Procès de l'attentat de Nice : "Vous, assassins de ma sœur, regardez-moi !"

Publié le 27 septembre 2022 à 20h26, mis à jour le 27 septembre 2022 à 20h47

Source : JT 20h Semaine

Audrey Borla, 20 ans, a témoigné ce mardi devant la cour d'assises de Paris.
Le 14 juillet 2016, elle a perdu sa sœur jumelle Laura, 13 ans, dans l'attentat.
Elle a expliqué devant la cour comment cette perte l'avait impactée à jamais, avant de s'adresser aux accusés.

Longs cheveux blonds, yeux clairs, visage enfantin, elle s'est avancé à la barre. "Je m'appelle Audrey Borla, j'ai 20 ans, au moment des faits, j'avais 13 ans".

Audrey Borla a perdu sa sœur jumelle Laura au cours de l'attentat de Nice. "On était comme cul et chemise. On avait une ressemblance comme deux gouttes d'eau. C'était mon miroir, se souvient Audrey face aux photos des jumelles qui sont projetés sur l'écran géant de la salle des Grands procès. On n'avait aucun secret. J'étais son journal intime, c'était le mien. Elle avait la main sur le cœur, elle savait écouter, elle avait tellement d'amour pour sa famille et ses amis. Elle avait des rêves comme tout enfant, des passions : la danse que nous faisions ensemble. On dormait dans la même chambre". 

"J'ai la culpabilité de ne pas avoir été avec elle"

Ce soir du 14 juillet, les jumelles sont parties voir le feu d'artifice avec leurs parents. Après le spectacle, Audrey marche devant avec une amie, suivie de sa mère et de sa jumelle, et de leur papa. La dernière image qu'elle a de Laura, c'est tout sourire, dans les bras de sa maman, au lendemain d'une dispute. 

Soudain, elle entend des cris, voit la foule venir sur eux et le camion leur foncer dessus tous feux éteints. "Il faisait des zigzags. J'ai eu quelques secondes de paralysie, je me suis dit : 'Qu'est-ce qu'il se passe ?". Audrey se réfugie sur la plage, rejointe par sa maman. "Elle criait sans cesse : 'Laura ! Laura !' Quoiqu'il se passe normalement, j'étais avec elle. J'ai la culpabilité de ne pas avoir été avec elle à ce moment-là."

Quand elles remontent sur la Promenade, plusieurs corps sont déjà recouverts d'un drap. Les parents des jumelles partent à la recherche de Laura tandis qu'Audrey se dirige vers le domicile familial où se trouve son frère. "J'ai eu sur la route cette incapacité de respirer. Je n'ai eu qu'une fois cette sensation dans ma vie. J'ai eu l'impression de ressentir son dernier souffle, c'était ma jumelle. Quand ça n'allait pas bien, je le sentais et là, je ne la sentais plus. Cette douleur, c'est comme si on me saignait le cœur."

Avec son frère et sa sœur, elle lance des avis de recherches sur les réseaux sociaux. Le lendemain, après une nuit de cauchemars, elle découvre sa mère "comme un zombie dans le salon". La famille et les amis appellent les hôpitaux, en vain. "Cet espoir de la voir commençait à s'éteindre à petit feu".  

"Regardez ma fille elle est pas morte!"

"Trois jours ont passé, pour moi c'était une éternité", explique Audrey. Elle évoque "des gens méchants qui ont dit qu'ils l'avaient retrouvée", certains qui l'auraient vue au Negresco ou encore les kidnappings cités par d'autres. Puis Audrey est appelée pour faire un test salivaire. Nouvel espoir pour l'adolescente, avant que la terrible annonce n'arrive. "Le commissaire a demandé à nous voir avec mon grand frère et ma grande sœur. On se tenait la main. Il nous a dit : "J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne, c'est qu'on a retrouvé votre sœur, la mauvaise, c'est qu'elle est sans vie." Audrey se lève, quitte la pièce et cri dans le couloir. "Je me souviens, je ne versais pas une larme car je ne voulais pas y croire."

Les trois enfants sont envoyés à l'hôpital Pasteur où sont leurs parents pour y passer la nuit. "Ma mère était assise sur le lit, elle pleurait. J'ai fait un pas dans la chambre, ma mère m'a regardée, elle a crié tellement fort. Elle a dit : 'Regardez ma fille, elle est pas morte ! Regardez, c'est Laura, elle est là. C'est là que je me suis dit que je ne pouvais pas rentrer chez moi." Audrey partira vivre un mois et demi chez une amie. 

Arrivent les obsèques. Audrey ne va pas voir sa sœur dans son cercueil.  Elle lui a laissé son doudou et a pris le sien."Je refusais de la voir avec son bleu sur la tête." Elle a préféré garder en tête la dernière image de Laura, heureuse, aux côtés de leur mère sur la Promenade. "Je refusais de la voir morte car on meurt d'une maladie mais pas d'une folie meurtrière". Au cimetière, Audrey se souvient avoir vu le cercueil de sa jumelle descendre dans ce "trou si profond". "Je jette la première fleur, je lui dis à quel point je l'aimais, à quel point elle me manque". 

"Regardez ma sœur que vous m'avez enlevée"

Aujourd'hui, Audrey explique qu'il est difficile d'aller au cimetière. Elle n'y va qu'à certaines occasions, comme le 14 juillet. " Ça doit faire un an que je n'y suis pas allée, mais c'est mon choix". Elle dit qu'elle prie pour sa sœur, pour qu'elle lui donne "la force de continuer". "On parlait de la mort avec ma sœur. On savait que l'une partirait avant l'autre, mais pas aussi tôt que ça". 

La suite a été compliquée : passer le brevet des collèges qu'elle avait préparé avec Laura, poursuivre ses études, obtenir son CAP. "J'ai eu des envies suicidaires. Je me suis dit : "Pourquoi elle, et pas toi ?. Pourquoi je continue à vivre alors qu'on était censé vivre ensemble. Aujourd'hui c'est une peine de ne plus avoir son amour ni son regard. Je sais très bien que je ne ferai jamais mon deuil." 

"Nous avons droit au bonheur"

Audrey fait de la boulimie "pour combler le manque" de sa sœur. Elle est sous antidépresseurs et prend des médicaments pour dormir. Elle a vu un psychiatre. Elle a "peur d'être seule", est agoraphobe. "Je crains tout", résume-t-elle.

Pour autant, Audrey a trouvé la force de ne pas baisser les bras. "J'aimerais citer un proverbe qui m'a beaucoup aidée. 'L'espoir fait vivre'. Et bien, c'est réel. Nous avons vécu le plus gros malheur qui puisse exister, mais nous avons droit au bonheur. "

Soudain, le visage de la jeune fille se durcit. "Vous, assassins de ma sœur, regardez-moi ! Regardez ma sœur que vous m'avez enlevée, vous avez le privilège de voir son double en face de vous", lance-t-elle aux accusés. "N'oubliez jamais la peine et la douleur sur mon visage. Même si vous avez enlevé ma sœur, vous n'avez pas enlevé ma force, vous n'avez fait que l'endurcir."

"J'ai compris que notre vie ne tient qu'à un fil et que tout peut arriver. Laura, ici pour toi nous nous battons et tu nous manques terriblement", conclura-t-elle au terme de son poignant témoignage qui n'a laissé personne indifférent.


Aurélie SARROT

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