Pourquoi Bernard Tapie est-il de nouveau jugé ?

par Elodie HERVE
Publié le 11 mars 2019 à 6h45, mis à jour le 12 mars 2019 à 1h40

Source : La matinale

JUSTICE - Bernard Tapie a-t-il escroqué l'Etat français ? Plus de dix ans après l'arbitrage qui lui avait accordé 403 millions d'euros pour solder son litige avec le Crédit Lyonnais, l'homme d'affaires est jugé à partir du lundi 11 mars devant le tribunal correctionnel de Paris.

A 76 ans, Bernard Tapie a connu plusieurs vies. La gloire, le pouvoir, l'échec et la ruine. Affaibli par un cancer de l'estomac, avec extension sur le bas de l’œsophage, le sulfureux homme d'affaires s'apprête à affronter ses juges, dans ce qu’il nomme "l’affaire de sa vie". Trois semaines d'audience pour lesquelles il a arrêté tout traitement médical. 

De quoi est accusé Bernard Tapie ?

Le patron du groupe de médias La Provence doit répondre de faits d'"escroquerie" et de "détournement de fonds publics". Il est accusé d'avoir mis en place un "stratagème" lui garantissant un arbitrage favorable dans l’affaire qui l’oppose au Crédit Lyonnais. 

Pour les juges, l’homme d’affaires aurait activé "de façon incessante ses soutiens politiques dans l'appareil d'Etat" pour qu'ils privilégient la voie arbitrale. Une stratégie qui lui a valu, en juillet 2008, d'obtenir d'un tribunal arbitral privé 403 millions d'euros, dont 45 millions pour "préjudice moral". Un arbitrage aujourd'hui remis en cause. De son côté, Bernard Tapie affirme avoir des documents "explosifs" sur le Crédit Lyonnais.  

C'est quoi cette histoire d'arbitrage privé ?

Tout commence en juillet 1990. Le président de l’Olympique de Marseille (OM) achète Adidas pour l'équivalent de 362 millions d'euros. Nommé ministre de la Ville, deux ans plus tard, il est sommé par le Premier ministre, Pierre Bérégovoy, de revendre ses sociétés pour éviter tout conflit d’intérêts. Bernard Tapie se tourne alors vers sa banque, le Crédit Lyonnais, à qui il confie le mandat de vente d'Adidas. Le nouveau ministre récupère 441 millions d’euros auprès d'un groupe d'investisseur dont fait partie le Crédit lyonnais. L'année suivante, Bernard Tapie est placé personnellement en liquidation judiciaire et Adidas passe, pour 701 millions d'euros, sous le contrôle de Robert Louis-Dreyfus. S’estimant floué, il réclame la différence.

Entre temps, la banque est sauvée de la faillite par l'Etat français. Et un Consortium de réalisation (CDR) est créé en mars 1995 pour éponger ses dettes. Commencent alors plusieurs années de procès, entre le CDR et Bernard Tapie. Les décisions des tribunaux se suivent jusqu'en 2005, neuf ans après le premier jugement. La cour d’appel condamne le CDR à verser 135 millions d’euros à l’homme d’affaires. L'année suivante, la Cour de cassation annule cette décision et rejette toute erreur de la banque. Retour à la case départ. 

Pour clore ce chapitre judiciaire, les deux parties vont s'accorder pour un arbitrage. L'Etat explique que les frais de justice sont trop importants pour continuer les allers-retours devant des tribunaux. En juillet 2008, le tribunal arbitral rend sa sentence, le CDR doit verser 400 millions d'euros à Bernard Tapie, dont 45 pour préjudice moral. Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie, renonce à tout recours. 

Et c'est cet arbitrage qui va être contesté sous la présidence de François Hollande, puis annulé en 2015. Deux ans plus tard, Bernard Tapie, est condamné à rendre l'intégralité de la somme. Pour les créanciers, la dette s'élève désormais, avec les intérêts, à près de 525 millions d'euros.

Est-ce une affaire une affaire d’Etat ?

Après six ans d'instruction, les juges considèrent cet arbitrage comme "frauduleux". Bernard Tapie est soupçonné d'avoir fait pression sur ses soutiens à l'Elysée pour obtenir un arbitrage, malgré l'hostilité d'administrations publiques, favorables à une résolution judiciaire classique. Une fois la sentence rendue, il aurait tout fait pour que Bercy n'engage pas de recours.

Cette absence de recours a valu à Christine Lagarde, fin 2016, une condamnation pour "négligence" ayant permis le détournement de fonds publics. Mais elle a été dispensée de peine par la Cour de justice de la République, seule habilitée à juger les ministres pour des faits commis dans l'exercice de leurs fonctions. L'ancienne ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie est aujourd'hui directrice générale du FMI.

L'autre question soulevée par ce nouveau procès est celle du rôle joué par Nicolas Sarkozy dans cette affaire. Pendant l’instruction, Bernard Tapie a expliqué le connaître "depuis qu’il est maire de Neuilly", soit depuis 1983. Mais il s’est défendu d’être son ami, ou que Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée, le soit, raconte Le Parisien. Dans les archives de la présidence de la République, cependant, 50 rendez-vous ont été recensés entre juin 2007 et avril 2012, dont douze avec Nicolas Sarkozy. Pour les juges, même si l'intégralité de ces visites n'est pas en rapport avec l'arbitrage, ils sont convaincus que "nombre d’entre elles", avant et après l’arbitrage, "étaient directement en lien avec l’affaire Adidas". 

Qui sont les autres prévenus ?

Cinq personnes comparaissent aux côtés de l'ancien patron de l'Olympique de Marseille : son ancien avocat Maurice Lantourne, le patron d'Orange Stéphane Richard, directeur de cabinet de la ministre de l'Économie Christine Lagarde à l'époque des faits, l'un des trois arbitres ayant rendu la sentence frauduleuse, Pierre Estoup, et les deux ex-dirigeants des entités chargées de gérer le passif du Crédit Lyonnais, Jean-François Rocchi et Bernard Scemama. 

Son ancien directeur de cabinet Stéphane Richard, qui conteste avoir outrepassé son rôle et dissimulé des informations d'importance à la ministre, "est impatient de pouvoir s'expliquer publiquement et entend bien démontrer que les griefs invoqués contre lui sont sans aucun fondement", souligne l'un de ses avocats, Jean-Etienne Giamarchi. En cas de condamnation, son maintien à la tête d'Orange serait fortement compromis.

Tous sont renvoyés pour "complicité de détournement de fonds publics" et pour "escroquerie" ou "complicité d'escroquerie", accusés d'avoir mis en place un arbitrage qu'ils savaient favorable à l'homme d'affaires. Le procès doit se tenir jusqu'au 5 avril. 


Elodie HERVE

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