Procès des attentats du 13-Novembre : "Quand mon père est mort, je n'avais que 7 ans"

Publié le 21 octobre 2021 à 22h36
Procès des attentats du 13-Novembre : "Quand mon père est mort, je n'avais que 7 ans"
Source : DR

JUSTICE – Les auditions des proches des victimes décédées au Bataclan se poursuivent. Parmi les personnes entendues ce jeudi par la cour d'assises spéciale, Alice et Emilie, 13 ans et 16 ans et qui ont perdu leur père en 2015.

Céline a été la première des trois à prendre la parole. Céline est l'ex-compagne de Manuel Perez, 40 ans, décédé au Bataclan. Ils ont passé près de 20 ans ensemble. Alice et Emilie, fruits de leur union, avaient 7 et 10 ans quand leur père a été assassiné. 

Le 13 novembre 2015, Céline a cherché son ancien compagnon pendant des heures avec d'autres, avant que la terrible nouvelle ne tombe, le samedi 14 novembre 2015 à 11h12. "J'ai hurlé, je suis tombée dans les pommes. Mes filles ont compris mais je dois leur dire", explique Céline. Emilie "hurle en pleurant" et "Alice ne dit pas un mot". "Avec mes filles on fait des boucles de larmes à trois. Ce soir-là, ils n'ont pas seulement tué Manu, ils ont déchiqueté le cœur de mes filles", insiste-t-elle. 

Ces deux enfants au cœur déchiqueté ont pourtant trouvé la force et le courage de témoigner ce jeudi au procès des attentats du 13 novembre 2015. 

"Le 13 novembre 2015 a été une vague, un tsunami"

" Je m’appelle Alice, j’ai 13 ans, quand mon père est mort, je n'avais que 7 ans" commence la plus jeune, cheveux bruns attaqués et chemise à carreaux rouge. Quand Alice a appris le décès de son père, elle n’arrivait pas à y croire. "Pendant longtemps une partie de moi pensait que mon père allait réapparaitre. Ça me manque tout simplement de ne plus pouvoir dire papa", murmure la très jeune adolescente dont la voix douce et encore enfantine résonne dans la salle d’audience. 

Alice déclare à la barre qu’elle pense à son papa souvent, qu’à chaque fois qu’une enfant apparaît dans la rue sur les épaules de son père, elle repense à ces bons moments. Elle déclare aussi qu’elle "en a marre", "marre de devoir expliquer pourquoi" elle est "brune" alors que sa mère et sa sœur sont blondes, "marre d'expliquer pourquoi c'est toujours sa mère qui vient" la "chercher", "marre de remplir des fiches à l'école en disant que mon père est décédé". 

"Le 13 novembre 2015 a été une vague, un tsunami. J’aurais pu me noyer, j’ai appris à surfer avec elle", assure pourtant Alice avant de laisser la parole à sa grande sœur.

"Son visage ne ressemblait plus à mon papa"

"Je m'appelle Emilie, j'ai 16 ans. Il y a six ans, mon papa Manu est mort au Bataclan. J'avais dix ans", débute l’adolescente aux  longs cheveux blonds, vêtue d'une chemise à carreaux verts. Elle indique qu'avec sa mère et sa sœur, elles habitent près du canal Saint-Martin, "à 300 mètres du Carillon et du Petit Cambodge". Emilie se souvient ce soir-là des "premiers tirs au bout de la rue" que tout le monde a pris pour des pétards. 

Puis Emilie est partie se coucher, sans savoir encore ce qui l'attendait. "Le lendemain, mon univers a basculé. Depuis, j'ai l'impression d'avoir deux vies : celle d'avant, et celle d'après".  Comme de nombreuses victimes, Emilie ne peut effacer la dernière image de l'être aimé, celle de l'institut médico-légal. "Je me souviens de la fermeture de son cercueil. On avait tellement attendu son corps après les autopsies que son visage ne ressemblait plus à mon papa. Cette image m'a longtemps terrorisée". 

Emilie a ensuite culpabilisé. Car ce 13 novembre 2015, c'est son papa qui devait la garder chez lui mais il avait une invitation pour le show des Eagles of death Metal. "Je l'avais encouragé à aller à ce concert qui lui faisait tant plaisir. Si je lui avais demandé de rester à la maison, il l'aurait fait" assure-t-elle. 

"Pour moi être heureuse voulait dire que j'oubliais"

Manuel, son père, est mort et Emilie doit faire avec. Alors, elle essaie ensuite d'aller mieux, se surprend à rire, mais replonge inlassablement dans sa tristesse. "Pour moi être heureuse voulait dire que j'oubliais, et je ne voulais pas oublier". À seulement 16 ans, elle a le sentiment "que ça n'ira jamais totalement bien". Selon elle, sa douleur "grandit" à mesure que les années passent. 

Emilie se sent depuis en décalage avec les autres. Elle "n'arrive plus à parler des attentats et de la mort" de son père. "Les amis qui sont au courant sont ceux que j'avais déjà à 10 ans". Aux autres, elle cache la mort de son père et ses circonstances. À l'école, elle a du mal à se concentrer et déclare même "ne plus avoir vraiment envie de le faire". "Je suis tellement préoccupée par d'autres choses que cela ne me semble sans enjeu. Derrière les attentats, plus rien ne me semble vraiment important ", souffle Emilie. 

Aujourd'hui, l'adolescente ne se sent "véritablement en vie" que quand elle fait des "choses exceptionnelles, quand l'adrénaline est forte". Elle cite les voyages, les concerts, le surf et le skate, qu'elle pratique avec  sa petite sœur Alice. Son père qui lui a appris le skate, le roller,  le ski, la plongée, la batterie ou Guitar hero sur la console n'est plus là pour les accompagner. 

Souvent, Emilie a en tête des images : celles de son papa "se préparant pour sortir et marchant vers le Bataclan,  léger, sans aucune conscience de la mort qui l'attend." "Au même moment, des individus se préparent, eux aussi, et marchent pour répandre l'horreur et commettre leurs crimes. Ces chemins divergents et parallèles qui vont s'entrechoquer dans la mort continuent de me laisser un sentiment d'absurdité et d'incompréhension. Je ne comprends pas", lâche Emilie à quelques mètres des accusés. 


Aurélie SARROT

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