Effondrements à Marseille : pourquoi les habitants avaient-ils pu revenir dans leur immeuble pourtant en péril ?

Publié le 8 novembre 2018 à 17h15

Source : JT 13h Semaine

A QUI LA FAUTE ? Alors que les recherches se poursuivent sous les décombres des deux immeubles effondrés lundi à Marseille, les habitants du quartier populaire de Noailles demandent des comptes. LCI fait le point sur les nombreuses questions que soulève le drame.

Le drame du 5 novembre était-il écrit d’avance ? C’est la question qui se pose à la lecture des témoignages et des signalements qui émergent depuis l'effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne à Marseille qui a coûté la vie à au moins six personnes.  Au numéro 65, un arrêté de péril imminent avait été pris sans que la gravité et l’urgence de la situation ne semblent avoir été réellement prises en compte. Si l'enquête n'en est qu'à ses balbutiements, de nombreuses questions se posent sur tous ces signes qui auraient peut-être pu ou dû alerter. 

Quel immeuble est à l’origine de l’effondrement ?

Il est encore trop tôt pour établir quel bâtiment a cédé en premier. "On ignore lequel des deux immeubles (du 63 ou du 65) a entraîné l'effondrement", a ainsi expliqué le procureur de Marseille Xavier Tarabeux mercredi au cours d'une conférence de presse. Les constructions dataient de la fin du XVIIIe siècle et les immeubles avaient été construits en "s'appuyant les uns contre les autres", a-t-il seulement précisé. 

Les enquêteurs ont néanmoins pu recueillir des témoignages selon lesquels l’immeuble du numéro 65 avait bougé avant son effondrement. A 2 heures du matin ce 5 novembre, une locataire de cette copropriété privée avait appelé les pompiers pour signaler "l'augmentation d'une fissure qu'elle avait observé dans son appartement". Elle a finalement rappelé les secours pour leur dire "qu'il n'était pas nécessaire qu'ils interviennent", a détaillé le procureur. Enfin, le matin de la catastrophe, un locataire du troisième étage n’avait pu ouvrir la porte de son appartement et un autre était parti sans pouvoir fermer son appartement. L'immeuble du 65 semblait avoir bougé la veille de la catastrophe.   

Une "ruine" qui menaçait au numéro 63 ?

Au 63 rue d’Aubagne, le bâtiment avait fait l’objet d’une procédure d’expropriation compte tenu de son état de délabrement et de carence de la copropriété. C’est dans ce cadre qu’au mois d’avril 2017, le bailleur social de la ville, "Marseille Habitat", en était devenu propriétaire. Les ouvertures avaient alors été murées et une visite faite par les services de la mairie le jeudi précédent le drame avait été organisée. Constat avait été fait qu’aucune personne ne squattait les lieux. Mais quel risque d’effondrement présentait ce bâtiment délabré et  muré que beaucoup décrivent comme "une ruine" ? Les rapports vont être étudiés et les investigations se poursuivre afin de pouvoir répondre à cette question, a promis le parquet de Marseille. 

Le responsable du syndic de l'immeuble du numéro 65, Jean-François Valenti, pointe du doigt le bâtiment 63. Selon ce responsable, qui assure avoir pris de son côté toutes les mesures utiles pour la sécurité des habitants du 65, l'immeuble inoccupé du numéro 63 était "tombé en déliquescence". "La moitié de la toiture n'était plus en place, il n'y avait plus de fenêtres, plus de portes, et il n'y avait plus les poutres qui maintenaient (les deux immeubles voisins) et faisaient ossature", a-t-il dénoncé auprès de l'AFP. 

Un rapport alarmant au numéro 65 sans effet ?

L’immeuble au numéro 65, géré par le syndic Liautard, appartenait à des propriétaires privés mais aucun d’entre eux n’y habitait. Les logements étaient en location. Depuis 2007, les signaux d'alerte s'étaient multipliés : effondrement du plafond du hall d'entrée, fissures inquiétantes... Selon la Provence, en janvier 2017, l'immeuble avait déjà fait l’objet d’un arrêté de péril, après un dégât des eaux qui avait fragilisé le plafond de l’entrée. La copropriété faisait l'objet d'une procédure judiciaire lancée contre elle par les voisins du troisième immeuble, 67 rue d'Aubagne, concernant l'instabilité d'un mur mitoyen. 

Le 18 octobre, suite au signalement d’une locataire de la présence d’une fissure dans l’un des murs du couloir d’entrée de l’immeuble, un expert agréé auprès du tribunal administratif va visiter l’immeuble. L’expert note alors que la cloison du couloir d’entrée "menaçait ruine et constituait un danger pour les occupants". Il relève également que le plancher de l’appartement du 1er étage côté cour reposait sur du bois  "très dégradé", que la chape de ciment surcharge localement ce plancher dont la stabilité est considérée comme "douteuse". Quant au dernier étage de la façade côté rue, l’expert décrit enfin la "présence de fissurations inquiétantes auquel il faut remédier sans délai". Sa conclusion est sans appel : "un péril grave et imminent". Pourtant, l’expert recommande uniquement l’évacuation des occupants de l’appartement situé au 1er étage côté cour. 

Il préconise "d’étayer d’urgence le plancher de cet appartement", "de protéger le couloir d’accès à l’immeuble" et "d’étrésillonner d’urgence les fenêtres du dernier étage". Et indique dans son rapport de 15 pages que la réintégration des habitants ne devra se faire qu’après "la mise en place d’un étaiement complet du rez-de-chaussée par une entreprise qualifiée et la vérification de l’étaiement par un homme d’art", précise le procureur lors d’une conférence de presse. Sur la foi de ce rapport, le service de prévention des risques à la ville prend le 19 octobre un "arrêté de péril imminent". La municipalité ordonne la réalisation des travaux d’urgence sous 21 jours (soit pour le 8 novembre). Mais cet arrêté ne conduit à l'évacuation que d'un seul appartement, celui du 1er étage. Le lundi 5 novembre au matin, l’immeuble dans son ensemble s’effondre. 

Pourquoi les habitants ont-ils pu réintégrer l'immeuble ?

Le syndic assure que les travaux ont été réalisés. D'après l'audition par les enquêteurs du représentant du syndic de copropriété, une entreprise de gros œuvre était intervenue ce 18 octobre pour "sécuriser le mur du couloir d’entrée et étayer le sol de l’appartement du premier étage". "Ces travaux se sont terminés à 22 heures",  a précisé le procureur dans une conférence de presse ajoutant qu’"à ce stade, on ignore si les autres travaux (préconisés par l'expert, ndlr) avaient été réalisés". 

Ce soir-là donc, après seulement une journée de travaux, les habitants qui pour certains avaient été évacués en catastrophe par nacelle, réintègrent leur appartement. Pourquoi ? Qui a donné le feu vert ? Comment des locataires ont-ils pu réintégrer ce bâtiment en moins d'une journée alors qu’une expertise concluait le jour-même à un "péril grave et imminent" ? "Le fait qu’effectivement on ait demandé aux locataires de sortir de l’immeuble mais qu’après on leur a permis de le réintégrer devra bien évidemment être détaillé", a reconnu le  procureur auprès du journal La Marseillaise. 

Un maire sur la défensive

Xavier Tarabeux a conclu qu'"à ce stade", les causes précises de l'effondrement des immeubles n'étaient "pas établies". Mais dans la rue d’Aubagne, la colère se dispute à la tristesse face à la chronique d’un drame annoncé. "Ici, il n'y a que des noirs et des arabes, alors tout le monde s'en fout, s’indignait auprès de l’AFP Adama, un jeune Comorien. Mais je paie mon loyer, 380 euros par mois, et je paie même ma taxe d'habitation. Pourtant vous avez vu l'état des bâtiments ". 

La municipalité a engagé depuis 2011 un vaste plan de requalification du centre de la cité phocéenne mais sans réussir à endiguer le problème. Selon un rapport remis au gouvernement en 2015, 100.000 personnes seraient victimes de l'habitat indigne ou insalubre à Marseille.  Le maire LR de la ville Jean-Claude Gaudin a dénoncé un rapport "au vitriol" et d'un "parti-pris extraordinaire".

L'édile a fermement défendu "l'ambition et l'exigence fortes" de son équipe en matière "de rénovation de l'habitat ancien et indigne, depuis plus de 20 ans". Et de balayer les critiques de plus en plus fortes des habitants : "Le temps n'est pas à la polémique et l'expression des intérêts particuliers". 

Trois jours après le drame, deux personnes sont toujours recherchées sous les décombres. 


La rédaction de TF1info

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