Dix frères et sœurs maltraités dans le Nord : "Le monde des adultes n’a pas su repérer les signaux de ces enfants"

Propos recueillis par Caroline Quevrain
Publié le 4 septembre 2022 à 12h17, mis à jour le 4 septembre 2022 à 15h58

Source : JT 13h WE

Des cas de maltraitance sur dix enfants d’une même famille ont été découverts dans un logement de Noyelles-sous-Lens (Pas-de-Calais).
L'association "La Voix de l’Enfant", qui va se constituer partie civile, s’interroge sur les défaillances qui ont pu avoir lieu dans la prévention.
Entretien avec Martine Brousse, présidente de l’association.

Après la stupeur, le temps des questions. Alors qu’une fratrie de dix enfants maltraités a été découverte le 30 août par les services de police à Noyelles-sous-Lens (Pas-de-Calais), une enquête va maintenant devoir déterminer les conditions dans lesquelles ces enfants ont vécu et les sévices infligés par leurs parents. Et pour les associations, c’est un drame de plus qui aurait pu être évité. Rencontre avec Martine Brousse, présidente de "La Voix de l’Enfant".

Cette fédération de 80 associations de défense et de protection des enfants, qui travaille de concert avec le 119, ce numéro d’urgence mis en place par l’État, a l’intention de se constituer partie civile dans cette affaire dès lundi 5 ou mardi 6 septembre. Les parents, placés sous contrôle judiciaire, sont ressortis libres de leur audition samedi 3 septembre, dans l’attente d’un jugement en décembre prochain. Les enfants, eux, ont été placés provisoirement.

Le signalement à la police a été effectué par le fils aîné, âgé de 24 ans. Comment expliquer qu'il n'y ait pas eu de signalement jusque-là ? 

Martine Brousse : Je pense qu’il y a eu une chape de plomb dans cette affaire. Je n’ai de cesse que de rappeler que ce n’est pas dénoncer que de signaler des faits de violences dont on a connaissance. D’ailleurs, notre association, c'est déjà arrivé, peut poursuivre des personnes pour non-assistance à personne en danger. C’est trop important, on n’a pas le droit de se taire. Un enfant victime de violences meurt chaque semaine en France. 

Ces enfants sont confrontés à un véritable conflit de loyauté
Martine Brousse, présidente de "La Voix de l’Enfant"

Dans le cas de Noyelles-sous-Lens, beaucoup peuvent se demander pourquoi les enfants n’ont pas parlé. Attention à cela, il ne faut pas porter la responsabilité sur les enfants. Ils sont confrontés ici un véritable conflit de loyauté : d’abord, il y a la peur, mais aussi l’attachement à leurs parents. Ce n’est pas aux enfants de se protéger eux-mêmes. C'est aux adultes de le faire. 

Cette famille vivait dans un logement social, géré par une association et situé à deux pas de la mairie. La situation ne pouvait-elle pas être évitée ?

Il faut arrêter de penser que, lorsqu'elle est habite un logement social aujourd’hui en France, la famille est nécessairement suivie. Les manquements sont ailleurs. Il semble qu'elle était connue pour des violences, mais a aussi dix enfants. Ces enfants ont dû être malades au cours de leur vie, ils sont allés à l’école, et pour certains de manière irrégulière : dans ce cas, des signalements doivent être faits. 

Il y a une obligation pour l’Éducation nationale de signaler les absences non justifiées et répétées. On aura besoin de voir ce qui été fait ou pas fait au sein de l’Éducation nationale, puisqu'il y a toute une chaine qui doit être mise en place. Qu’a fait l’école ? Les services sociaux étaient-ils alertés ? Et les médecins ? En tant que professionnel, je pense que la plupart des enfants maltraités envoient des clignotants. Et que le monde des adultes n’a pas su repérer ces signaux. Il y a toujours des clignotants.

Que faut-il revoir en priorité dans les politiques publiques de protection de l’enfance ?

Avant tout, le repérage de ce type de situation et sa prise en charge doivent être améliorés. Seulement après, nous pourrons parler de la reconstruction de l’enfant. Aujourd’hui, il y a une vraie carence en matière de prévention. Il doit donc y avoir un renforcement des institutions, pour qu’elles travaillent ensemble, main dans la main et de concert avec la justice. Les personnels doivent être aussi mieux formés à repérer les cas de violence. Nous avançons doucement : la Voix de l’Enfant est par exemple à l’origine des salles d’audition en pédiatrie, où l’on recueille la parole de l’enfant victime.

Ce genre d’affaire n'est malheureusement pas inédite en France... 

Non, ce n’est pas rare. Ce qui est inédit, c’est le nombre d’enfants. Et c’est cela qui nous interpelle : comment dix enfants ont-ils pu passer sous silence ces violences pendant vingt-quatre ans ? C’est une véritable interrogation. Comment cette famille a pu passer sous les radars ? Ces enfants, avec un aîné âgé de 24 ans, ont été en grande partie scolarisés. Il y a les familles du père et de la mère, le voisinage, les amis... Comment se fait-il que personne n’ait informé de la situation ? Ça va être la question centrale. 


Propos recueillis par Caroline Quevrain

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