Procès des attentats de janvier 2015 : "On a pensé à chaque instant qu'on allait mourir"

Publié le 24 septembre 2020 à 1h04, mis à jour le 24 septembre 2020 à 2h09
L'assaut donné par la police à l'Hyper Cacher le 9 janvier 2015
L'assaut donné par la police à l'Hyper Cacher le 9 janvier 2015 - Source : AFP

JUSTICE – Plusieurs otages de l'Hyper cacher ont déposé ce mercredi devant la cour d'assises spéciales de Paris. Tous ont cru ce 9 janvier 2015 qu'ils vivaient les derniers instants de leur vie.

Des heures durant, ils sont restés enfermés dans le magasin. Et si certains sont parvenus à s'échapper avant la fin de la prise d'otages, d'autres ont vécu l'enfer durant plus de quatre heures, de 13h06, lorsqu'Amédy Coulibaly est entré dans l'Hyper Cacher, jusqu'à 17h10, moment de l'assaut donné par les forces de l'ordre. Ce 9 janvier, pour la communauté juive, comme tous les vendredis, l'heure était à la célébration de shabbat. Beaucoup étaient venus faire leurs courses avant que cette grande épicerie ne ferme, aux alentours de 13h, justement. Devant la cour ce mardi, les otages de l'Hyper Cacher ont relaté ces moments de peur et d'angoisse. 

"La priorité ? Que le bébé ne pleure pas"

Quand elle entend une détonation dans l'Hyper Cacher où elle se trouve ce vendredi 9 janvier, Noémie S., 27 ans à l'époque, pense d'abord à "un accident de voiture". Mais rapidement, elle voit des gens courir et entend : "Vite il est armé." Pas le temps de réfléchir, à son tour, la jeune femme prend ses jambes à son cou. "J'ai suivi le mouvement des gens qui couraient dans l'escalier", raconte-t-elle ce mercredi à la barre. "Je me suis retrouvée avec d'autres dans la réserve. On a cherché une sortie de secours, on s'est dispatché dans des chambres froides." Elle explique ensuite que Zarie, la caissière, est venue voir en bas. "Elle nous a dit de monter, que c'était juste pour la caisse, que l'homme voulait l'argent. Nous, on savait que c'était pas ça. Il y avait eu Charlie, Montrouge... On était dans un magasin Hyper Cacher."

Dans la chambre froide, Noémie se retrouve avec cinq autres personnes, dont un bébé. "On a pensé à chaque instant qu'on allait mourir. On s'est dit que s'il (Amédy Coulibaly) était seul, il y avait des chances qu'il ne descende pas, qu'il ne laisserait pas les otages seuls en haut." Elle et ses compagnons d'infortune savent qu'ils ne doivent surtout pas se faire entendre. Une consigne difficile à faire passer à un bébé de 10 mois. "Il faut l'occuper, ne pas faire de bruit. On lui donne nos clés, mais ça fait du bruit. On lui donne des papiers. Il est d'un calme incroyable. Notre priorité c'est qu'il ne pleure pas. Il ne faut pas qu'il pleure."

Alors qu'Amédy Coulibaly a déjà abattu deux clients, Philippe Braham et Michel Saada, certains otages finissent par accepter de remonter, dont un père et son enfant de deux ans. Etudiant de 21 ans, Yoav Hattab voit alors l'une des armes du djihadiste, posée sur un sac de farine. Il s'en empare mais il est aussitôt tué. 

"On était caché, mais on n'était pas à l'abri"

Jean-Luc, qui a fait face au "terroriste, d'une froideur et d'un calme" absolus, décide, lui, d'aller "à l'encontre des ordres" et de "rester" en bas. "Je me dis 's'il doit me tuer, il faut mieux qu'il vienne à moi que je vienne à lui'", raconte-t-il. Dans la chambre froide, avec les six autres otages encore présents, Jean-Luc "attend (sa) mort". "On était caché, mais on n'était pas à l'abri."

L'attente, "interminable", prend fin vers 17h quand les forces d'intervention préviennent les otages par téléphone qu'ils s'apprêtent à donner l'assaut. "Ils nous disent 'ça va pas tarder', puis 'mettez-vous à genoux, ça va se faire'. La porte est tombée, on a vu des voyants rouges partout, ils nous ont fait sortir", poursuit Jean-Luc. Quand ils remontent dans le magasin, c'est "une scène de guerre", avec "du sang partout" et "une odeur de brûlé mélangée à de la poudre". Des images qui "reviennent constamment" à l'esprit de cet homme de 57 ans. 

"Personne ne vous comprend, donc on s'isole, on s'enferme"

Le 11 janvier 2015, quand des chefs d'Etat et de gouvernement du monde entier participent avec des millions de Français à une marche républicaine en hommage aux 17 victimes des attentats, l'ex-otage reste "seul" chez lui. De même pendant les mois suivants. "Personne ne vous comprend, donc on s'isole, on se referme", explique le quinquagénaire, dont la vie se résume à "un combat constant entre l'ancien et le nouveau Jean-Luc". Un combat que beaucoup des ex-otages de l'Hyper Cacher - dont certains n'ont même pas eu "la force de venir témoigner", selon leurs avocats - doivent mener quotidiennement.

Infirmière par "vocation" dans un service hospitalier de réanimation, Noémie, elle, n'a jamais réussi à reprendre le chemin de son travail, "la vue du sang" l'horrifiait. "Cible d'un attentat antisémite", la jeune femme, qui souffre d'un syndrome de stress post-traumatique, ne prend plus les transports en commun et ne sort plus "dans des lieux associés à la communauté juive". Et même au travail, ça prend reprend le dessus. "À l'hôpital j'ai mon nom écrit, mon badge. Mon nom a une consonance juive, j'ai peur que l'on s'en prenne à moi..."

Après trois semaines consacrées à l'audition des survivants des attentats contre Charlie Hebdo, la policière de Montrouge et l'Hyper Cacher, et aux proches des victimes, la cour d'assises spéciale doit se pencher à partir de jeudi sur les faits reprochés aux auteurs des attentats et aux 14 accusés, poursuivis pour leur soutien logistique présumé. 


Aurélie SARROT

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