Le procès hors normes des attentats de janvier 2015

Procès des attentats de janvier 2015 : "J'ai senti qu'il voulait terminer le travail"

Publié le 17 septembre 2020 à 20h47, mis à jour le 17 septembre 2020 à 21h04
Procès des attentats de janvier 2015 : "J'ai senti qu'il voulait terminer le travail"

Source : AFP

JUSTICE – Au 12e jour du procès des attentats de janvier 2015, la Cour a examiné la tentative d'assassinat d'un joggeur, survenu le 7 janvier 2015 au soir sur la Coulée Verte à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Romain D., visé et grièvement blessé quelques heures après la tuerie de Charlie Hebdo et l'assassinat d'Ahmed Merabet, est venu témoigner ce jeudi.

A l'époque, il courait plusieurs fois par semaine, "trois à quatre fois", dit-il. Ce 7 janvier 2015, vers 20h30, Romain D, intérimaire né en 1982, se trouvait sur la Coulée verte à hauteur de Fontenay-aux-Roses, quand il a croisé un homme assis sur un banc, avec une capuche. C'est en repassant devant lui, sur le chemin du retour, que sa vie va basculer. 

"J'ai senti un tir dans mon bras. Je savais pas ce qu'il se passait. J'ai continué à courir, je tenais mon bas. Je sentais la poudre. Je me suis retrouvé au sol, je n'arrivais pas à me relever. Le mec il était comme ça, il me braquait (il mime). On s'est regardé. Le temps s'est figé, j'ai senti une hésitation. J'ai senti aussi qu'il voulait terminer le travail", relate-t-il très éprouvé à la barre. "Je me suis dit il faut que je me sauve. Je ne sais pas si je me suis pris une balle dans le ventre à ce moment-là. J'ai couru. Il m'a retiré dessus. J'ai senti une douleur aux fesses et à la jambe", poursuit-il. 

Romain D. parvient finalement à s'enfuir et à se réfugier dans une maison. L'agresseur, lui, disparaît. 

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Pronostic vital engagé

Romain D., grièvement blessé par les quatre balles qui l'ont atteint, est hospitalisé. Son pronostic vital est engagé. Il sera entendu la semaine suivante par les enquêteurs, alors qu'il vient de sortir de réanimation et qu'il est toujours à l'hôpital. 

Entre temps, la France a connu de nouveaux événements : l'assassinat de la policière Clarissa Jean-Philippe, l'attentat de l'Hyper Cacher, et la neutralisation de trois terroristes, Saïd et Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly. Entre temps aussi, "une arme a parlé", relève le président à l'audience. Un rapprochement balistique a en effet été opéré entre les cinq étuis percutés retrouvés à la Coulée verte et l'un des pistolets Tokarev dont était muni Amedy Coulibaly lors de la prise d'otages le 9 janvier 2015 à l'Hyper Cacher. Les enquêteurs sont alors convaincus d'avoir trouvé l'auteur des tirs des la Coulée Verte. 

Pas Romain D. "Vous voulez que je vous dise comment s'est passée cette audition, lance-t-il ainsi au président Régis de Jorna ce jeudi. Moi j'appelle ça un interrogatoire. Ils (les enquêteurs) sont venus à 10 heures du matin. Ils n'ont pas arrêté de me demander si c'était pas Amedy Coulibaly qui m'avait tiré dessus. J'ai dit : 'Non". 'T'es sûr que c'est pas un noir qui t'a tiré dessus'. Ils insistaient. J'ai répété : 'Non". Ça a duré deux heures comme ça. J'en pouvais plus." Romain D. en est certain, son agresseur n'est pas "noir". 

Plus tard, sur les photos qui lui sont présentées dans un album photographique, il dira reconnaître Amar Ramdani (ancien codétenu de Coulibaly, accusé aujourd'hui car soupçonné de lui avoir fourni des armes). Face à l'écran géant de la salle d'audience où est projetée la photo de l'accusé,  il explique: "On m'a toujours demandé si j'étais sûr à 100 % de savoir qui était mon agresseur j'ai dit non mais aujourd'hui je suis sûr à 80% que c'est lui".  Depuis le box, Amar Ramdani se désole. "Je ne sais pas comment réagir à ça. (...) Si lui, il est sûr à 80% que c'est moi, moi je suis sûr à 100% que ce n'est pas moi, j'ai jamais tiré sur personne".  Me Saint-Palais, avocat, rappelle que son client "a bénéficié d'un non-lieu dans cette affaire" notamment grâce au bornage de son téléphone.  

Un mobile totalement inexpliqué

Pourquoi alors Romain D. a été visé ce 7 janvier 2015 ? "Il y a eu une invective. L'agresseur vous aurait dit 'Prends ça enculé! ou 'Prends ça enfoiré! selon vos souvenirs. Vous n'êtes pas policier, vous n'êtes pas de confession juive, vous n'avez pas de problème avec quiconque. On l'a dit, c'est un mobile totalement inexpliqué", souligne le président de la Cour d'assises s'adressant à l'accusé. Un peu plus tôt ce jeudi, Michel Faury, l'ex-patron de la police judiciaire des Hauts-de-Seine chargé de l'enquête à l'époque a émis une hypothèse : "Si vous voulez essayer une arme pour voir si elle fonctionne, la coulée verte est un endroit, excusez-moi idéal. Le choix du lieu est judicieux, c'est isolé, pas du tout éclairé..."

Romain D. ignore lui aussi tout du mobile, mais les conséquences sont là. Il déclare être "mal" aujourd'hui encore d'imaginer que peut-être, l'agresseur court toujours. Hospitalisé jusqu'en juin 2015, il a fait l'objet d'une hospitalisation de jour jusqu'en septembre de la même année et d'un suivi régulier jusqu'en janvier 2016. "J'ai été opéré tous les deux jours pendant un mois et demi, uniquement pour ma jambe. Je peux faire un peu de sport, courir des petites distances mais à la fin de la journée, j'ai mal à la jambe. Pareil quand je marche. J'ai mon orteil en crochet. Mon intestin, ils m'ont retiré deux mètres d'intestin, il m'en reste un.", confie-t-il. Psychologiquement, ça n'a guère été mieux. Il fait des cauchemars, a imaginé que des terroristes viendraient "finir le travail" dans sa chambre d'hôpital et est, comme toutes les victimes, devenu hypervigilant. 


Aurélie SARROT

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