Procès de l'attentat de Nice : après la mort de Laura, "notre famille s'est déchirée"

Publié le 21 septembre 2022 à 22h17

Source : JT 20h Semaine

Les parents, le frère et l'une des sœurs de Laura Borla ont témoigné ce mercredi devant la cour d'assises de Paris.
Le 14 juillet 2016, l'adolescente alors âgée de 13 ans a été fauchée par le camion conduit par le terroriste.
Mardi prochain, sa sœur jumelle Audrey est attendue à la barre.

C'est un flot de chagrin qui a submergé la salle des Grands procès ce mardi après que la famille Borla a témoigné. Successivement à la barre, Marie-Claude, la mère, Jacques, le père, Lucie, la sœur, et Nicolas, le frère aîné de Laura, décédée à 13 ans sur la promenade des Anglais, ont pris la parole pour évoquer ce funeste 14 juillet 2016 et des terribles jours qui ont suivi. 

Tour à tour, ils ont décrit comment la perte de cette enfant les avait affectés et les conséquences dramatiques que ce départ précipité avait eu sur chacun d'eux.  

"Pour chercher, j'ai dû regarder les corps"

Ce 14 juillet, Jaques, Marie-Claude et leurs deux jumelles Laura et Audrey assistent au feu d'artifice. À la fin du spectacle, ils déambulent sur la promenade. "D'un coup, il y a le camion qui est au loin, feux éteints. Les gens se mettent à crier :'Le camion ! Le camion !' Je voyais des choses tomber mais je ne comprenais pas que c'était des corps. J'ai pris ma fille pour la pousser mais tout d'un coup, elle n'était plus là", se souvient Marie-Claude avec douleur. Jacques, lui, a un "trou noir" après avoir vu le début de l'attaque. 

Pendant un long moment, le couple va rechercher Laura et crier son nom, en vain. Audrey, sa jumelle, est raccompagnée au domicile familial où se trouve son frère Nicolas. "Il y avait des corps par terre. C'était le chaos. Certains étaient déjà recouverts, certains pas entièrement. Pour chercher, j'ai dû regarder les corps", raconte Marie-Claude, encore bouleversée. 

La mère de famille est prise en charge à l'hôpital Lenval pour une fracture.  Très vite, elle est dirigée en psychiatrie compte tenu de son état. Elle y reste trois ou quatre jours sous cachets et ne se souvient de rien. "C'est à l'hôpital que mon mari m'a appris le décès de ma fille. Ça a été l'effondrement. J'étais convaincue qu'elle s'était réfugiée, cachée..."

"Tout le monde était en train de flancher"

Ces trois ou quatre jours où Marie-Claude ne se souvient de rien ont été un bouleversement pour la famille. "Quand je suis rentré à la maison, mon fils a vu son père démoli", raconte Jacques. "Il m'a dit : 'T'aurais jamais dû aller à ce feu d'artifice.' Je ne savais pas quoi lui répondre. Pour lui, je n'ai pas été le héros ce soir-là. Malheureusement à cause de ce trou noir, il m'en veut. J'ai des remords. J'aurais peut-être pu la sauver."

Lucie, Nicolas et Audrey lancent des avis de recherche sur les réseaux sociaux avec des photos de leur sœur. Ils reçoivent plusieurs coups de fil. Certains leur font garder espoir, d'autres ne sont que des blagues de très mauvais goûts. Lucie arpente les abords de la promenade pour chercher sa sœur. Comme Laura n'avait pas de papier d'identité sur elle, Lucie espère pouvoir la retrouver. "C'était mon rôle de grande sœur de porter la famille. Je me suis dit : 'c'est moi ou personne, car tout le monde était en train de flancher'", se remémore-t-elle.  

"C'est fini, elle est partie"

Le 17 juillet, Jacques est convoqué par le commissaire qui lui annonce la mort de sa fille. "Je suis tombé à genoux par terre. Je me sentais pas bien. On m'a ramené à Pasteur. On m'a dit : 'Maintenant, il va falloir le dire à votre femme'." Quand il arrive dans la chambre à l'hôpital, Marie-Claude dort. Il ne veut pas la réveiller. Quand elle ouvre les yeux, Marie-Claude finit par lui demander : 'Tu as des nouvelles de Laura ?". "C'est fini, elle est partie", lui répond Jacques. La mère de famille ne veut pas le croire, se met à donner des coups à son mari. À tel point que les médecins séparent le couple. 

Les enfants apprendront la nouvelle plus tard ce 17 juillet, à 23h. "Le commissaire a dit : 'J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle à vous annoncer. La bonne, c'est que Laura a été retrouvée, la mauvaise c'est qu'elle est décédée. Suivent des cris. Je me suis effondrée. J'ai eu un black out. (...) C'était dur, beaucoup trop brutal. C'était pas une maladie. J'étais pas préparée. Je l'avais vue trois jours avant", souligne Lucie.

"Un manque que je n'arrive pas à combler"

Quand les trois enfants et leurs parents se retrouvent à la maison, c'est le vide. Laura n'est plus là. "Audrey a voulu dormir dans la chambre à côté du lit de sa sœur. Elle voulait toucher tout ce que Laura avait touché pour la dernière fois. On a respecté", raconte Lucie. "Puis il a fallu préparer les obsèques. J'ai pas réalisé ce qu'il s'était passé qu'on l'enterrait déjà. J'ai pas pu aller au cimetière. Aujourd'hui encore. Pour moi, ce qui est arrivé, c'est pas possible, c'est injuste."

De son côté, Jacques se décrit depuis comme "un papa démoli". Il a pensé plusieurs fois à mettre fin à ses jours. "J'ai des angoisses, je dors pas, je parle avec elle sur la terrasse. J'arrive plus à aller au cimetière... Suand j'y vais, j'ai l'impression de faire un chemin de croix." Il ne va plus aux feux d'artifice et ne veut plus entendre parler du 14-Juillet. "Laura, par rapport aux autres enfants, c'était tout pour moi. Elle était toujours à côté, elle avait toujours besoin de moi. Ça, c'est un manque que je n'arrive pas à combler."

"Dans ma famille, on s'est complètement déchiré, disloqué. Mes parents ont perdu leur fille. Ma sœur, sa jumelle. Mon frère et moi, on n'y était pas. On n'était pas au même niveau. Je suis devenue très irritable, plus renfermée", décrit Lucie, qui précise avoir "ramassé" sa sœur Audrey plusieurs fois "à la petite cuillère". Elle raconte avoir retrouvé des couteaux dans sa chambre et découvert qu'elle se scarifiait. Lucie dit cependant être "fière de ne pas avoir baissé les bras malgré les moments sombres". Depuis, la jeune femme s'est pacsée et a eu deux enfants. "J'essaie au mieux de me soigner, de me guérir", explique-t-elle. 

Son frère Nicolas a déménagé à Orléans, où il s'est installé avec sa compagne. "Là-bas, personne n'était au courant de ma situation. Mais j'avais un black-out, des pertes de mémoire. J'ai été arrêté un mois, j'ai vu un psy. Je voulais me relever. Il fallait pas que je lâche."

Audrey, la sœur jumelle de Laura, doit quant à elle témoigner mardi. "Audrey sera entendue le 27, c'est son choix. Depuis cinq ans, notre famille s'est déchirée, on a eu du mal à dialoguer", confie Marie-Laure pour justifier l'absence de sa fille cadette ce mercredi auprès des siens.


Aurélie SARROT

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