Procès Le Scouarnec : ces alertes qui auraient pu "arrêter la machine beaucoup plus tôt"

par Léa LUCAS
Publié le 30 novembre 2020 à 18h39, mis à jour le 30 novembre 2020 à 20h42

Source : TF1 Info

JUSTICE - Le procès du pédophile présumé Joël Le Scouarnec, accusé de viols et agressions sexuelles sur plus de 300 enfants, a ouvert ce lundi. De nombreuses victimes se demandent si agissements n'auraient pas pu être stoppés plus tôt.

"Je suis pédophile et le serai toujours", peut-on lire dans les carnets intimes retrouvés en 2017 au domicile de Joël Le Scouarnec, jugé depuis ce lundi aux assises de Saintes pour des viols et agressions sexuelles sur quatre mineurs au moment des faits, mais qui a également été mis en examen pour des faits similaires sur plus de 300 enfants depuis la fin des années 1980. Et si ces écrits avaient été retrouvés plus tôt ? En 2005, par exemple, lorsque la justice s'est intéressée pour la première fois au chirurgien ? 

Joël Le Scouarnec avait alors été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir fréquenté des sites pédopornographiques. Les enquêteurs s'étaient bien rendu chez lui, mais ils n'avaient trouvé aucune image litigieuse. Et n'avaient pas mis la main sur ses carnets personnels, qui auraient pu faire basculer l'affaire douze ans plus tôt. 

C'est sur dénonciation du FBI pour des achats illégaux sur un site russe de pédopornographie qu'il avait été repéré, comme 2.400 autres Français, puis jugé à Vannes. Mais la justice n'a à l'époque pas su déceler le pédophile présumé, déplore Francesca Satta, l'avocate des parents d'une victime présumée. "On est allé enquêter dans son lieu privé, mais pas professionnel", s'indigne-t-elle. 

C'est "incompréhensible", poursuit l'avocate. "Si on avait osé ouvrir le placard de ce dernier, on aurait pu arrêter la machine beaucoup plus tôt. Donc, d'une part, on a sans doute une enquête qui n'a pas été poussée à son terme. Et d'un autre côté, on a un silence des institutions médicales qui, pour des raisons que j'ignore encore à ce jour, ont permis quelque part que ces exactions puissent continuer en toute impunité."

À l'issue de cette première alerte, le médecin n'aura ni obligation de soins, ni interdiction d'exercer son métier au contact des enfants. Il fera profil bas, puis recommencera quelques jours après, comme l'atteste son épouvantable journal intime retrouvé ultérieurement. 

Un collègue lance une deuxième alerte

Une seconde fois en 2006, une alerte est donnée. Le psychiatre spécialisé en criminologie Thierry Bonvalot est alors interpellé par certains des comportements de son collègue. "J'ai donné mon avis sans preuve", regrette-t-il aujourd'hui. C'est une opération ratée de l'appendicite d'un enfant qui lui met la puce à l'oreille. "Il me parle de l'intervention médicale comme il m'aurait raconté une relation sexuelle avec l'enfant, relate celui qui présidait à cette époque la commission médicale d’établissement de l’hôpital de Quimperlé (Finistère) où exerçait Le Scouarnec. En tant que psychiatre, je l'entends de suite. C'était : 'je l'ai pénétré', 'je me suis retiré', 'ça a saigné'. Tout son récit était tissé de métaphores sexuelles."  

Lorsque qu'il découvre la condamnation dont a écopé son collègue, Thierry Bonvalot décide de le mettre face à ses responsabilités. Il se souvient lui avoir expliqué "qu'une situation compliquée interférait avec la pratique chirurgicale, que cela le rendait dangereux quand il opérait, que sa place n'était pas à l'hôpital." "Je lui ai demandé de démissionner", résume le psychiatre. "Vous ne pouvez pas m'y obliger", avait rétorqué le chirurgien. "Il n'a pas contesté ce que je lui disais", relève a posteriori Thierry Bonvalot. 

"Je me demande tous les jours : 'qu'est-ce que j'aurais pu faire pour faire valoir ma position d'une manière plus entendable ?'
Thierry Bonvalot

Celui-ci écrit alors au directeur de l'hôpital, en rappelant le parcours judiciaire du médecin, et s'interroge quant à sa capacité d'exercer auprès de jeunes patients. Mais rien y fait, le chirurgien continuera d'opérer pendant 12 ans. "Je me demande tous les jours : 'qu'est-ce que j'aurais pu faire pour faire valoir ma position d'une manière plus entendable ?' Je n'ai pas la réponse", conclut Thierry Bonvalot. 

En 2008, le chirurgien, père de trois fils, s'installe dans le Sud-Ouest, à l'hôpital de Jonzac, où un ralentissement des agressions sexuelles est constaté. Jusqu'au moment où son parcours pédocriminel prend définitivement fin en 2017, lorsqu'une fillette de 6 ans, Lucie, raconte à ses parents ce que lui a fait subir Joël Le Scouarnec. Le début d'une affaire qualifiée de "hors normes" par le procureur de la République de Lorient Stéphane Kellenberger.


Léa LUCAS

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