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Imam Iquioussen en fuite : comment expliquer qu'une personne fichée S soit introuvable ?

Publié le 31 août 2022 à 14h25, mis à jour le 31 août 2022 à 18h50

Source : TF1 Info

Souhaitée par Gérald Darmanin, l'expulsion de l'imam Iquioussen a été validée par le Conseil d'État.
En fuite, il demeure introuvable ce mercredi et cela suscite des critiques en raison du fait qu'il soit "classé S".
Ce fichage, qui identifie des individus pouvant porter atteinte à la sûreté de l'État, ne signifie toutefois pas un suivi permanent par les forces de renseignement.

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a eu des mots très durs à l'encontre de l'imam Iquioussen, décrit comme "radicalisé" et n'ayant "rien à faire sur le territoire de la République". La procédure d'expulsion décidée à son encontre a ainsi été validée le 30 août par le juge des référés du Conseil d’État, donnant gain de cause au pensionnaire de la place Beauvau. Si le renvoi vers le Maroc du prédicateur semblait en bonne voie, les forces de l'ordre qui ont tenté de l'arrêter n'ont trouvé personne à son domicile de Lourches dans le Nord. En fuite, Hassan Iquioussen reste ainsi introuvable en ce 31 août.

Si une partie de la classe politique, chez Les Républicains et au Rassemblement national en particulier, s'est félicitée de l'expulsion programmée de cet homme, l'incompréhension règne depuis l'annonce de la fuite de l'imam. Un point précis est mis en avant : le fait qu'il soit fiché S. Un élément suffisant aux yeux des élus pour qu'une surveillance accrue soit mise en place et qu'il soit possible de le suivre facilement à la trace. Pourtant, être fiché S n'est pas forcément synonyme de contrôle permanent de la part des autorités.

Environ 20.000 personnes fichées S, pour des motifs variés

Pour le député LR Eric Ciotti, la fuite de l'imam est une "humiliation pour notre pays". La vice-présidente RN de l'Assemblée nationale, Hélène Laporte, déplore, elle aussi, que "fiché S depuis 18 mois, l’Imam Iquioussen" soit "introuvable malgré la surveillance de l’État". 

De prime abord, il paraît surprenant qu'un personnage dans le viseur du ministre de l'Intérieur depuis plusieurs semaines soit en mesure d'échapper à une interpellation. On peut en effet supposer que les autorités ont anticipé qu'une décision favorable du Conseil d'État puisse accélérer une procédure d'expulsion et nécessiter une localisation de l'intéressé. Pour autant, le fait qu'il soit fiché S se voit ici mis en avant par de multiples élus de manière trompeuse. Cette catégorisation aux yeux des services des renseignements ne constitue en effet pas le gage d'un contrôle permanent, ni même d'une vigilance accrue.

Avant toute chose, il faut préciser que le "fichage S" n'existe pas réellement en tant que tel. Cette expression désigne en réalité un type de signalement pour des personnes inscrites au Fichier des Personnes Recherchées (FPR). Ce FPR, l'un des plus volumineux fichiers policiers français, compte pas moins de 620.000 fiches. Celles-ci sont catégorisées à l'aide de lettres, "les étrangers en situation irrégulière se trouveront ainsi fichés 'E', les débiteurs du Trésor Public fichés 'T' ou encore les enfants fugueurs 'M'", résume le doctorant en droit privé et sciences criminelles Yoann Nabat. 

La lettre S est apposée sur la fiche des individus présentant un danger pour la sûreté de l'État. C'est le cas pour Hassan Iquioussen, et depuis 18 mois, comme l'a révélé le JDD. Soulignons sans tarder qu'il est loin d'être le seul à figurer parmi le FPR sous l'étiquette S : malgré une absence de chiffrage précis et récent, on estime qu'environ 20.000 personnes seraient "fichées S". Une part de ces profils concerne des personnes radicalisées et/ou en lien avec l'islamisme et le terrorisme, mais pas seulement. Des militants écologistes sont également recensés, tout comme des hooligans ou des militants violents proches de l'ultra-droite.

Des moyens de surveillance limités

Une fiche S au sein du Fichier des Personnes Recherchées signifie que les services de renseignement ont identifié une personne jugée potentiellement dangereuse. Pour autant, elle n'est en aucun cas synonyme de suivi actif et permanent. La fiche ne traduit "ni une condamnation pénale, ni même l’indice d’une surveillance active. Elle ne témoigne ni d’une dangerosité accrue ni d’un passage à l’acte immédiat", insiste le spécialiste Yoann Nabat. Dans de nombreux cas, "la fiche permettra simplement à l’agent de police ou de gendarmerie qui, lors d’un contrôle routier, est amené à croiser la route d’un individu fiché S, de faire remonter l’information auprès des services de renseignement, qui, la plupart du temps, en prendront simplement note".

Un rapport sénatorial dévoilé en janvier 2019 nous apprenait qu'il existe "11 catégories de fiches S (de S2 à S16), qui ne

correspondent pas à des niveaux de dangerosité, mais renvoient à des profils et des conduites à tenir (par exemple, les informations à recueillir ou les actions à entreprendre)". Au sein même des "fichés S", on comprend donc qu'il existe une large pluralité de profils, plus ou moins sensibles. 

Lorsque l'on constate la variété des individus suivis et leur nombre, on imagine sans mal qu'il soit délicat pour les forces de renseignement de mobiliser des moyens humains pour suivre à la trace chaque personne étiquetée "S". Yves Trotignon, ancien agent de la DGSE, confiait d'ailleurs à l'Obs en 2018 que les services n'ont "pas les moyens humains pour suivre toutes ces personnes signalées". 

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Thomas DESZPOT

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