Le Dr Laurent Layet est psychiatre, expert auprès de la Cour de Cassation.Cinq jours après le meurtre de Lola, le spécialiste revient sur la criminalité chez les femmes et ses spécificités.Pour TF1info, il analyse notamment les hypothèses étudiées quant au mobile de l'auteur présumée des faits.
Cinq jours après le meurtre de Lola, 12 ans, dans la résidence du 19e arrondissement où vivait sa famille, la France entière est toujours sous le choc. La principale suspecte, une Algérienne âgée de 24 ans, en situation irrégulière, a été mise en examen lundi pour "meurtre", "viol" et "actes de barbarie ou tortures" sur mineure de 15 ans et placé en détention provisoire. Pendant sa garde à vue, elle a fait l'objet d'une visite médicale et le médecin qui l'a rencontrée a estimé que son état était compatible avec la mesure de retenue. Face aux enquêteurs, elle a reconnu les faits avant de se rétracter. Elle a également évoqué un mobile futile qui reste étudié tout comme celui du satanisme, pouvant être envisagé en raison des inscriptions retrouvées sur les pieds de l'enfant.
À l'occasion de ce terrible fait divers et alors que la mise en cause va faire l'objet d'une expertise psychiatrique approfondie, Laurent Layet, psychiatre, expert près de la Cour de Cassation, revient pour TF1info sur les spécificités de la criminalité chez les femmes et sur ce dossier.
L'auteure présumée du meurtre de Lola est une jeune femme. La criminalité féminine est-elle rare en France ?
Laurent Layet : Les femmes sont beaucoup moins impliquées dans des actes criminels que les hommes, ce depuis très longtemps. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais il suffit de regarder le nombre de places qui existent en détention pour les femmes par rapport à celui des hommes. On voit que la majorité de la population pénale incarcérée est constituée d'individus de sexe masculin. Plusieurs hypothèses sont faites pour expliquer cela : tout d'abord, les hommes ont plus des comportements qui vont vers l'agir et l'hétéro-agressivité. Chez les femmes, on s'est aperçu que quand il y a des problématiques de fonctionnement ou de troubles, la réaction se faisait plus dans un sens auto-agressif avec, par exemple, des automutilations.
Sur TF1 mardi soir, Jean-Pierre Bouchard, criminologue et psychologue, nous disait qu'il était "très rare" de voir une femme "être accusée d'une telle cruauté, notamment d'homicide d'enfant de cet âge-là". Il précisait que "les femmes en général dans les dossiers criminels étaient accusées principalement d'homicide sur leurs propres enfants". Confirmez-vous cela ?
Oui, les crimes les plus sordides que j'ai eu à examiner était plutôt dans des crimes intrafamiliaux, avec le passage à l'acte d'une maman sur ses enfants, ou parfois, sur un autre membre de la famille. Quand les actes ont été commis par une mère sur ses enfants, les circonstances sont souvent bien particulières : il s'agit en général soit de grossesses non désirées, comme dans le cas de l'affaire Véronique Courjault, soit de femmes qui ont des troubles, qui sont en dépression grave, et qui ont projeté à un moment donné de tuer leur(s) enfant(s) et de se donner la mort ensuite.
C'est un crime exceptionnel, avec cette unité de temps, de lieu et un auteur présumé qui est une femme.
Laurent Layet, expert-psychiatre
Dans l'affaire du meurtre de Lola, plusieurs hypothèses ont été évoquées quant au mobile : le satanisme, ou encore un motif futile, en l'occurrence, un pass qu'aurait refusé la maman de l'enfant à l'auteure présumée des faits pour accéder à l'immeuble. Chez les patients que vous avez pu expertiser, était-il fréquent que le mobile du crime soit futile ?
Non. Quand j'ai rencontré des femmes qui avaient commis des crimes pour un motif "assez futile", c'était de la violence réactionnelle, quelque chose d'instantané dans un conflit direct. On leur refuse quelque chose et la réponse est un geste agressif, lancé comme ça. C'était vraiment une violence impulsive et réactionnelle. Personnellement, un motif futile qui aboutisse à un acte aussi sordide et organisé, je ne l'ai jamais eu ou vu. C'est un crime exceptionnel, avec cette unité de temps, de lieu et un auteur présumé qui est une femme. Après, le mobile peut avoir été déclencheur, avec des troubles psychiques qui ont pris le relais. L'un n'exclut pas forcément l'autre.
Quid de l'hypothèse du satanisme ?
Quand on parle de satanisme ou de croyance, il peut être ajouté à cela l'origine ethnique, les croyances religieuses qu'il y avait derrière, voire les croyances mystiques. La dimension mystique va-t-elle jusqu'à être pathologique ? La personne entend-elle des voix ? A-t-elle des idées délirantes ? En tout cas, s'il s'agit de satanisme, il n'y a pas de pathologie mentale. Si c'est une pathologie mentale, il faut la rechercher du côté de la psychose, du délire, de la schizophrénie.
La procureure de la République de Paris a confirmé lundi que Lola avait été violée, torturée et qu'elle avait subi des actes de barbarie. L'auteure présumée du meurtre a été maintenue en garde à vue et n'a pas été internée d'office...
Son état a été jugé compatible avec la mesure de garde à vue. Mais tous les experts psychiatres vous le diront, et c'est d'ailleurs ce qui sera fait : un déferlement aussi important de violence et une mutilation du corps sur un enfant de 12 ans nécessitent un examen approfondi de l'état mental du sujet. Ce type de comportement peut vraiment ressembler à ce que l'on voit dans certaines pathologies mentales ou psychiatriques comme la schizophrénie, la psychose, des troubles hyper délirants. L'expert mandaté livrera ses conclusions quand il aura vu cette femme.
Plusieurs médias ont rapporté qu'au cours de sa garde à vue, l'auteure présumée n'aurait eu aucune réaction face aux photos de sa victime. Comment interprétez-vous cela ?
L'absence de réaction émotionnelle peut être interprétée de plusieurs façons. Soit, on est dans la pathologie mentale, avec la schizophrénie ou la psychose, une froideur émotionnelle qui s'installe. Soit, il y a la dimension "traumatique", c'est-à-dire que même si l'on a commis les faits, on peut se retrouver dans un phénomène de sidération par la suite.