Le procès hors norme des attentats du 13-Novembre

Procès des attentats du 13-Novembre : "J'ai dit à Nick : 'Je suis là, je t'aime, je ne te quitte pas'"

Publié le 6 octobre 2021 à 23h51
JT Perso

Source : TF1 Info

JUSTICE – Les témoignages des victimes du Bataclan ont débuté ce mercredi devant la cour d'assises spéciale de Paris. Ils doivent se poursuivre jusqu'à la fin du mois d'octobre.

Ce 13 novembre 2015, ils étaient venus au 50 boulevard Voltaire pour faire la fête, danser, chanter, et surtout, écouter un de leur groupe favori, les Eagles of death metal. Ce 13 novembre 2015, à 21h47, trois terroristes font irruption dans la salle de spectacle. Armés de Kalachnikovs, ils tirent alors plusieurs centaines de balles sur le public. Au total, 90 personnes ont perdu la vie dans cette attaque et plusieurs centaines ont été blessées. 

Pendant plus de trois semaines, les victimes du Bataclan, directes ou non, vont se succéder à la barre. Les premiers témoignages ont été entendus ce mercredi. 

"On nous tirait comme des lapins"

C'est avec sa femme que Cédric est allé au concert ce soir-là. La musique commence. Au moment de "Kiss the devil", il voit de l'agitation, entend un bruit. Il croit d'abord à un "jack de guitare qui craque, puis à des pétards". Il part avec sa femme vers la coursive, voit des éclairs, la foule qui tombe. "Ma jambe droite a été écrasée par tout le monde. Ma femme me tenait la main. D'un seul coup je vois celui qui était derrière nous, son arme qui recharge", se souvient le quadragénaire à la barre, tatouages sur les bras, moustache, barbe courte, cheveux poivre et sel. Cédric dit alors à sa femme de partir, lui ne peut pas, sa jambe "ne suit pas". 

Au milieu des coups de feu, il entend une déclaration. "Le jeune homme derrière nous nous dit que c'était pour ses frères en Syrie, qu'il fallait remercier François Hollande  pour cette petite kermesse." Pendant deux heures, Cédric sera contraint d'écouter "des personnes s'étouffer, d'autres mourir progressivement, d'autres appeler à l'aide". "On nous tirait comme des lapins. J'ai fait le mort pendant deux heures." 

Cédric est finalement secouru par la BRI. "On a dû marcher sur des corps pour sortir de la salle, qu'il n'y avait pas le choix". En sortant de la salle, il cherche désespérément sa femme. Pendant 45 minutes, il voit des "cadavres passer" puis, enfin, son épouse, qui sort en pleurs. 

Depuis, Cédric ressent de la colère, de l'incompréhension. "Messieurs qui avez fait le djihad, avez-vous vu des gens mourir en les regardant dans les yeux, des gens dans des mares de sang, des personnes s'étouffer sous vos yeux ?", lance-t-il en fixant le box des accusés. "Vous avez attaqué des gens, non armés. Pourquoi nous ? Vous êtes en colère contre un État. Vous êtes en colère contre notre pays. Mais nous, on n'a rien demandé, on n'a pas d'animosité contre vous à la base." Le couple est sorti indemne physiquement, mais les séquelles psychologiques restent difficiles à estomper. 

"Je l'attrape dans mes bras, il meurt"

Helen n'a pas eu la même chance que Cédric et sa femme ce soir-là. "Le 13 novembre, j'arrive dans la salle pour retrouver Nick Alexander qui est l'amour de ma vie", explique en français cette femme blonde avec un accent anglophone. Lui tient la boutique des Eagles dans la salle. Ils sont ensemble quand les portes "s'ouvrent violemment" et que survient un "pop pop pop pop". "Quelqu'un tire sur les gens, un autre arrive. Nick m'attrape, me jette par terre. Nick me dit : 'Je vais mourir ce soir Helen'. Je lui dis : 'Mais non tu vas pas mourir'". 

Helen se souvient avoir vu ces personnes armées qui tirent sur des gens derrière le bar et dans la fosse. "Je me dis : 'C'est quoi ce truc, c'est une blague, c'est un jeu ?'". Les terroristes rechargent leurs armes, des spectateurs en profitent pour s'enfuir, piétinant Helen et son mari. "Moi je savais que Nick était blessé, je ne pouvais pas le laisser. Je demande de l'aide, mais personne nous aide." 

Puis Helen entend l'un des assaillants crier : "Vous voyez ça, c'est pour nos frères en Syrie, ça vous apprendra." "Là j'ai dit à Nick : 'Je suis là, je t'aime, je ne te quitte pas. Je vais voir comment je vais faire pour nous sortir'". Un policier entre alors dans le Bataclan, et neutralise le terroriste sur la scène. Helen dit à son mari : "On est sauvé". Au même instant, un terroriste crie à une personne : "Tu fermes ta gueule ou je te bute. Tu fais un bruit, je te tue." Un autre assaillant tire une balle dans la tête d'une victime. Helen est visée à son tour : des balles dans les deux cuisses. Elle supplie au tireur d'arrêter. Coïncidence ou pas, les terroristes s'éloignent. 

Nick, lui, a de plus en plus de mal à respirer. "Je l'attrape dans mes bras, il meurt. Je n'arrive pas à le réveiller. Sa peau est très froide, on est allongé dans une flaque de sang. Je dis à Nick : 'Il faut que je sorte, ils ne vont pas venir nous chercher'. Je lui dis : 'Désolée, je t'aime'. Je ne pouvais pas le bouger", narre-t-elle en sanglots. 

Helen se résout à quitter la salle, non sans mal. Elle sera prise en charge par les secours et hospitalisée. Elle a perdu ce soir-là quatre litres de sang. Son chirurgien lui a dit qu'elle était une "miraculée". "Je ne suis pas en colère, je ne cherche pas la vengeance", assure Helen. Avant d'ajouter : "L'amour gagnera toujours." Quelques mots d'espoir qui étaient écrits sur son t-shirt ce mercredi. 

"Pour moi tout a volé en éclats"

Emilie et Brendan eux n'en étaient pas à leur premier concert des Eagles of death metal ce 13 novembre 2015. À l'époque, ils avaient 30 ans ou presque, un travail qui leur plaisait, ils venaient de se marier et avaient un projet d'enfants. Quand l'attaque commence, Emilie croit d'abord  "à un taré". 

"À aucun moment j'ai pensé à un attentat. Pour moi, les attentats, c’est aux États-Unis", relève cette jeune femme agrégée, docteure en biochimie, cheveux bruns très courts, dans un pull marin bleu et blanc. Elle se souvient s'être allongée "dans un mélange de sang et de bière". Comme tous les rescapés, elle se souvient aussi de cette "odeur de poudre et de sang". Emilie explique qu'elle était alors  "résignée", mais qu'elle n'avait "pas peur." "Je voulais qu'on survive tous les deux, ou qu'on meure tous les deux, pas qu'il y en ait un qui reste." 

La jeune femme constate le silence, puis de nouveaux tirs. "J'ai été marquée par le silence. Je me disais qu'à chaque rafale, il devait y avoir des gens qui devaient se faire littéralement trouer. Et pourtant ils se taisaient ", détaille-t-elle. Avec Brendan et deux autres personnes, ils trouvent refuge dans un petit local, derrière une porte en bois. Ils se sentent alors abandonnés, et ne comprennent pas pourquoi les forces de l'ordre ne sont pas là. 

Puis les tirs cessent. "Là, j'ai commencé à entendre des cris comme je n'en avais jamais entendus. Une porte s'est ouverte, des Robocop sont apparus, c'était des policiers." Les hommes de la BRI font sortir les valides, et leur disent de ne pas regarder. Comme beaucoup, Emilie ne peut s'empêcher d'ouvrir les yeux : devant elle, des bouts de chair sur les murs - ceux du kamikaze qui était sur la scène et dont la ceinture a explosé - puis, dans la fosse, des corps, des visages blancs, des trainées de sang, et de nombreux objets au sol, téléphones, clés, lunettes...

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Emilie et Brendan sont ensuite rentrés chez eux, se sont lavés, ont mangé, se sont couchés. Emilie sera réveillée par les pleurs de son mari. Elle ne pleure pas. Les jours suivants surviennent les premières crises d'angoisse, une hypervigilance. L'enseignante reprend le travail en janvier. "On a maintenu notre projet bébé. Je me souviens avoir eu une bravade, et dit à ma psy : 'Non seulement ils ne nous ont pas tous tués, mais en plus on va se multiplier'", raconte-t-elle alors que les larmes lui montent aux yeux. 

Derrière cette force apparente, Emilie est traumatisée. Pendant cinq ans, elle a rêvé tous les jours d'attentats. Elle ne peut plus cuisiner ou cuire des aliments qui lui rappellent la chair humaine sur les murs du Bataclan, comme le steak haché. Elle ne supporte plus les sirènes, les gyrophares, la vue des armes des forces de l'ordre pourtant censées nous protéger. Dans la rue, il lui arrive "de se rouler en boule sous les voitures". Elle ne porte désormais que des baskets. "Pas question de ne pas pouvoir courir", insiste la trentenaire. Les musées, les terrasses, les concerts, les amis, c'est fini. 

Elle reconnaît aussi être tout le temps fatiguée. "Je culpabilise  vis-à-vis des victimes décédées ou blessées qui ne peuvent plus faire ce qu'elles veulent. J'ai honte moi de rien faire", déclare-t-elle en larmes alors qu'elle est aujourd'hui contrainte à un temps partiel. Psychiatre, psychologue, médicament, alcool, séjour en psychiatrie, Emilie a essayé de nombreux remèdes, mais reste à jamais blessée, psychologiquement.

En 2016, Emilie et Brendan ont eu leur bébé, un petit garçon : "Notre désir était d'avoir plusieurs enfants. Mais là je me l'interdis, parce qu'on n'est pas de bons parents." Aujourd'hui, elle "lutte activement contre le repli", notamment pour son fils. "Pour moi tout a volé en éclats. Comme quelqu'un l'a dit avant, moi aussi, ils m'ont tout pris. Sauf mon conjoint. Je n'ai pas su me relever", conclut-elle effondrée. "On peut dire qu'ils n'ont pas gagné mais pour moi ils m'ont fait beaucoup de mal."


Aurélie SARROT

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