INFO LCI - "Affaire Tsingtao" : des policiers accusés de racisme anti-Chinois

par William MOLINIE
Publié le 24 juin 2020 à 7h03, mis à jour le 24 juin 2020 à 8h16

Source : TF1 Info

ENQUÊTE – Plusieurs justiciables mettent en cause la chaîne pénale pour des faits de discrimination et de racisme dans une enquête portant sur une filière d’immigration clandestine chinoise.

Est-ce un "soupçon avéré de propos raciste", au sens où l’entendait le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner ? Ce n’est, en tout cas, pas ce que ces justiciables, même mis en cause, attendaient de la police et de la justice. Ce qui devait, à l’origine et de toute évidence, être une très mauvaise blague et rester dans l’intimité d’un service a pris des tournures beaucoup plus sérieuses. Selon les informations recueillies par LCI, plusieurs personnes mises en examen dans une enquête d’immigration clandestine accusent aujourd’hui des policiers et magistrats parisiens de racisme anti-Chinois.

                                                                                                                                                                                           

Les faits remontent à janvier dernier. Plusieurs individus sont interpellés pour association de malfaiteurs et aide à l’entrée au séjour irrégulier en bande organisée par des policiers de la sous-direction de lutte contre l’immigration irrégulière (SDLII). Ce service de la préfecture de police est spécialisé dans la lutte contre les filières d’immigration clandestine. Les investigations mettent en cause des ressortissants chinois et des Français d’origine asiatique, soupçonnés de maintenir illégalement des étudiants chinois sur le territoire.

 

Le dossier d’instruction entreposé dans un carton de bières… Tsingtao

L’enquête, comme cela peut l’être dans les services de police pour certaines affaires, fait l’objet d’un surnom. En interne, on parle alors officieusement de "l’affaire Tsingtao", en référence à la bière chinoise commercialisée par le brasseur éponyme. Appellation malheureuse qui finit écrite noir sur blanc dans des documents officiels de procédure. Notamment sur des procès-verbaux de retranscription et de réquisition adressée à un opérateur téléphonique. "Affaire : Tsingtao", peut-on lire, en face du numéro de référence de l’enquête dans des PV à en-tête de la police nationale.

 

Selon nos informations, les suspects, mis en examen dans cette affaire, ont récemment saisi le Défenseur des Droits. Ils considèrent cette dénomination comme une "discrimination à raison de la race, de l’ethnie ou de l’origine par des forces de sécurité et dans le cadre du service public de la justice". Ils ont demandé aux services de Jacques Toubon d’auditionner non seulement les policiers en charge de l’enquête mais aussi une magistrate du parquet ainsi que la juge d’instruction.

                                                                                         

Car, outre dans les locaux de garde à vue où ils disent avoir vu accroché au mur un tableau blanc comportant des numéros de téléphone et le titre "Affaire Tsingtao", c’est surtout dans le bureau de la juge d’instruction que se sont forgés leurs soupçons sur le caractère discriminatoire et raciste du traitement qui leur a été réservé : au sol, un carton, vert et rouge, floqué du logo de la marque de bières… "Tsingtao". A l’intérieur, l’original du dossier pénal, près de 3.000 feuillets, était stocké dans ce conditionnement. Habituellement, ce type de documents est remis dans des pochettes cartonnées, ou, faute de mieux, dans des cartons quand les dossiers sont volumineux. Mais il s’agit alors de cartons de ramettes de papier et non de bières - encore moins à la marque évoquant l’affaire -, comme nous le confirme un habitué des couloirs du palais de justice.

Sollicités par LCI, les avocats de plusieurs mis en cause, Me Chloé Arnoux, Margaux Durand-Poincloux et David Apelbaum, n’ont pas souhaité commenter cette "enquête en cours". De son côté, la préfecture de police a avancé que seul le parquet pouvait communiquer. Qui a nommé ainsi cette enquête préliminaire en procédure ? Les policiers ? Supervisés par le parquet ? Qui a entreposé les procès-verbaux dans ce carton ? Pourquoi ni le représentant du ministère public, ni la juge d’instruction, n’ont procédé à un changement de conditionnement avant de recevoir les mis en cause ? Interrogé par LCI, le parquet de Paris n’a pas été, non plus, en mesure de répondre à nos questions. 

Les services du Défenseur des Droits, qui ont bien reçu la saisine, nous ont indiqué que cette autorité administrative indépendante n’était pas "compétente pour se prononcer sur le comportement d’un magistrat » et qu’il ne pouvait donc « y avoir d’instruction ouverte chez [eux]".

                                                                                                                                                                                           

"Tolérance zéro"

Cette affaire, visant l’ensemble de la chaîne pénale, restera-t-elle lettre morte ? Dans un message envoyé à ses troupes mardi 2 juin, le préfet de police Didier Lallement a rappelé qu’il n’y avait "pas de race dans la police"."Si certains d’entre nous faillissent dans l’exigence d’impartialité et d’excellence qui est la nôtre, ils seront sanctionnés comme ils l’ont été à ce jour", écrivait-il. Même ligne de fermeté du côté du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui a promis au lendemain de la manifestation de soutien à Adama Traoré devant le tribunal judiciaire de Paris que "chaque faute, chaque excès, chaque mot, y compris des expressions racistes" feraient "l'objet d'une enquête, d'une décision, d'une sanction".

 

Lundi 8 juin, le ministre de l’Intérieur avait rappelé la "tolérance zéro" contre le racisme dans la police. Il avait par ailleurs annoncé avoir demandé aux directeurs de la police et de la gendarmerie « qu'une suspension soit systématiquement envisagée » dès lors que des propos ou des faits racistes étaient établis. De leur côté, des syndicats de policiers craignent que les propos du « premier flic de France » ne conduisent à la suspension d’agents sur des soupçons de racisme peu étayés.


William MOLINIE

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