À l'issue du procès des attentats du 13-Novembre, Salah Abdeslam s'est vu infliger la peine la plus lourde prévue par le droit français.Le seul survivant du commando a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, une rareté dans notre histoire judiciaire.Si une sortie de prison dans plus de 30 ans est possible, elle apparaît toutefois très hypothétique aux yeux des experts.
Mise à jour du 12/07/22 :
Cet article, paru le 30 juin dernier, a été actualisé suite à l'annonce du procureur général de Paris, expliquant que Salah Abdeslam ne ferait pas appel de sa condamnation. La décision de la cour d’assises spéciale de Paris a ainsi acquis "un caractère définitif", entérinant la condamnation à la perpétuité incompressible.
La plus lourde des peines possibles en France. Seul survivant du commando djihadiste du 13 novembre 2015, Salah Abdeslam a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible. Sa culpabilité "comme co-auteur a été retenue, dans la mesure où la cour a estimé que toutes les cibles constituaient une scène de crime unique", a expliqué lors du délibéré le président Jean-Louis Périès.
Officialisée par le fait qu'Abdeslam refuse de faire appel, cette peine très rare n'avait été jusqu'alors infligée qu'à quatre hommes, parmi lesquels Michel Fourniret et Pierre Bodein, surnommé "Pierrot le Fou". La sévérité du jugement est-elle pour autant synonyme de prison à vie ? Salah Abdeslam pourra-t-il un jour prétendre à une libération ? Pour le savoir, notre équipe des Vérificateurs a interrogé son partenaire Les Surligneurs, collectifs d'enseignants chercheurs en droit.
Une sortie assez improbable, et pas avant 30 ans
Maître de conférence à la faculté de droit de Nancy et spécialiste du droit pénal, Jean-Baptiste Thierry note que "la perpétuité incompressible peut être prononcée dans deux cadres". Pour meurtres aggravés sur des mineurs ou des dépositaires de l'autorité publique tout d'abord, comme le précisent les articles 221-3 ou 221-4 du code pénal. Mais aussi, "depuis un texte du 3 juin 2016, pour des crimes terroristes".
Cette évolution législative étant intervenue à la suite des attentats commis à Paris, elle ne peut pas être invoquée pour justifier la peine de Salah Abdeslam. L'incompressibilité de la peine est donc ici rendue possible par le fait que les attaques ont aussi visé des forces de l'ordre. Si les victimes avaient été uniquement civiles, la cour n'aurait pas pu rendre un verdict similaire.
En pratique, à quoi va ressembler l'avenir de Salah Abdeslam ? Ayant renoncé à faire appel, il "sera incarcéré en maison centrale, sans doute d'ailleurs soumis à l’isolement", note Jean-Baptiste Thierry. Pour un peu moins de 30 ans, puisqu'il a déjà passé plusieurs années derrière les barreaux dans le cadre de sa détention provisoire. Durant les longues années qui l'attendent en prison, "il n’aura aucune possibilité d’obtenir une quelconque forme d’aménagement", insiste le spécialiste. Ce qui signifie "aucune libération conditionnelle, ni de régime de semi-liberté, et pas non plus de permission de sortie".
L'octroi d'un bracelet électronique ou d'une suspension de peine est enfin à écarter. Tout au plus pourrait-il sortir de prison en cas de deuil d'un proche, pour une opération de santé... "Mais même quand c'est accordé, il n'y a pas de garantie que cela soit mis en œuvre, puisqu'il est nécessaire de parvenir à mettre en place une escorte adéquate, en se prémunissant de tout risque d'évasion."
Le comportement de Salah Abdeslam en prison ne changerait rien à l'aménagement possible de sa peine. Le seul impact potentiel porterait sur les conditions de sa détention (le contact avec les autres détenus notamment), qui pourraient être réévaluées en cas d'attitude exemplaire. À l'issue des 30 ans de détention prévus par sa condamnation, il ne sera pas un homme libre. "À ce moment-là, il pourra effectuer une demande de relèvement de sa période de sûreté. Il faudra pour cela solliciter le tribunal de l’application des peines, qui sera compétent pour se prononcer. En fonction des gages de réinsertion sociale qui seraient apportés, cette instance pourra mettre fin à la perpétuité réelle". Mais attention : "Si le tribunal en décide ainsi, cela ne voudra en aucun cas dire qu’il pourra profiter à coup sûr d'aménagements de peine. Il sera simplement en mesure de les solliciter."
Est-il aujourd'hui crédible d'envisager une sortie de prison pour le détenu Abdeslam ? "Au 30 juin 2022, ça me semble quand même très hypothétique", reconnaît Jean-Baptiste Thierry. Et ce même si le droit prévoit, afin de respecter les règles de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), de garantir à un condamné l'espoir même infime de pouvoir un jour recouvrer sa liberté.
Impossible enfin, lorsque l'on s'interroge sur une potentielle libération de Salah Abdeslam, de nier l'influence potentielle du contexte lorsque se posera la question d'éventuels aménagements de peine. Si la France reste confrontée dans une trentaine d'année à des risques terroristes, il apparaît peu probable que des juges puissent envisager la remise en liberté sous conditions d'un détenu aussi particulier condamné pour des faits d'une extrême gravité. Le survivant du commando du 13-Novembre aura alors un peu plus de 60 ans, un âge qui pourra par ailleurs difficilement être invoqué pour demander une suspension de peine pour raison médicale. Celle-ci concerne uniquement "les mourants ou les personnes très affectées", à l'instar de Maurice Papon, "qui avait été le premier à en bénéficier".
En conclusion, on observe donc que si le droit laisse entrevoir un très mince espoir de libération (d'ici au minimum trois décennies), Salah Abdeslam n'a aucune garantie de pouvoir un jour sortir de prison. La réclusion criminelle à perpétuité incompressible à laquelle il a été condamné, jusqu'alors décidée à l'encontre de quatre hommes seulement, prévoit en effet que la détention soit prolongée de manière stricte.
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