A LA LOUPE - Sept ressortissants Français ont été condamnés à mort en Irak pour "appartenance à l’Etat islamique". Avocats et experts des droits humains s’insurgent et pointent du doigt le "laisser-faire" du Quai d'Orsay qui, jugent-ils, bafoue les droits internationaux. La France, pourtant opposée à la peine de mort, ne semble pas vouloir s'embarrasser avec le jugement de ses djihadistes... coûte que coûte ?
Le pays des droits de l'Homme a-t-il fermé les yeux sur le droit international concernant le sort des djihadistes français arrêté en Syrie ? Sept d'entre eux sont incarcérés en Irak et condamnés à la pendaison pour "appartenance à l'Etat Islamique".
Mardi 13 août, Agnès Callamard, experte des droits humains pour les Nations unies a demandé le rapatriement des djihadistes afin qu'ils soient jugés sur le sol français. En juin, 44 avocats français signaient une tribune sur Franceinfo pour dénoncer l'inaction de l'Etat face à ces condamnations "contraires à l'ordre public". Le Quai d'Orsay s'est défendu, évoquant "la souveraineté de l'Etat irakien". Pourtant, le positionnement de la France est plus que contestable selon les spécialistes du droit international.
"Nul ne peut-être condamné à mort"
En France, la peine de mort est illégale depuis la loi du 9 octobre 1981. Dans la tribune, les avocats rappellent que ce principe constitutionnel, également inscrit dans la Convention européenne des droit de l'homme, "ne souffre d'aucune dérogation, pas même en matière de terrorisme". Par conséquent, le Quai d'Orsay devrait faire le nécessaire pour que les peines soient évitées ou commuées, ce qu'a assuré le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, après les premières condamnations.
Mais alors, pourquoi les djihadistes ont-ils été transférés vers un pays où un tel jugement était largement probable ? C'est la question que pose Me Emmanuel Daoud, signataire de la tribune et avocat spécialisé en droit pénal. Il estime que l'Etat français n'a pas fait le nécessaire pour empêcher le transfert et donc la condamnation, ce qui va à l'encontre du droit international. "L'Etat savait depuis le début qu'il y avait un risque de transfert vers l'Irak. Il savait aussi que ça impliquait une très probable condamnation à mort pour les djihadistes. De plus, il n'y avait aucune raison juridique qui empêchait un retour en France. L'été dernier, il avait même été envisagé de tous les rapatrier". Une opération effectivement programmée par la France mais qui n'a jamais aboutie, face à l'hostilité de l'opinion publique.
Ce transfert des djihadistes français de la Syrie vers l'Irak serait entouré de zones d'ombres. Agnès Callamard a adressé un courrier à Edouard Philippe, pointant du doigt "des actions françaises susceptibles d'avoir bafoué les droits de l'homme et les conventions internationales". L'experte de l'ONU estime que les djihadistes ont été transférés "à la demande alléguée du gouvernement français ou avec l'implication soupçonnée de ce dernier". Des accusations que le Quai d'Orsay a fermement démenti.
Mais selon Emmanuel Daoud, il y a bien des éléments à éclaircir : "Je ne peux pas croire que la France n'était pas informée. Aurait-elle pris le risque de laisser aux Kurdes le soin de transférer ces djihadistes ? Il est difficilement concevable que ça ait été fait dans le dos du Quai d'Orsay et du Ministère des armées". L'avocat évoque même une forme de "contrat de sous-traitance judiciaire" et y voit un intérêt pour la France : "C'est refourguer la patate chaude. Il s'agit d'un dossier gênant puisque l'opinion publique n'est pas favorable au rapatriement des djihadistes. On a les moyens humains et matériels de les juger sur notre territoire, mais la volonté politique n'y est pas ".
Ont-ils eu droit à un procès équitable ?
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial". Ces lignes constituent la première phrase de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ratifiée par le France.
Et, si Jean-Yves Le Drian assurait le 29 mai que les accusés avaient bénéficié de "procès équitables", cette affirmation avait été mise en doute par l'association Human Rights Watch. L'ONG évoquait notamment l'utilisation de moyens detorture sur les djihadistes français, dans le but d'obtenir des aveux. "Étant donné le risque de torture et de procès inéquitable aboutissant à la peine de mort (...), aucun pays ne devrait transférer de détenus vers l’Irak pour y être jugés pour terrorisme ou crimes liés au terrorisme (...). Ceux qui les ont transférés ont l’obligation, en vertu du droit international, de suivre leurs dossiers pour s’assurer que les suspects ne soient pas maltraités et, s’ils sont poursuivis, qu’ils soient jugés équitablement".
Les procès ont duré 20 minutes
Emmanuel Daoud, Avocat spécialiste du droit pénal international
Le fonctionnement de la justice irakienne pose effectivement problème, selon l'avocat Emmanuel Daoud. "Déjà, cette justice fonctionne sur la loi du Talion, elle est dans un esprit de vengeance car il faut rendre la monnaie de leur pièce aux djihadistes (...). Il semblerait que les avocats n'aient même pas eu accès au dossier. Les procès ont duré 20 minutes. En France, la moyenne d'un procès aux assises, pour n'importe quelle affaire, est de 2 jours". De nombreux avocats, signataires d'une tribune, ont également dénoncé cette justice expéditive, "contraire à l'ordre public".
"Jugés près du lieu où ils ont commis leurs crimes" ?
Dans cette affaire, le ministère des Affaires étrangères se positionne ainsi : "La France a une position constante s'agissant des ressortissants adultes, hommes et femmes, ayant rejoint Daech pour combattre au Levant : ils doivent être jugés au plus près des lieux où ils ont commis leurs crimes". Un argument qui ne tient pas, selon Emmanuel Daoud, car "on ignore dans quel(s) pays ils ont combattu. D'ailleurs, ont-ils seulement combattu ou ont-ils également torturé, exécuté, violé ? La justice Irakienne ne fait pas de différence, ni sur le lieu ni sur le crime."
Jean-Yves Le Drian assure également que "les autorités irakiennes savent que la France est opposée, en tous lieux et en toutes circonstances, à la peine de mort, et qu'elle demande à ce que les sentences de mort ne soient pas appliquées". Une reconnaissance toute relative puisque jusqu'à présent, Bagdad a condamné plus de 500 étrangers de l’EI, des hommes comme des femmes, bien qu'aucun n’ait encore été exécuté.
Pour l’Irak, l’intérêt pourrait être économique, comme le souligne Wassim Nasr, journaliste et spécialiste des questions de djihadisme, sur France 24: “Ces ressortissants étrangers vont très probablement servir de levier de négociation par les autorités irakiennes. Il ne serait pas étonnant de voir l’Irak marchander des compensations financières en échange de leur maintien en prison”, explique-t-il. En avril, l'Irak proposait de juger les djihadistes étrangers en échange de deux milliards de dollars, une offre restée sans réponse du côté français.
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