Un médecin urgentiste et un sapeur-pompier professionnel ont témoigné ce mardi au procès de l'attentat de Nice.Formés pour porter secours aux victimes, les deux hommes ont raconté l'horreur de ce 14 juillet, et les conséquences que ce drame a eues dans leur vie.
Aucun des deux n'a pu contenir ses larmes face à la cour d'assises spéciale de Paris. Ce mardi, Benoît Develey, 47 ans, médecin urgentiste, également médecin pompier, et Fabien Hodot, sapeur-pompier professionnel, ont raconté comment, le 14 juillet 2016, ils s'étaient retrouvés face à ce qu'ils ont décrit comme "carnage".
Pourtant formés pour porter secours aux victimes, parfois dans des conditions extrêmes, jamais aucun des deux n'avaient vu telle chose que le funeste spectacle qui s'est dévoilé sous leurs yeux ce jour-là.
"Face à mes enfants, je me suis effondré"
Ce 14 juillet 2016, après une soirée avec des amis et sa famille, Benoît Develey passe avec sa femme médecin à l'hôpital Lenval pour récupérer du matériel. Il apprend qu'"un gros accident" a eu lieu sur la promenade des Anglais. "En arrivant sur place, je me retrouve face à deux pompiers en train d'essayer de réanimer un petit garçon qui doit avoir quatre ans. Je décide de les aider, mais ils me disent qu'il y a d'autres victimes à prendre en charge."
Pendant que le médecin effectue sa reconnaissance de terrain, un homme l'interpelle et lui crie : "Venez voir mon ami !" ."Il était déjà sous un drap. Je lui ai dit qu'il était décédé", explique le médecin, dépité. Il va alors de victimes en victimes. "J'aperçois une femme, et son enfant qui devait avoir dix ans. Ils étaient très abîmés. Traumatisme crânien pour le petit garçon, traumatisme des jambes pour les deux..." L'enfant est transporté à l'hôpital, la maman soignée sur place.
Après s'être occupé de "quatre à cinq victimes vraiment graves" et une fois l'extrême urgence évacuée, il appelle sa femme, restée dans la voiture avec les enfants. "Je lui dis que ce qu'il se passe, que c'est un carnage, qu'il y a eu un attentat." Quand il les rejoint, l'homme craque. "Face à mes enfants en bonne santé, avec la quantité d'enfants blessés grièvement ou décédés que je venais de voir, je me suis effondré." Il les ramène à la maison, mais lui repart à l'hôpital. Il y restera jusqu'à plus de 4h du matin.
Me Le Roy lui demande ce qui a été le plus difficile ce soir-là. "C'est vraiment la charge émotionnelle que j'ai reçue. Je n'avais jamais reçu ça", répond Benoît Develey, qui avait pourtant déjà vécu un drame de dimension mondiale. Un an plus tôt, il était l'un des primo-intervenants après le crash de la Germanwings. "Ça fait un peu trop, c'est sûr", souligne-t-il, très ému.
"C'est grave, il y a des morts partout, il faut que tu viennes"
Le sergent-chef Fabien Hodot, sapeur-pompier professionnel, prend le relais à la barre. "Petit, j'étais friand des histoires de mon grand-père sur la Première Guerre mondiale. Et il me disait : 'Je peux te raconter ce que j'ai vécu, mais tu ne comprendras jamais vraiment ce que c'était. Moi, c'est pareil, je peux vous raconter ce que j'ai vécu, mais ce que vous allez imaginer est en dessous de la réalité, c'est indescriptible", lâche-t-il en préambule.
Ce soir-là, Fabien Hodot n'est pas de garde. Il prend "l'apéro" avec des proches quand il reçoit l'appel d'une amie, qui se trouve sur la promenade des Anglais. Il appelle un collègue pour savoir ce qu'il se passe. "Fabien, c'est grave, il y a des morts partout, il faut que tu viennes", lui répond son interlocuteur.
Fabien Hodot fonce à la caserne, met sa tenue "On va pour partir avec deux collègues, mais le chef de garde nous donne les dernières infos. Il nous dit que la zone n'est pas sécurisée par les forces de l'ordre, qu'il n'y aurait pas trois terroristes mais un. Il nous dit de ne pas nous engager." Fabien Hodot et ses deux collègues n'écoutent pas l'ordre et se rendent sur place.
"On s'engage sur la promenade des Anglais et là, en instantané, c'est le carnage, il y a des corps partout, des enfants", relate-t-il sans pouvoir retenir ses larmes. Les trois collègues partent chacun de leur côté pour porter secours aux victimes. "La première personne que je vois est une personne avec une jambe cassée. Je lui dis que c'est pas grave. Il me dit : 'oui oui, pas de problème'. Je lui dis que j'allais revenir, mais en fait, j'ai jamais pu revenir. Je m'excuse si cette personne est dans la salle."
Le sapeur-pompier explique ensuite avoir vu un homme aux côtés de sa femme, allongée près de lui. "Elle était décédée. Je lui ai dit que je ne pouvais plus rien faire pour elle. Il m'a dit qu'il savait." Fabien Hodot continue de marcher et tombe sur "une enfant au sol avec les jambes dans un sale état". Avec ses coéquipiers, ils parviennent "à 'conditionner' la petite Karima". "Elle paraissait tellement petite que j'étais persuadé que c'était une enfant. Ses jambes ont pu être sauvées."
Un poste de commandement est installé sur les lieux du drame. "Je ramassais les gens par terre et je les ramenais à des points de regroupement. Un médecin disait où les mettre : à gauche les urgences absolues, à droite les urgences relatives, au fond, les urgences dépassées. Quand vous amenez un brancard au fond, vous savez pourquoi vous l'amenez..."
"Je me dis que j'en ai fini avec le 14 juillet mais non"
Après cette terrible soirée, Fabien Hodot rentre chez lui. Pendant six mois, il a l'impression qu'il va bien. Mais son épouse lui fait remarquer qu'il devient agressif, se replie sur lui-même. Il décide alors de consulter la cellule psychologique du Sdis. Bilan : un arrêt de travail de trois semaines. "Tout rentre dans l'ordre. Je me dis que j'en ai fini avec le 14 juillet, mais non. En 2018, je suis atteint du syndrome post-traumatique, j'ai perdu ma femme", annonce-t-il effondré.
Le sapeur-pompier souffre d'agoraphobie, d'hypervigilance. Même à la barre dans la salle d'audience, il explique qu'il n'est pas tranquille car il ressent la présence de gens dans son dos. Fabien Hodot précise que, comme lui, de nombreux intervenants ont mal vécu la période post-attentat." Mon meilleur ami a rampé sous le camion pour voir si quelqu'un bougeait. Il ne s'en est jamais remis."
"Qu'est-ce qui a été le plus dur ce soir-là pour vous ?", questionne Me Le Roy. "Le plus dur pour moi, c'est le choix. J'ai eu des interventions pas faciles, mais j'ai jamais eu de choix à faire. Là, je devais choisir à qui je devais porter assistance ou pas. Et c'est ça l'origine de toute la culpabilité que j'aie en moi. J'aurais pas dû avoir à choisir", rétorque le sapeur-pompier. "Après, je suis tombé sur des victimes admirables, aucune ne m'a supplié de rester. Je préfère retenir leur courage que ma culpabilité. Aucun d'entre nous n'est sorti indemne de ce qu'on a vécu. Il y en a qui se relèvent mieux que d'autres. Mais on est une corporation où on ne se plaint pas. Je pense que des collègues ne vont pas bien et ils ne le disent pas."
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