pompier volontaire. J'ai préféré la police parce qu'il y a cette double "compétence" de gestion des victimes et des auteurs l'un étant tout aussi indispensable que l'autre pour moi, afin de comprendre le pourquoi du comment", dit-il. 

Encore en formation, il nous explique que, comme la majorité de ses collègues, il préfère lui aussi, taire sa profession. "Nous la cachons. Mes parents savent qu'ils ne doivent rien dire, mon frère aussi, ma conjointe idem. Pour les moins proches je fais des études de droit, personne n'y comprend rien donc personne ne pose de question. Je sais que le jour où j'aurai un enfant, il ne connaîtra ma profession que le jour où il sera apte à la cacher aux autres. J'aimerais être fier, j'aimerais pouvoir le dire. Je l'ai fait au début mais les questions comme "t'as déjà tiré sur quelqu'un ?" Ça lasse vite (...) Tout le monde a une anecdote désagréable avec un policier, les gens se sentent obligés de te la raconter et c'est pesant. Donc entre ça et la dangerosité de le dire, je le cache le plus possible et je continuerai à le faire".

La défiance vis à vis de la police, un sentiment très présent et parfois incompris

Pour Antoine, la défiance est ressentie au quotidien et les questions des proches viennent parfois percuter la réalité : "ils nous soutiennent mais ils sont abreuvés, eux aussi, d'images de "violences policières" et on se retrouve à devoir justifier une interpellation dont on ne sait absolument rien". "J'ai l'impression qu'en tant que policier, on est rendu co-responsable et qu'on a une obligation de se désolidariser de ce qu'il y a pu avoir. Je ne vois pas en quoi je devrais me sentir concerné, en tant que policier français par une interpellation au fin fond du Minnesota", estime ce futur gradé. Alors avant de réellement toucher au terrain, il appréhende. "Je suis inquiet parce que la défiance d'une partie de la population peut s'aggraver et on sera encore plus pointés du doigt. Les interpellations seront de plus en plus compliquées avec des individus récalcitrants biens au fait des débats actuels", dit-il. "Et puis je suis inquiet à l'idée que la contestation sociale s'aggrave et que l'on voit se multiplier les images de violences lors des opérations de maintien de l'ordre (...)  (...) Je pense que la population ne comprend pas la difficulté de menotter quelqu'un qui ne le veut pas, et surtout quelqu'un qui est violent... C'est extrêmement difficile", poursuit-il. 

Voir des 'morts à tous les porcs sans exception' ça peut blesser et nous faire surtout peur
Aurélie, candidate au concours de gardien de la paix

"Avec les réseaux et cette haine des policiers les gens sont plus aptes à nous détester car ils ne voient que le mauvais, chose que je peux entièrement comprendre...", explique Aurélie*. "Au quotidien, c'est parfois compliqué surtout sur les réseaux sociaux : il y’a une haine énorme des policiers (...) Parfois voir des 'morts à tous les porcs sans exception' ça peut blesser et nous faire surtout peur", reconnait la jeune femme. "Je suis d’origine italienne et je veux devenir policière donc les gens imaginent immédiatement quelqu’un de raciste. Mais j’ai la chance d’être soutenu par ma famille et mes amis, même si certains n'aiment vraiment pas les policiers et sont les premiers à le dire haut et fort. Malgré tout ils me connaissent et savent que je suis bienveillante", confie-t-elle. Raphaël* lui, estime qu'il est légitime de la part des Français de se positionner contre les violences "mais il ne faut pas mettre tout les policiers dans le même sac, malheureusement il y a des bons et des mauvais comme partout". Les propos anti-police, il le reconnait, le blessent, mais hors de question de "[s']arrêter de vivre et d’exercer pour faire plaisir à une minorité de la population". 

Une actualité difficile à vivre

Philippe* le confesse bien volontiers : "L'actualité en ce moment est compliquée à vivre, en tant qu'élève. On ne comprend pas". "Quand je vois un policier commettre une faute, souvent je comprend car j'imagine être à sa place surtout en matière de maintien de l'ordre ou violences urbaines, la limite est tellement fine mais lorsque je vois des collègues commettre des fautes graves, comme on a vu des policiers tenir des propos raciste alors là, j'ai honte (...) La police a des défauts et je pense que ça sera le combat de ma génération de redorer son blason (...) Je crois que la majorité des élèves de ma section sommes tous convaincus que notre métier est magnifique et nous avons tous la passion", estime ce futur policier. Une passion qui amène aussi son lot d'interrogations : "Nous avons tous "peur" de l'avenir de notre profession, je m'interroge donc sur les conséquences qui adviendront en mettant des policiers fraîchement sortie d'école et qui pour la moitié n'ont jamais vu la réalité de la voie publique, dans des cités compliquées , avec aucune arme intermédiaire comme les bâtons, les LBD etc...". 

Lors de son récent stage, Antoine* a pu discuter avec des collègues et voir les contours de son futur métier, à leurs côtés. Eux aussi, sont inquiets mais aussi fatigués selon lui : "la police est éreintée et n'a pas le temps de se reposer, elle enchaîne les interventions après les attentats, les manifestations contre la loi travail, celles des gilets jaunes et dernièrement alors que le pays était à l'arrêt, tous les policiers se sont retrouvés à contrôler des attestations du matin au soir ... Et on se rend compte que le covid étant fini, de nouveaux mouvements sociaux commencent à arriver, et c'est encore nous qui allons nous retrouver au milieu (...) j'ai vu des collègues être tout près d'aller trop loin après avoir reçu une pluie d'insultes voir de coups". Pour autant, il dit avoir "hâte de commencer car j'ai enfin atteint mon objectif professionnel et c'est une très grande fierté avec l'impression quand même d'être utile et d'aider la population".

5000 candidats en moins

Et c'est sans doute avec ce sentiment que chaque année, entre 25.000 et 30.000 candidats s'inscrivent au concours de gardien de la paix (interne et externe). Hors 2016, considérée comme un "accident statistique" avec plus de 36.000 candidats, les vocations semblent toujours là, même si cette année, les chiffres se sont un peu érodés avec 5000 candidatures de moins. Et l'actualité n'y est effectivement pas étrangère à en croire Alain Winter, sous directeur du recrutement et des dispositifs promotionnels à la direction centrale du recrutement et de la formation de la Police nationale (DCRFPN). 

"On recrute parmi les 800.000 jeunes bacheliers qui sortent d'école", dit-il et ces quelques milliers de candidatures en moins, sont selon lui, dues à l'effet "Gilets Jaunes" et les manifestation contre les retraites. "Les parents sont prescripteurs, ils n'ont sans doute pas voulu que leurs enfants entrent dans la police, considéré comme un métier trop dangereux ou répressif, ou bien positionnés à gauche. Mais nous n'avons pas les moyens de faire d'analyse là-dessus", dit-il. 

De l'inscription au concours jusqu'à l'entrée en école, l'abandon est "d'environ 5%". Et jusqu'à de la formation, l'abandon est très faible : "c'est anecdotique : 50 sur 3500 environ", dit-il. "En général, ceux qui rentrent en école, restent, explique Alain Winter. Certains prennent conscience en école, qu'ils ont 70% de chance de travailler en région parisienne et les provinciaux abandonnent pour cette raison là, principalement. Ils ne se sont pas projetés dans la mobilité géographique", poursuit-il. Pour l'heure, 11.000 personnes ont candidaté au concours de gardien de la paix, dont les épreuves auront lieu en septembre prochain. 

*Tous les prénoms ont été changés à la demande des interviewés.


Amandine REBOURG Amandine Rebourg

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