A LA LOUPE - Après la libération par les forces spéciales, au prix de la mort de deux militaires, de Patrick Picque et Laurent Lassimouillas, enlevés le 1er mai pendant un séjour touristique au Bénin, la question de la prise de risque dont ils ont fait preuve suscite de vives critiques. "Certainement aurions-nous dû prendre d'avantage en considération les recommandations de l'Etat et éviter de nous rendre dans cette partie du monde", ont- ils reconnu à leur arrivée en France. La zone du parc de Pendjari était-elle pour autant classée en rouge comme le laissait entendre le ministère des Affaires étrangères ?
Les deux Français enlevés pendant un séjour touristique dans le parc béninois de la Pendjari ont-ils fait preuve d'inconscience ? Leur présence dans cette zone suscite des interrogations et même de l'indignation depuis l'annonce de leur libération, dans la nuit du 9 au 10 mai au Burkina Faso, par les forces spéciales, au prix de la mort de deux militaires. Le Bénin était jusque-là épargné par l'insécurité en Afrique de l'Ouest et aucun enlèvement de ce type n'avait jusqu'alors été recensé. Mais pour autant, le ministère des Affaires étrangères déconseillait formellement aux voyageurs de se déplacer dans l'extrême-nord du pays, frontalier du Burkina et du Niger, "compte tenu de la présence de groupes armés terroristes".
"La zone où étaient nos deux compatriotes était considérée depuis déjà pas mal de temps comme une zone rouge, c'est-à-dire une zone où il ne faut pas aller, où on prend des risques majeurs si on y va", a ainsi précisé le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, ce samedi sur Europe 1. Comment alors expliquer la présence des deux Français, accompagnés d'un guide local, dont le corps a été retrouvé et identifié, dans une zone, proche de la frontière avec le Burkina Faso, habituellement peu fréquentée et potentiellement à risques ? Inconscience totale ? Risque calculé ? Ou manque d'information ?
"Certainement aurions-nous dû (...) éviter de nous rendre dans cette magnifique partie du monde"
"Les conseils aux voyageurs ce ne sont pas des voeux pieux, ce sont des incitations impératives", a rappelé Jean-Yves Le Drian en s"adressant aussi aux agences de voyage. Après leur arrivée sur le sol français, Patrick Picque et Laurent Lassimouillas ont reconnu qu'ils auraient dû éviter de se rendre dans cette région du Bénin. "Certainement aurions nous dû prendre d’avantage en compte les recommandations de l’Etat" et "éviter de nous rendre dans cette magnifique partie du monde", ont ils expliqué dans une déclaration commune.
Un classement à risque qui a beaucoup varié
Le parc du Pendjari n'a cependant pas toujours été classé en zone "rouge". Ainsi , selon les cartes publiées par le ministère des affaires étrangères, le classement de la zone a même beaucoup varié ces derniers mois ce qui pourrait nuancer la connaissance du risque qu'encouraient les deux touristes français. En avril dernier, seule la zone frontalière est en rouge, selon une carte repérée par Marianne. Suite à l'enlèvement, l'ensemble du parc passe en zone classée "rouge". D'autres cartes plus anciennes n'évoquent eux qu'une "vigilance renforcée". Quel était donc le niveau précis de connaissance de la dangerosité de la zone ? Seule l'audition des deux Français permettra de le déterminer. "La zone frontalière du parc avec le Burkina a été classée rouge le 10 décembre", précise le Quai d'Orsay à LCI. "Et la grande majorité du parc a été classé en zone orange à cette même date. Par ailleurs, le nom du parc de la Pendjari est nommément écrit dans la notice." Où l'enlèvement a-t-il eu lieu précisément ? "D’après le Quai d’Orsay, le véhicule des touristes et la dépouille du chauffeur ont été retrouvés tout près de la frontière, donc en zone rouge."
#Otages libérés au #BurkinaFaso : inconscients ou mal informés ? @WilliamMolinie s'est penché sur le tracé des zones à risque 👇 pic.twitter.com/LL78pMoWLh — LCI (@LCI) 11 mai 2019
*La carte visible en avril est en effet sourcée du 10/12/2018 mais seule la frontière avec le Burkina Faso y est en rouge, toujours pas la Pendjari, qui n'est toujours pas citée dans les consignes de sécurité. Ci dessous : avant le 10 mai (g.)/après le 10 mai (dr.) pic.twitter.com/LzHHgEhBY9 — Thomas Vampouille (@tomvampouille) 11 mai 2019
"Les visiteurs veulent voir le lion"
A en croire un professionnel du tourisme interrogé par Le Monde, la présence des deux Français à cet endroit de l'extrême nord du Bénin pourrait s'expliquer, par ailleurs, par des facteurs climatiques. La sécheresse dans la région aurait en effet poussé les animaux dans ce secteur du parc riche en points d'eau. "Certes, (les deux Français) étaient dans une zone proche de la frontière avec le Burkina Faso que l’on ne fréquente pas habituellement. Mais à cause de la sécheresse, on y emmenait des touristes ces derniers temps. Il y a là des points d’eau où viennent s’abreuver buffles et les éléphants", explique ainsi Eddie Celle, patron d’une agence touristique spécialisée dans les excursions dans cette zone préservée.
"Les visiteurs veulent voir le lion, ils veulent voir les éléphants, les hippopotames, même le guépard qui est très très très discret", avait de son côté réagi un guide touristique béninois à l'AFP après la découverte du corps sans vie d'un de ses confrères, le samedi 4 mai. "Donc quand ils arrivent comme ça, vous en tant que guide vous devez regarder et quand vous ne trouvez pas ça vous emmène à chercher et à aller jusqu'à la mare Tiabiga", avait-il poursuivi dans un témoignage face caméra, repris par Le Figaro. Et le professionnel de conclure : "Et moi, les quelques fois où je vais là-bas, j'ai quand même vu des lions dans la zone donc c'est vraiment trop important, ça donne le sourire aux visiteurs, ils sont contents et après, vous-même, vous êtes content."
La question à laquelle les deux ex-otages devront désormais répondre est simple : savaient-ils qu'en se rendant plus au nord, ils s'exposaient à des risques ? Ont-ils suivi les conseils de leurs guides ou, au contraire, ont-ils insisté pour se rendre dans cette zone rendue d'autant plus dangereuse que la rivière - frontière naturelle avec le Burkina - était devenue plus facilement franchissable par des groupes armés en raison de la période sèche ? Si les responsabilités sont encore à définir dans cette affaire, les critiques, elles, sont déjà vives sur les réseaux sociaux.
#Otages Je ne voudrais pas être à la place des familles des militaires tués. Très vite, il n'y en eut que pour les otages. Ministres, médias, tt le monde parle d'exploit. Personne ne pose la question: pourquoi ces touristes(?) s'étaient trouvés dans 1 territoire réputé à risques? — Salah Guemriche (@SGuemriche) 10 mai 2019
Monsieur le Président, N’allez pas aujourd’hui accueillir les otages libérés du Burkina Faso. Ni aucun ministre. Qu’ils rentrent dans leur famille dans la discrétion et le recueillement. Pour la mémoire de nos 2 soldats morts pour eux et pour la paix de leurs familles #décence pic.twitter.com/80hgHcKRjX — Ph. de Longevialle (@delongevialleph) 11 mai 2019
Bravo les otages du Burkina. A cause de leur bêtise irresponsable ,deux soldats sont morts et avec ça Macron va leur rendre les honneurs. J'espère qu'il s ont honte . — Marsaud Pierre (@MarsaudPierre) 11 mai 2019
Peut-on au moins ne pas accueillir les otages libérés en héros par respect aux soldats martyrs, ils sont responsables par leur imprudence (la tentation de récupération politique est grande et indigne). — Imed Magroune (@imedmagroune2) 10 mai 2019
"La menace a changé de forme"
Les attaques jihadistes, concentrées initialement dans le nord du Mali, se sont étendues vers le centre du pays puis vers le Burkina Faso et menacent désormais les pays côtiers du Golfe de Guinée, jusque-là épargnés. "La menace a changé de forme, elle est devenue beaucoup plus mobile et ce sont maintenant les pays situés au sud du Mali qui sont les cibles, avec des fragilités singulièrement au Burkina Faso mais même dans le nord du Bénin", a insisté samedi Jean-Yves Le Drian, invitant les touristes à "la plus grande précaution dans ces régions".
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