INFO TF1/LCI - "Poulette", Michael Jackson et l'esthéticienne : dans les coulisses de la cavale de Redoine Faïd

par Georges BRENIER Georges Brenier
Publié le 28 janvier 2019 à 12h18, mis à jour le 29 janvier 2019 à 7h28

Source : JT 20h Semaine

COULISSES - Noms de code improbables, "portables de guerre" et paranoïa générale : l’enquête sur l’évasion et la traque du braqueur, que nous avons pu consulter en exclusivité, est digne d’un polar.

Ceux qui l'ont vu le décrivent fatigué, aminci, l’air hagard. Redoine Faïd semble sonné ce 3 octobre 2018, dans le bureau du juge d’instruction, au Tribunal de Grande instance de Paris. Il est 18h. Le fugitif de Creil a eu droit ce jour-là à un réveil brutal, en pleine nuit. Une dizaine de policiers cagoulés et armés jusqu’aux dents l'ont extirpé de son lit, dans sa "planque" de Creil. Son fief natal. Là où tous les enquêteurs l’attendaient. Là où le braqueur a fini par revenir, en manque cruel de moyens. 

Redoine Faïd n’a pas envie de bavarder ce soir-là. "Je suis un peu fatigué", confie-t-il d’entrée de jeu au juge Jean-Michel Gentil. Le fugitif sait pertinemment qu’il s'apprête à repartir en prison, sans doute pour de très longues années. L’air abattu, le "roi de la belle" reprend pourtant la parole : "Je veux vous dire que je n’ai aucun problème, je me suis évadé, je comprends pourquoi je suis là. J’ai toujours respecté la justice et l’administration pénitentiaire, mais je ne voudrais pas que mes proches subissent des conséquences sur leur situation pénitentiaire éventuelle du fait de mon évasion". Coup de bluff ? Signature de "beau mec" ? Redoine Faïd repartira en tout cas quelques minutes plus tard vers la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), sous très haute escorte.

Plutarque à la rescousse

Depuis son arrestation, Redoine Faïd n’a livré aucun de ses secrets. De nombreuses zones d'ombre demeurent, aujourd’hui encore, autour de sa spectaculaire évasion de la prison de Réau (Seine-et-Marne), le 1er juillet dernier en hélicoptère. Qui, dans le commando présumé – son frère et plusieurs neveux –, pouvait connaître l’existence d’une porte dans la cour d’honneur pourtant inconnue de la plupart des surveillants ? Le juge n’a presque eu le droit, pour l’heure, qu'à du mutisme ou des cris d’innocence. Ou, plus étonnant, à une citation du penseur grec Plutarque : "Un frère est un ami donné par la nature qui ne peut ni fuir ni faillir",  a ainsi plaidé Rachid Faïd, le frère aîné du caïd. Une leçon de philosophie qui ne l’a pas empêché d’être à son tour incarcéré.

Autre inconnue : qui a bien pu donner au gangster de 46 ans, alors placé à l’isolement, le "top-départ" de l'évasion ? Les policiers ont épluché les centaines de coups de fil passés par Redoine Faïd depuis le téléphone de la prison de Réau, qu’il utilisait – il y avait droit – souvent plusieurs fois par jour. Des heures entières de conversations – enregistrées par l’administration pénitentiaire – passées à prendre des nouvelles de sa famille, à s’enquérir auprès de ses avocats de tel ou tel dossier, à parler de tout et de rien. Mais pas un mot sur un possible "remake" de La Grande évasion…

"Configuration évasion"

La police judiciaire y voit en revanche plus clair sur le degré de préparation du commando. L’étude minutieuse des appels téléphoniques passés et reçus dans le secteur géographique de Réau au moment de l’évasion a en effet rapidement permis d’identifier trois flottes de téléphones portables "de guerre" utilisés par les suspects. Des numéros "clandestins", tous dédiés à une tache précise, dont les enquêteurs ont retracé le parcours, minute par minute, kilomètre par kilomètre. L'un des enseignements de ce travail de fourmi en dit long sur la persévérance des malfaiteurs : l'équipe s’était positionnée en "configuration évasion" à deux reprises avant de passer à l’action le 1er juillet. Une première fois le samedi 16 juin, une seconde le samedi suivant. Repérage des lieux, chronométrage de chaque étape, liste des échappatoires possibles… le commando n’avait rien laissé au hasard pour le grand jour. 

Un professionnalisme qui tranche bizarrement totalement avec la cavale qui va suivre. Le "système D" y est souvent de rigueur. Car Redoine Faïd et ses complices manquent à l’évidence d’argent et de "planques". Redoine et Rachid, visiblement inséparables, doivent souvent se concentrer sur l’essentiel : des médicaments, des sprays anti-moustiques, du dentifrice, des caleçons, des chaussettes, du déodorant, des slips de bain… Le petit groupe va quand même casser sa tirelire et dépenser 1400 euros pour acheter une voiture. Une Renault Mégane d’occasion, repérée sur un site internet de petites annonces. Le vendeur – qui préfère sur la toile se faire appeler Clark Kent, le nom à la ville de Superman – est contacté le 12 juillet, 4 jours avant la finale de l’Equipe de France de football en Coupe du monde, par un mystérieux monsieur Farid Belami. "Si le laguna roule bien je le prend e jdiscute pas le prix (…) Et allez les bleus !"

"Mikael jakson" et "Paul mc cartney"

Tout au long de ses 93 jours de cavale, Redoine Faïd aura fait preuve d’une prudence de sioux. Proche de la paranoïa. En particulier avec les téléphones. Les siens comme ceux de ses proches. Interdiction formelle de passer un coup de fil sans son accord, pas question aussi de recharger les smartphones en les branchant à une prise, inspection des SMS envoyés… Faïd se méfie de tout. Surtout des policiers, qu’il imagine sans doute un casque sur les oreilles écoutant en temps réel ses conversations. La méfiance est de mise, y compris quand il échange avec l’un de ses neveux par SMS. Un langage tellement codé qu’aucun enquêteur n’a encore compris le sens de certains messages. Comme ces SMS déroutants, écrits dans la soirée du 28 septembre dernier : 

-        Redoine Faïd : "C ki le mec ki mcherch ? ki ta parler dlui ? il e d ou ? un indice ?"

-        Lyazid Faïd. : "Chou qua vu le cousin le duo avec mikael jakson le deuxieme gar qui chante" 

-        Redoine Faïd : "Paul mc cartney ?"

-        Lyazid Faïd : "Non"

En matière de surnoms, le commando fait, il est vrai, preuve d’une imagination débordante. Aucun nom ne doit être prononcé, même dans le huis-clos d’un appartement. Alors, chacun y va de son sobriquet, parfois improbable : "Macaque", "Mascotte", "Poulette", "Serpent", "Le chien", "Cafard" ou encore "Chou". Redoine Faïd utilise aussi une vieille technique d’espions, digne d’un James Bond : la boîte aux lettres morte. Quand il veut faire passer un message autrement que par téléphone, le malfaiteur écrit sur un bout de papier, qu’il plie et entoure ensuite de cellophane. Le "fax", comme Faïd aime appeler sa technique, est ensuite déposé sur un banc public, souvent par un messager. Ni vu ni connu.

Poudre décolorante

Quelques jours avant son arrestation, le "roi de la belle" semble nerveux. Comme s’il savait qu’il n’allait pas pouvoir semer les dizaines de policiers à ses trousses bien plus longtemps. Dans le huis-clos de l’appartement de la rue Jean-Baptiste Carpeaux, à Creil, où il a trouvé refuge avec ses complices, Redoine Faïd s’énerve souvent. Des témoins l’entendent crier, taper du poing sur la table, son pistolet en permanence sur lui. Souvent contre sa propre famille, contre ceux aujourd’hui soupçonnés de lui avoir pourtant offert sur un plateau d’argent l’évasion dont il rêvait tant.

Le fugitif emploie les grands moyens pour se grimer dans les rues de Creil. Dans la ville, tout le monde le connaît, lui "l'enfant" du Plateau. Alors, en plus d’acheter des burqas, Faïd fait acheter dans un salon de coiffure de la poudre décolorante, des tubes d’oxydant et de teinture gris argenté. Pour soigner sa perruque de femme, il utilise une petite brosse à cheveux rose. L’apparence physique semble d’ailleurs au centre de ses préoccupations. D’après la police judiciaire, Faïd était allé jusqu’à interdire à Alima A., chez qui le commando présumé s’était installé quelques jours avant son arrestation, de se rendre chez son esthéticienne. Le gangster, persuadé que la jeune femme était surveillée par les policiers, en était convaincu : des visites trop fréquentes d’une femme célibataire dans un salon de beauté sembleraient forcément louches. Et finiraient par convaincre les enquêteurs que ces touches de féminité à répétition ne pouvaient être destinées qu’à un seul homme : Redoine Faïd.   


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