Le procès Georges Tron renvoyé : comment en est-on arrivé là ?

par Maud VALLEREAU
Publié le 16 décembre 2017 à 0h20, mis à jour le 16 décembre 2017 à 1h15
Le procès Georges Tron renvoyé : comment en est-on arrivé là ?

Source : JACQUES DEMARTHON / AFP

JUSTICE - Le procès pour viols et agressions sexuelles de l'ex-secrétaire d'Etat Georges Tron a été renvoyé vendredi par la cour d'assises de Seine-Saint-Denis. La révélation publique d'une discussion confidentielle entre le président et les avocats a fini de faire chavirer l'audience.

Le procès de Georges Tron était-il possible dans le contexte post-scandale Weinstein ? La réponse affirmative semblait évidente. La justice a pourtant scellé à mi-parcours le sort de cette affaire : renvoyée à "une date ultérieure". Comment a-t-on pu en arriver là ? L'audience s’était ouverte mardi devant les assises de Seine-Saint-Denis et une nuée de caméras. L’ancien secrétaire d’Etat et actuel maire de Draveil (Essonne) ainsi que son ancienne adjointe à la culture Brigitte Gruel étaient poursuivis pour les viols et agressions sexuelles de deux anciennes employées municipales, Virginie Faux et Eva Loubrieu. 

Le calendrier judiciaire semblait d'ores et déjà ambitieux : 53 témoins à entendre en moins de neuf jours. Quant aux débats, ils étaient rapidement devenus houleux, les moments de tensions entre défense et parties civiles n'ayant fait que croître au fil des jours. La première plaignante avait été entendue jeudi et longuement questionnée, engendrant également hors prétoire une avalanche de commentaires critiques sur la rudesse du président Régis de Jorna face à une victime présumée de violences sexuelles. Mais en ce quatrième jour de procès,  il y avait surtout de l'électricité sur les rangs de la défense qui sautait d'incident en incident. 

Un reportage d’Envoyé Spécial sur France 2, consacré à l’affaire, avait été diffusé la veille avec le témoignage de l’une des plaignantes et d’une témoin qui n’avait pas encore déposée devant la cour. Vendredi matin, la défense avait dénoncé ce documentaire "scandaleux", en plein procès, ajoutant au passage la "mise en cause personnelle" du président dans des tweets et articles de presse. Les avocats agitaient alors la non-sérénité des débats et demandaient le renvoi du procès. Les parties civiles s’y opposaient. En début d’après-midi, la cour tranchait, rejetant la demande de la défense. Le procès pouvait continuer. 

Un échange confidentiel révélé publiquement

C'était sans compter sur l’avocat de Georges Tron qui se levait et entrait dans une colère noire, accusant le président d'être lui-même à l'origine de la demande de renvoi. Elle "ne vient pas de nous ! Il faut dire comment les choses se sont passées en réalité", hurle Eric Dupond-Moretti dans une salle surprise. Brisant ce que la profession appelle "la foi du Palais", des échanges confidentiels entre magistrats et avocats, l’avocat révèle une discussion qui s’est tenue avant le début des débats ce vendredi : le président y aurait expliqué son malaise face à sa mise en cause sur les réseaux sociaux. "Nous avons demandé le renvoi car vous avez dit que vous vous trouviez dans la difficulté, Monsieur le président. Vous avez dit que c’était difficile de poursuivre dans ces conditions, que vous vous interdisiez un certain nombre de questions. C’est indigne, on a fait ça pour vous soulager !, tonne la défense. Je ne veux pas que nous soyons piégés. Vous avez même dit que vous préfèreriez que ce soit une femme qui préside. L’avez-vous dit ?", interroge Dupond-Moretti.

L’interpellé répond maladroitement : "Je l’ai dit dans une conversation privée où vous n’étiez pas, je l’assume". Dès lors, les doutes de celui qui dirige les débats sont publiquement ébruités. Les avocats des parties civiles tentent de répliquer, le ton monte, le bâtonnier est demandé et l’audience est suspendue. Deux heures après, Eric Dupond-Moretti a adouci la forme mais pas le fond. S’il a révélé la teneur de la réunion, c’est, dit-il, pour "l’intérêt supérieur de son client". "C’est vous qui nous avez appelés Monsieur le président, vous nous avait part d’états d’âme qui vous honorent", poursuit-il. 

"Cette demande de renvoi n’est pas un enfumage, reprend encore l'avocat. Vous dites que vous étiez mis en cause de façon scandaleuse, vous avez été hashtagué comme porc. C'est honteux (...) Il y a dans cette salle une tension, un militantisme. C'est devenue une espèce d’enceinte où on vient militer. Il ne manque plus que cinq Femen seins nus ! Je comprends que cela vous affecte (...) Vous dites que vous auriez préféré que cela soit une femme qui préside ? Est-ce qu’on imagine le président du procès Merah dire qu’il préférerait que ce soit un musulman ? On ne peut pas continuer comme ça. Au pire, c’est un aveu d’incapacité, au mieux, une difficulté pour la défense. Les difficultés que vous éprouvez, il faut en tirer les conséquences". Et il demande au président "de se déporter". 

"Nous ne sommes pas des militants, nous sommes des avocats"

Me Braun, avocat d’Eva Loubrieu, réplique en écho :  "Les parties civiles sont consternées, on nous dit que nous sommes des militants, nous sommes des avocats, nous avons le droit de les appeler des victimes". "Oui", répète-t-il aussi, la stratégie de la défense, "c'est de l'enfumage". "La tension qui a marqué cette audience de façon incroyable, elle n'est aucunement le fait des parties civiles. Elle est intégralement de la responsabilité de la défense qui a développé une stratégie de bulldozer pour nous museler". 

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Me Ollivier, le conseil de Virginie Faux, abonde sur les "mauvais procédés" enrobés "de grands principes" des avocats des accusés. Et préfère retenir en place et lieu du #balancetonporc de la défense, "la libération de la parole des femmes".  "Vous croyez vraiment que dans six mois ces considérations auront disparu ?", interroge-t-il. L’avocat général enfonce le clou : "Cette demande de renvoi va sonner faux dans la population (…) L’opinion publique retiendra que vous n’avez pas voulu être jugé M. Tron". 

Car les parties civiles le savent, la messe est dite : les incidents d'audience répétés ont conduit à un retard trop important pour pouvoir entendre les 45 témoins restants avant Noël. C’est ce point que retiendra la cour pour motiver son renvoi. Mais d’autres retiendront que la première affaire symbolique de l’ère post Weinstein jugée en France a fait naufrage pour un reportage et quelques tweets... 


Maud VALLEREAU

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