Procès Balladur : la défense dénonce des "faits d'un autre temps" et réclame la relaxe

Alexandra Guillet
Publié le 4 février 2021 à 15h48
Procès Balladur : la défense dénonce des "faits d'un autre temps" et réclame la relaxe

PLAIDOIRIES - Au dernier jour du procès d’Edouard Balladur et François Léotard devant la Cour de Justice de le république mercredi, les avocats de l’ancien Premier ministre ont plaidé la relaxe, fustigeant une accusation basée sur des "suppositions" et "non des preuves" et mettant en avant la prescription des faits.

"Edouard Balladur est innocent des accusations de complicité d’abus de biens sociaux et de recel dont il est accusé depuis 12 ans !", a martelé ce mercredi la défense d’Edouard Balladur devant la Cour de Justice de la République. L’ancien Premier ministre et son ancien ministre de la Défense François Léotard y sont poursuivis depuis deux semaines pour des soupçons de financement occulte de la campagne présidentielle de 1995.

Deux heures et demie durant et en l’absence de leur client, Me François Martineau et Me Felix de Belloy se sont appliqués à battre en brèche les arguments de l’accusation qui, à l’issue d’un sévère réquisitoire, a requis mercredi un an d’emprisonnement avec sursis et 50.000 euros à l’encontre Edouard Balladur et 2 ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende à l’encontre de François Léotard. 

Des faits "d’un autre temps"

"Vous êtes saisis de faits d’un autre temps", entame Maître Martineau, premier avocat à mener la charge. C’était il y a "plus d’un quart de siècle", "une époque où on parlait en francs", "où les hommes politiques utilisaient l’imparfait du subjonctif", "une époque où les espèces pouvaient librement circuler", "où la corruption des agents étrangers dans les contrats internationaux était autorisée et déductible fiscalement".  

Il est reproché à Edouard Balladur d'avoir en partie financé sa campagne présidentielle via des rétrocommissions illégales en marge d'importants contrats d'armement passés avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite. Au cœur des débats : une somme de 10,2 millions de francs, qui, selon l’accusation aurait été retirée en espèce en Suisse le 7 avril puis versée le 26 avril sur le compte de campagne de l’ancien candidat. 

"Des suppositions" mais "pas des preuves"

Debout face à la cour Maître Martineau fustige une instruction "à charge", au cours de laquelle "toutes les règles de droit se sont effacées face à l’impérieuse nécessité de faire le lien entre les contrats d’armement et le compte de campagne d’Edouard Balladur", dénonçant "un raisonnement par hypothèses", "par suppositions", aboutissant à une accusation "sans preuve" qui repose uniquement "sur la concordance étonnante" entre le retrait en Suisse et le versement sur le compte de campagne. "Edouard Balladur vous a souligné le caractère aberrant de vouloir sortir 34 millions d’euros pour n’en prendre qu’1,4 !", lance à son tour Me Felix de Belloy. 

"Il faut arrêter de dire que ce sont les mêmes billets"

"Nous n’avons pas, 25 ans après les faits, à justifier le financement de la campagne. Un financement, que cela vous plaise ou non, qui a été validé par le conseil constitutionnel", martèle-t-il au sujet d’une affaire qu’il qualifie de "délirante" et dont les faits, même si la cour de Cassation s’est déjà prononcée sur la question, sont "prescrits" et même "archi-prescrits"

Pour la défense, l’argent ne provient pas des rétro commissions mais bien des meetings et de la vente de produits dérivés. "Les histoires de gadgets et de tee-shirt ont fait beaucoup rire", concède-t-il, "mais on sait que c’est portion congrue" des sommes concernées. "L’essentiel vient des collectes". "Il y a eu des centaines de meetings, une cinquantaine en présence d’Edouard Balladur, avec plusieurs milliers de personnes à chaque fois, plus de 20.000 au Bourget !". 

 

Il enchaîne sur la nature des billets de banque, ces fameux 10 millions, qui seraient passés de la Suisse à la France. Presque théâtral, face à un auditoire captivé, l’avocat décrit les billets retirés en Suisse : "des billets de 500 francs, neufs, enliassés". Quand ceux qui ont été déposés à Paris étaient "usagés" "rabougris",  "en vrac", "de toutes les valeurs". "Ils étaient des billets de 500 francs fiers de l’être et les voilà en petites coupures …  les voilà mystérieusement libérés dans une folle danse !", raille-t-il avant de tonner "Il faut arrêter de dire que ce sont les mêmes billets !".

Quant à la troisième piste de financement possible, celle des fonds secrets de Matignon, l’avocat ne l’accrédite pas plus que l’accusation mais il s’en sert pour mieux appuyer sa démonstration selon laquelle son client n’avait aucun intérêt à mettre en place un système de rétrocommissions. "Le Premier ministre avait à sa disposition 200 millions de francs… une cash machine à portée de main ! … Pas d’intermédiaire à embaucher, pas de frontière à traverser !". 

"N’espérez pas convaincre l’opinion"

Felix de Belloy résume : "Ce dossier est une espèce d’énorme bâtisse mais, quand on s’approche, chaque pierre est du sable, du vent". Sans surprise il demande la relaxe pour son client. Dans une dernière adresse à la Cour, composée de 3 magistrats professionnels et de 12 parlementaires, il met en garde : "Il y a une énorme pression médiatique sur vos épaules, et sur la Cour de Justice de la République, depuis très longtemps". "N’espérez pas convaincre l’opinion. Ce combat de la popularité est perdu. Même si vous allez dans le sens des réquisitions, ils diront : Justice des puissants!”"  Mais, insiste-t-il, "la justice est une œuvre de droit, elle n’est pas là pour plaire. Vous prononcerez la relaxe d’Edouard Balladur, ce sera l’unique façon d’honorer votre serment". 

Absents tous les deux, les prévenus n’auront pas le dernier mot souligne le président. La CJR rendra son arrêt le 4 mars prochain. 

 


Alexandra Guillet

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