Lisa, 3 ans, battue à mort : pourquoi les violences n'ont pas été signalées ?

Publié le 27 septembre 2023 à 14h18, mis à jour le 28 septembre 2023 à 17h46

Source : JT 20h Semaine

Lisa, 3 ans, est décédée dans la nuit de samedi à dimanche, après avoir été battue à mort.
La mère de la fillette et son beau-père ont été mis en examen pour "meurtre" et incarcérés.
Les violences duraient depuis des mois mais aucun signalement n'aurait été fait.

Un traumatisme pour les quelque 5000 habitants de Conches-sur-Ouche (Eure) et la sidération dans toute la France. Quatre jours après la mort de Lisa, 3 ans, les interrogations sont multiples. 

La fillette est décédée dans la nuit de samedi à dimanche au CHU de Rouen à 1H53 du matin où elle avait été transférée après avoir été prise en charge, inanimée, par les secours au domicile familial. Elle présentait, au moment de sa prise en charge, de multiples hématomes d'âges différents. 

Sa mère âgée de 27 ans et son beau-père, âgé de 29 ans, tous deux sans profession, connus respectivement pour une affaire de stupéfiants et pour infractions routières, ont été mis en examen pour "meurtre sur mineur de 15 ans et violences" et incarcérés. La mère est également poursuivie pour privation de soins et non dénonciation. 

Ce drame aurait-il pu être évité ? Pourquoi personne n'a rien vu, rien dit ? Des investigations sont actuellement menées pour vérifier plusieurs points, notamment au niveau de l'école et au niveau des voisins et des proches de la famille. 

La directrice de l'école maternelle suspendue

Certaines mesures ne se sont pas fait attendre. Informés le lundi 25 septembre du décès de Lisa, née le 3 octobre 2019 et scolarisée en moyenne section à l'école maternelle Le Chêne au Loup de Conches-en-Ouche, la Direction des services départementaux de l'Éducation nationale (DSDEN) de l’Eure et le rectorat de l'académie de Normandie ont décidé de suspendre la directrice de l'école maternelle à titre conservatoire et de diligenter une enquête administrative afin de faire la lumière sur la chaîne de signalement des faits par les services de l'Éducation nationale.

"La suspension à titre conservatoire de la directrice n'est en aucun cas une sanction, mais pour protéger la directrice de l'exposition médiatique le temps de l'enquête", a précisé le rectorat ce mercredi. 

Dans un communiqué intitulé "L'Opprobre", le Syndicat des directrices et des directeurs d’école de l’Education nationale (S2dé), minoritaire, dénonce cette suspension et regrette que le directeur ou la directrice d'école soit "le fusible idéal pour endosser toutes les responsabilités, tous les maux de notre pays". "L’enquête nous établira certes la vérité et les responsabilités de chacun mais tout le monde devrait être coupable: les voisins qui entendaient les nombreuses disputes selon leurs propres déclarations, la mairie de Conches-en-Ouche où habitait cette famille, les commerçants où ils faisaient leurs achats, la personne qui aurait appelé le 119 et l’interlocuteur qui aurait dit de rappeler…", liste le syndicat, qui dit avoir écrit au ministère de l’Éducation nationale pour demander "en urgence une entrevue"."Hier, nous avons été bouleversés, aujourd’hui, nous sommes écœurés par cet opprobre", conclut le communiqué. 

 Des vérifications sont actuellement menées. On ignore si d'autres professionnels de l'éducation pourraient être suspendus à titre conservatoire après ce drame. 

Selon le procureur, Lisa "n'aurait pas été scolarisée la semaine précédent le drame". Pourquoi personne ne s'est inquiété de cette longue absence ?

Des violences commises depuis très longtemps

Lisa a été retrouvée inanimée samedi soir par les pompiers dans la maison du couple qui se trouvait, selon le procureur, "dans un état de propreté et d’hygiène déplorables" avec "le plus grand désordre" dans toutes les pièces.  Le médecin qui a vu la victime au CHU a écrit dans son rapport qu'elle présentait "des hématomes d’âges différents affectant l’ensemble du corps".

 

Au cours de leur garde à vue, la mère et le beau-père de l'enfant ont d'abord voulu faire croire que sa fille avait fait une crise de colère, qu'elle était tombée et qu'elle s'était blessée.  Ils ont fini par reconnaître face aux enquêteurs qu'ils exerçaient régulièrement des violences sur la petite fille, pour la punir lorsqu’elle n’était pas sage.

Interrogée sur la date à laquelle ces faits de violences ont débuté, la mère de Lisa a expliqué que tous les deux ont commencé à frapper la petite fille deux ou trois mois après leur mise en ménage, soit à la fin 2022-début 2023, et que les violences exercées par son compagnon se sont accrues depuis 3 ou 4 mois, époque à laquelle le père de celui-ci est décédé. Les deux ont giflé l'enfant à plusieurs reprises. Le beau-père a été beaucoup plus loin. Selon la mère de Lisa, il exerçait "des bousculades de façon à faire tomber la fillette" et "des étranglements, jusqu’à ce que la petite convulse".  

"Le récit qu’il a fait de certaines de ces scènes de violences est difficilement soutenable, et je n’en dirai pas plus. Simplement, il ressort de son audition qu’à plusieurs reprises au cours des dernières semaines ou des derniers mois, Lisa avait déjà perdu connaissance du fait de ces violences" a déclaré hier le procureur de la République d'Evreux, Rémi Coutin.  

Un appel au 119 ?

Si les violences duraient depuis la fin 2022, est-il possible que personne ne se soit rendu compte de rien? La petite fille présentait nécessairement des séquelles apparentes consécutives aux coups portés, est-il possible que dans une école maternelle personne n'ait rien vu ? Se peut-il que les voisins n'aient rien entendu alors que la violence était extrême et la douleur, il n'en faut pas douter, intense? 

"Dans la mesure où la petite fille était scolarisée au moins depuis la rentrée de septembre 2023, en moyenne section de maternelle, on peut s’interroger sur le fait qu’il n’y ait pas eu de remontée d’informations, a souligné le magistrat. De la même façon, il semblerait qu’une amie de la famille ait voulu, quelques jours avant les faits, signaler les faits via le numéro 119, mais que son appel n’a pu aboutir, et qu’elle ne l’a pas renouvelé ensuite." Des investigations supplémentaires ont été diligentées
par le parquet d'Évreux pour confirmer ou infirmer ces dires. 

Interrogé sur cet éventuel appel au 119, Service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger, le Secrétariat d'État chargé de l'Enfance n'avait pas répondu à notre demande sur cette question mercredi à 13h20 .

Le frère de 6 ans lui aussi frappé

Le frère aîné de Lisa, qui se trouvait lui aussi au domicile familial la nuit du drame, n'a pas échappé aux coups. Le couple a également reconnu s’être également livré de façon régulière à des violences, mais de moindre intensité, sur ce petit garçon de six ans. 

Ce dernier a-t-il parlé de ces violences commises au sein de la cellule intra-familiale à l'école ou à des proches de la famille ? Présentait-il lui aussi les traces corporelles consécutives à ces violences ? Pris en charge par les services de l'Aide sociale à l'enfance, son témoignage sera essentiel à l'enquête. 

Aucun signalement

"À la présente date, il est établi que ni la justice, ni la gendarmerie, ni l’Aide sociale à l’Enfance n’avaient reçu de signalement au sujet de la situation de cette enfant" a assuré le procureur mardi

L’information judiciaire ouverte va tenter de déterminer les responsabilités respectives de la mère et du beau-père dans l’origine du décès de la fillette, ainsi que la période depuis laquelle celle-ci était victime de violences. "Elle va aussi chercher à déterminer si d’autres personnes ont eu connaissance de cette situation et si le décès de Lisa aurait peut-être pu être empêché", a précisé le magistrat. 


Aurélie SARROT

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