"On devient une autre personne" : au procès de l'attentat de Nice, de premières parties civiles racontent

Publié le 20 septembre 2022 à 16h59, mis à jour le 20 septembre 2022 à 18h52

Source : JT 20h Semaine

Deux parties civiles ont témoigné ce mardi devant la cour d'assises de Paris au procès de l'attentat qui a fait 86 morts le 14 juillet 2016.
Au total, près de 2000 personnes se sont déjà constituées parties civiles à ce procès.
Quelque 300 sont attendues à la barre jusqu'à fin octobre.

Elles ont été les premières à prendre la parole ce mardi sur les quelque 300 attendues au cours des cinq premières semaines. Devant la cour d'assises de Paris où se tient jusqu'au 16 décembre le procès de l'attentat de Nice, deux parties civiles ont raconté leur 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais. 

"Ils criaient : 'Aidez-moi, aidez-moi'"

Le premier s'appelle Jérôme C. L'homme, aujourd'hui âgé de 49 ans et père de cinq enfants, possède une discothèque sur la promenade. Le soir du 14 juillet, son établissement ne devait ouvrir qu'à minuit. Ses portes se sont finalement ouvertes précipitamment au moment de l'attaque. "Nous avons reçu des coups sur la porte de notre établissement de gens apeurés. Ils criaient 'Aidez-moi', 'Aidez-moi'", se souvient le quadragénaire, cheveux grisonnants et pull noir.  Une personne lui dit alors : "Je ne sais pas ce qu'il se passe, il y a un camion fou". Un autre lance : "Ça rebrousse chemin."

Très vite, est décidé de mettre en place un poste médical avancé dans sa boîte de nuit. "Mon personnel a donné un coup de main pour monter tous les lits. On a mis les lits d'urgence dans le hall d'entrée. Malheureusement, à l'étage, on mettait les gens décédés", poursuit Jérôme C, notamment cette "dame" que personne n'est parvenu à réanimer. "On n'a pu que mettre la couverture et la monter à l'étage"

Dehors, ce qu'il se passe est "assez horrible et terrible".  "Il n'y avait pas encore de police, c'est nous qui avons fait la sécurité. À la fin les militaires sont arrivés, ils m'ont demandé ce qu'ils devaient faire", poursuit Jérôme C. Il décrit "une scène de guerre" dans laquelle  "tout le monde paniquait". "Les gens allaient à droite, à gauche, explique-t-il. Je voyais des choses comme celles qu'on peut voir dans les films. Des gens à côté de corps. Une personne m'a dit : 'Ne me demandez pas de partir, c'est mon neveu et mon fils." 

Pourquoi Jérôme C. a-t-il fait tout ça ? "D'instinct", répond-il. En plus des terribles souvenirs, il garde aussi les vidéos de l'intérieur de son établissement rempli de victimes. Celles-ci n'ont jamais été remises à la justice. "Je peux vous les donner", dit-il au président. 

"Grâce à notre intervention, on a pu sauver 90 personnes, je m'excuse auprès de ceux qu'on n'a pas pu sauver. Je pense qu'on a fait le maximum", conclut le quadragénaire qui a fait un burn-out peu après.

"J'ai senti le danger"

Sandrine B., pull noir, longs cheveux blonds, yeux clairs lui succède à la barre. Elle avait 21 ans le 14 juillet 2016 et était allée voir le feu d'artifice avec son petit ami de l'époque. Après le spectacle, elle veut rentrer mais son ami la convainc de venir avec lui et des amis au Mc Do. "Je regardais les fumigènes et là tout le monde commence à se marcher dessus. Je ne vois plus mon ex et ses amis. Il n'y a plus personne. Je reste statique, je ne comprends pas. Un collègue de travail de mon ami arrive affolé et me crie : 'Serrez serrez', se remémore la jeune femme. 

Elle voit des gens courir à contresens. Quelqu'un crie :  "C'est le camion, c'est le camion". "Ça a pas tilté dans ma tête. Je ne savais pas de quoi il parlait mais j'ai senti le danger. J'ai pensé à un attentat vu l'affolement." (...) J'essaie de m'enfuir vite. Je suis pétrifiée, je me suis dit que j'allais prendre une balle. Beaucoup avait déjà pris la fuite", poursuit-elle. 

Elle finit par sauter du haut de la promenade et trouve refuge dans le vestiaire d'un restaurant où d'autres personnes, dont un ami, la rejoignent. "Je disais n'importe quoi, que je n'avais pas de mutuelle, que j'ai perdu ma chaussure", se souvient-elle.  De là, elle distingue des "percussions" dehors, des "bruits très sourds", "comme si le stand de bonbons avait été percuté fortement"

Puis intervient un deuxième mouvement de foule, "ce sont des parents avec leurs enfants. Ils crient : 'Ils sont derrière nous, ils sont derrière nous ?'" Tout le monde trouve refuge dans le restaurant, certaines personnes prennent des couteaux pour se défendre. "Le petit garçon devant moi nous dit 'Taisez-vous, on va tous mourir à cause de vous'. On est restés dans le silence. Une petite fille devant moi priait le Seigneur de bien vouloir nous sauver."

De nombreuses rumeurs courent alors sur la situation : "On voulait quitter les lieux, on ne savait pas discerner qui disait vrai, qui disait faux." Sandrine B. aperçoit une télé dans une salle du restaurant et y voit le camion meurtrier. "Pour moi, c'était des terroristes qui nous tiraient dessus. Je n'ai pas vu le camion arriver", insiste-t-elle.

"Je n'ai pas vu le camion arriver"

Elle sera secourue par un pompier qui la portera jusqu'aux camions de secours, en lui disant de regarder le ciel pour ne pas voir les corps. "J'ai eu le réflexe de regarder où j'avais sauté et j'ai vu plusieurs personnes décédées à cet endroit-là", regrette-t-elle.

Sandrine B. est restée à l'hôpital jusqu'à 4 heures du matin. Elle a eu un post-traumatisme de trois ans. "C'était limite invivable". Aujourd'hui, elle va mieux mais a "toujours des séquelles, surtout quand arrive la date anniversaire". "On est une personne avant ce qui arrive et on devient une autre après, ça impacte une vie", ajoute-t-elle. 

Ses études ont été compliquées par la suite et les concours de miss qu'elle faisait à l'époque ont été abandonnés. "Quand on n'arrive même plus à traverser la rue…"


Aurélie SARROT

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