JUSTICE - Des victimes des attentats au Stade de France le 13 novembre 2015 sont venus témoigner devant la cour d'assises spéciale. Émotion et larmes étaient au rendez-vous.
Ils sont les premiers à être venus déposer ce mardi au procès des attentats du 13 novembre. Ces victimes étaient, pour la grande majorité, présentes le 13 novembre 2015 aux abords du Stade de France, où trois terroristes se sont fait successivement exploser à 21h16 porte D, à 21h20 porte H et à 21h53 porte B. Une autre, Sophie Dias, a perdu son père dans cet attentat.
Panique à témoigner devant une cour d'assises spéciale, difficulté de se trouver aux côtés des accusés, douleur de se souvenir du soir des attaques, sur la quinzaine de personnes venues témoigner ce jour, rares sont celles ayant réussi à contenir leurs émotions.
"Ce soir-là, ils nous ont mis la terreur"
Les premiers à être venus à la barre sont des militaires de la Garde républicaine. Le 13 novembre 2015, ils étaient treize, dont douze à cheval, pour contrôler les abords du Stade de France où avait lieu le match amical France-Allemagne.
"Le 3e terroriste a demandé à ma lieutenant où était le McDonald"s et lui a dit qu'elle avait de très beaux yeux. C'était Bilal Hadfi, je crois. Quelques secondes plus tard, la déflagration. Et moi je venais de dire à ma lieutenant que c'était rôdé, que c'était calme", se remémore Philippe, retraité, major de gendarmerie à l'époque à la garde républicaine et première des parties civiles à déposer ce mardi. Puis, il se souvient avoir vu "une jambe toute nue", avoir pensé que "c'était un bout de mannequin de vitrine", avant de réaliser qu'il s'agissait d'un corps. Avec ses comparses, ils prennent en charge des blessés. Les secours et la police ne sont pas encore là. L'homme voit alors le corps de la première victime des attentats du 13 novembre 2015, Manuel Dias, Rémois de 63 ans et chauffeur d'autocar qui venait de poser des Champenois au Stade. "Ce soir-là on a fait du mieux qu'on a pu", assure le témoin les larmes aux yeux.
Pierre, retraité de gendarmerie, se souvient ce soir-là des deux premières explosions, "des nombreux blessés, des cris et de la fumée". "Je garde en moi l'explosion, je garde en moi le bruit et je garde en moi l'odeur. J'ai été choqué par ce tronc humain coupé en deux par ses morceaux de chair un peu partout, le sang partout. Je rentre chez moi, mes chaussures sont pleines de sang, mes vêtements aussi" décrit-il. Depuis, il ne va pas bien : hyperactivité, hypervigilance, suivi à l'hôpital Bégin, séjour en hôpital psychiatrique, traitement post-traumatique. Il s'est retrouvé le 20 avril 2017, sur les Champs-Élysées quand le policier Xavier Jugelé a été assassiné. "Les images reviennent, les odeurs aussi, c'est quelque chose qui persiste. Le terrorisme, c'est la terreur. Ce soir-là ils nous ont mis la terreur. Il faut les juger pour ce qu'il s'est passé, mais aussi pour les conséquences ", conclut le gendarme retraité.
"J'avais des bouts de chair dans mes cheveux"
Renaud, adjudant de gendarmerie reprenait le travail ce 13 novembre, après cinq semaines de congés paternités suite à la naissance de sa première fille. "Elle n'aurait jamais pu connaître son père", lâche-t-il en pleurs. S'il gère la situation aujourd'hui quand il est en tenue, il nuance avec la situation à la maison ou dehors la maison. " Au moindre bruit, je sursaute", admet-il. Comme d'autres, il regrette n'avoir reçu aucun soutien de la part de sa hiérarchie.
Grégory, gendarme aussi, est parti en Guyane près les attentats. C'est sa "thérapie". Du 13-11-15, il se souvient de "l'onde de choc" qui le "traverse" puis de la 2e explosion. "On reçoit des débris. Je suis rentré chez moi et j'avais des bouts de chair dans mes cheveux, je ne m'en étais pas rendu compte". Très ébranlé six ans après les faits, il précise avoir écrit son "histoire". "Ce sera sûrement pas un best-seller. Mais c'est ce qui restera, ce que je léguerai à mes enfants."
Jonathan, chef d'escadron en tenue, voit encore le visage de Manuel Dias, "les yeux ouverts, agenouillés, puis le visage sur l'une de ses mains". Il réalise que le monsieur devant lui est mort. Puis, arrive la deuxième explosion. "C’est la sidération", avec d'un côté, des supporteurs qui applaudissent ; et, de l'autre, des blessés et un mort. Le chef d'escadron voit le commissaire de police arriver et dire à trois reprises à la garde républicaine de "dégager" : "Je vais désobéir à cet ordre. Pour moi il n'y a pas d'effectifs suffisants sur place. Nous restons sur zones", dit-il. Il ne rentrera chez lui qu'une fois les renforts de police arrivés. La suite a été compliquée, aucun des militaires n'a été en arrêt maladie. Pour sa hiérarchie, "la France était attaquée, il fallait la protéger, cheville au corps". Et si le soutien de la hiérarchie a fait défaut dans la suite des événements, le chef d'escadron précise que "le cheval a beaucoup aidé".
"Je ne reverrai plus jamais mon papa"
Aux militaires, a succédé Sophie Dias, fille de Manuel Dias, décédé. "Le 13 novembre, je préparais mon mariage au Portugal", explique la jeune femme blonde vêtue de noir. Elle voit à la télé des images des attaques, mais pense d'abord que c'est "uniquement" au Bataclan. Puis, elle découvre les autres lieux des attentats. Elle essaie d'appeler son père "une dizaine, une vingtaine, puis une trentaine de fois" mais son portable ne répond pas. "Le 14 novembre, je reçois plusieurs appels du consulat du Portugal, de la police, qui me martèle que mon père n'est pas sur les listes." Elle apprendra vers midi que son père est mort. L’appel du quai d'Orsay n'arrivera que 48 heures après.
Sophie Dias pointe le "manque d'empathie" par la suite, les nombreux "justificatifs demandés" pour prouver qu'on est une victime, "les lourdes démarches". "J'ai dû me marier sans mon papa, sans qu'il puisse m'accompagner à l'église. Nous menons un long combat pour faire reconnaître cette perte, insiste la trentenaire. Je ne reverrai plus jamais mon papa (...) Pour mon papa, j'irai jusqu'au bout". Quant à l'importance de ce procès, pour elle, c'est le "devoir de mémoire" qui prime.
"Tout est parti en éclats"
Marylin, elle, n'a pas perdu un proche, mais elle était au Stade de France ce soir-là pour collaborer à un documentaire sur les supporteurs allemands. "C'était facile et bien payé", justifie cette partie civile. À 21 heures, le match commence. Marylin part faire un dernier tour du côté des restaurants et des cafés pour voir s'il n'y a pas d'autres témoignages à recueillir. Elle voit les nombreux camions de CRS et se fait la réflexion que c'est "bien protégé" sans savoir que le président François Hollande assiste à la rencontre. "Tout d'un coup, il y a eu l'explosion. J'ai été stoppée par le bruit, la poussière et par le souffle. Je me suis dit : oh putain un attentat. Oh putain, je suis en vie. Oh putain, il faut que je me barre", détaille la partie civile, yeux clairs, voix posée, cheveux bouclés. Marylin est blessée, un impact dans la joue, des brûlures aux jambes, des hématomes. Elle est évacuée à l'hôpital. "À l'arrivée, le chirurgien de garde a essayé de faire une extraction à vif du projectile qui était dans ma joue, sans anesthésie. J'avais un écrou de 18 mm. Pour l'extraction de l'écrou, j'ai attendu 48 heures, car je n'étais pas prioritaire", explique-t-elle avant de montrer le projectile extrait.
Soignée, Marylin ne s'est jamais remise de cet événement. Elle n'a jamais parlé aux médias, mais voulait absolument venir devant la cour d'assises pour montrer comment sa vie avait changé depuis. "J'ai dégoté un syndrome de stress post-traumatique qui a des retentissements très importants dans ma vie personnelle et professionnelle", admet-elle. Celle qui aimait la fête n'est plus sortie depuis. Malgré ses deux masters et sa volonté, tous les emplois qu'elle a eus par la suite se sont mal terminés, le dernier, par un "licenciement pour inaptitude". Elle s'est séparée du père de sa fille, née après les attentats. "Mon couple n'a pas survécu aux attentats et aux conséquences. Tout est parti en éclats", dit-elle. Hypnose, sophrologie, antidépresseurs, Marylin a tout essayé. "Je fais du yoga, du shiatsu, j'ai trouvé des outils pour m'aider", conclut cette victime qui a quitté la région parisienne.
"J'ai confronté la mort une deuxième fois"
Dernier à témoigner ce mardi, Walid raconte avec l'aide d'une interprète être venu en France à l'été 2015 avec sa mère et son frère, alors atteint d'un cancer et dans l'espoir de lui trouver un traitement. Le 13 novembre, il décide au dernier moment d'aller voir le match. Il prend d'abord la direction du parc des Princes, réalise qu'il s'est trompé, puis repart vers le Stade de France. Il vient d'acheter un billet à un vendeur à la sauvette quand retentit la première explosion. "J'ai été soulevé. J'ai eu l'impression que j'avais reçu 20 tirs. Le son était très fort. J'entends encore le sifflement et je vais entendre ça toute ma vie. J'ai vu que ma jambe droite était séparée de mon corps, l'os qui sortait. Et moi, je perdais beaucoup de sang de plusieurs parties de mon corps. J'ai aperçu les secours, j'avais l'impression que c'était mes derniers instants de vie. Tout devenait noir devant moi au point de perdre connaissance".
Walid explique être venu au procès pour saluer "le dévouement des médecins". "Ces gens-là, quand ils sont venus me secourir, ils ne savaient pas qu'elle était ma nationalité, ma religion, si j'étais auteur ou victime. C'est la différence entre ces gens-là qui sont miséricordieux, humanitaires et d'autres gens qui tuent des personnes sans les connaître", souligne le témoin. La suite : huit jours de coma, 15 projectiles dans le corps dont trois toujours présents, 145 jours en tout en soins intensifs, des opérations à répétition et parfois à vif, le décès de son frère survenu sur cette période et des funérailles en Égypte auxquelles il n'a pas pu assister.
À cela, s'est ajoutée la confusion. Pendant l'explosion, le passeport de Walid s'est retrouvé près du corps d'un des terroristes qui venait de déclencher sa ceinture à ses côtés. Pendant plusieurs jours, il sera considéré comme l'un des auteurs présumés des attentats. "Les renseignements égyptiens ont interrogé des amis à moi et quatre jours après, le ministère français m'a innocenté", détaille le jeune homme de 33 ans qui n'a jamais pu retravailler depuis les attaques.
La suite des dépositions de parties civiles doit se poursuivre mercredi 29 septembre, et pendant cinq semaines. Au total, plus de 2 200 personnes se sont constituées parties civiles à ce procès.
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