Procès du 13-Novembre : "Le corps qu'on a présenté à la famille n'était pas le bon"

Publié le 23 septembre 2021 à 21h19, mis à jour le 26 septembre 2021 à 22h39

Source : TF1 Info

JUSTICE – Le directeur de l'institut médico-légal et une fonctionnaire de la sous-direction antiterroriste ont été entendus ce jeudi à l'audience, afin d'évoquer notamment les opérations médico-légales et l'identification difficile des victimes.

Était-il sauvable ?  A-t-il agonisé ? Pourquoi l'attente a-t-elle été si longue ? Comment y a-t-il pu avoir de telles erreurs lors des identifications ?  Ce jeudi 23 septembre, Bertrand Ludes, directeur de l'Institut médico-légal (IML) de Paris est venu témoigner à la barre au procès des attentats du 13 novembre 2015. Et le professeur était très attendu par les parties civiles qui, pour beaucoup, restent encore, six ans après les attaques, sans réponse à leurs nombreuses questions.

"Je vais présenter de façon très générale les opérations médico-légales qui ont eu lieu après les attentats. Je dirigeais l'équipe qui a pris en charge les victimes. Je devais pratiquer l'autopsie complète des corps et des fragments humains", commence le professionnel de 62 ans, cheveux poivre et sel, costume gris, chemise blanche, cravate bleue, lunettes de vue. "Il s'agissait d'établir les circonstances de décès et de retrouver tout indice de crime ou de délit. Nous devions remettre aux enquêteurs tout projectile que nous aurions pu retrouver", continue-t-il. 

Entre le 14 novembre à 6h et le 19 novembre à 16h50, 139 corps ont été admis à l'Institut médico-légal. Parmi eux, ceux de 130 victimes et neuf terroristes (dont ceux de la rue du Corbillon). Le 14 novembre, 123 corps et 17 fragments avaient été admis. "D'autres fragments de corps arriveront plus tard", précise le professeur Ludes. Certains sont alors déjà identifiés, d'autres sont sous X. 

À l'Institut médico-légal, les médecins commencent les examens. "L'imagerie a débuté dès le 14 novembre dans l'après-midi : elle sert à rechercher des prothèses pour l'identification. 49 scanners, 144 radios, 30 examens odontologiques ont été réalisés. Les opérations thanatologiques ont été réalisées dès le 15 novembre, avec 69 autopsies de corps ou fragments de corps. 49 corps étaient en bon état de conservation", explique le professeur Ludes. 

Au total, 15 médecins légistes, deux médecins d'autres instituts, quatre chirurgiens dentistes, six radiologues, trois balisticiens, sept agents d'accueil, une psychologue clinicienne, 22 techniciens, trois agents de propreté et trois agents techniques, soit une cinquantaine de personnes, vont s'affairer pendant plusieurs jours, entre 6h et 21h, à identifier et réparer les corps afin de restituer les dépouilles aux familles. 

"Une seule victime est décédée après l'explosion d'un gilet au Stade de France"

Le travail n'est pas simple. "Pour les victimes, les caractéristiques des plaies ont été difficiles à établir, car nous avions de très nombreux orifices cutanés : de 1 à 32 selon les corps. Au niveau des auteurs, les causes de décès ont été l'explosion de leurs gilets explosifs, un autre par blast. Pour les auteurs, nous avons des sections corporelles. Le type de section corporelle et d'amputation a permis de faire la différence entre les auteurs et les victimes. Une seule victime est décédée après l'explosion d'un gilet (Manuel Dias, ndlr) au Stade de France", explique le directeur de l'Institut médico-légal. 

Selon Bertrand Ludes, pour un grand nombre de victimes, le décès a été "immédiat". "Parfois, ça va jusqu'à 3 ou 4 minutes. Mais souvent, les victimes présentant plusieurs impacts avaient déjà perdu connaissance", assure le spécialiste, glissant à plusieurs reprises, dans ses propos, les termes cliniques d'"hémorragie" et de "dilacération"

156 présentations aux familles

De l'autre côté des portes de l'Institut médico-légal, des centaines de personnes recherchent leurs proches. Le téléphone sonne à l'IML, mais aussi dans tous les hôpitaux parisiens. Une à une, les familles vont défiler dans les locaux du quai de la Rapée, avec au total 156 présentations de corps. "Certaines familles sont venues deux fois, certaines même trois fois. D'autres ne sont pas venues du tout", détaille Bertrand Ludes

Là, de nombreuses erreurs ont été commises. D'abord dans l'accueil des familles. "Il a été question de limiter le temps des familles auprès de leurs proches", pointe Me Bibal. Chacune d'elle a pu voir le corps - ou plutôt le visage du défunt, le corps étant recouvert d'un drap blanc - 5 minutes derrière une vitre, sans pouvoir embrasser, toucher, enlacer l'être aimé, geste qu'elles ne pourront faire que quelques secondes au moment de la mise en bière. "Il y a eu un traumatisme sur leur traumatisme, de la douleur sur leur douleur", relève Me Jean Reinhart,  avocats d'une centaine de parties civiles. "Si ça s'est passé comme ça, je suis désolé, confus, s'excuse le professeur de médecine légale. On peut donner le temps de se recueillir face à un corps".

11 des 130 victimes ont été mal identifiées

Une avocate se fait l'écho des craintes d'un père affirmant que son fils, Alban Denuit, décédé au Bataclan, a été victime d'actes de barbarie et de mutilations au couteau. "Il n'y a eu aucune lésion à l'arme blanche", assure le professeur qui, pour appuyer sa démonstration, projette, presque sans prévenir, des images glaçantes en 3D de cette victime, suscitant l'effroi. Les images confirment effectivement qu'il n'y a pas eu de mutilation. Les mots à la barre auraient probablement suffi. 

Autre erreur : certaines familles se sont vues annoncer les décès par les agents d'accueil de l'IML, alors que c'est aux enquêteurs de le faire. 

Pire, onze des 130 victimes ont été mal identifiées. "Que s'est-il passé le 18 novembre à l'IML pour Lamia Mondeguer ? La famille est venue voir le corps avec des amis de Lamia. On leur dit qu'ils ont 3 minutes. On leur dit : 'préparez-vous à ne pas reconnaitre votre Lamia.' Quand on va présenter le corps et que la famille arrive, ce n'est pas Lamia. Il y a des cris. Ce n'est pas le corps de Lamia qu'on leur présente, mais de Michelli Gil Jaimez !" Le corps de Lamia sera finalement présenté à la famille le 19 novembre. 

Lola Ouzounian, 17 ans, plus jeune victime des attentats, ne sera pour sa part identifiée que le 18 novembre. Son père, avec qui elle était au concert et qui est parvenu à s'enfuir, l'a cherchée partout, en vain. Six jours après les attentats, les enquêteurs ont réalisé qu'ils avaient deux corps au nom de Justine Moulin, victime du Petit Cambodge, âgée de 23 ans. Une dépouille se trouve à l'Institut médico-légal, l'autre à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière. La deuxième était en fait celle de Lola Ouzounian...  "Je suis désolé", répète le directeur de l'IML, avant d'être remercié par le président et de quitter la salle. 

Succédant à Bertrand Ludes, la fonctionnaire de la SDAT005, reconnaît ces onze erreurs, commises "parfois malgré une identification des familles", et les évoque une à une dans le détail. En prononçant le nom de Lola Ouzounian, elle fond en larmes. "Excusez-moi", murmure-t-elle. 

Après les attentats, cette policière a coordonné "l'atelier victime". À Plusieurs reprises, elle utilisera l'acronyme IVC -  pour"identification des victimes de catastrophe" - qui "provient d'Interpol, pour identifier les victimes de manière certaine et scientifique".  "L'IVC est composé d'une cellule ante-mortem et d'une cellule post-mortem. La cellule ante-mortem recueille auprès des familles les éléments d'identification physique et biologique : tatouage, cheveux, bracelets, cicatrices…, explique la fonctionnaire. Les policiers montent un dossier ante-mortem, un médecin et un dentiste sont présents aussi. La cellule post-mortem procède aux relevés de traces papillaires, prélèvements sur les corps, rassemblement des effets personnels, bijoux tatouages..."

Puis SD005 informe que "la dernière famille recherchant un proche a été avisée le 18 novembre au matin". À l'écran, est alors projeté le terrible bilan des attentats du 13 novembre 2015. Me Bibal, avocat de plusieurs parties civiles, rappellera qu'en plus des 835 blessés physiques, s'ajoutent "des milliers de blessés psychologiques".  

L'audience doit reprendre vendredi à 12h30.


Aurélie SARROT

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