Le procès hors norme des attentats du 13-Novembre

Procès du 13-Novembre : les médecins du Raid et de la BRI racontent "une situation de guerre similaire aux théâtres d'opération"

Publié le 28 octobre 2021 à 22h05, mis à jour le 29 octobre 2021 à 9h53
Procès du 13-Novembre : les médecins du Raid et de la BRI racontent "une situation de guerre similaire aux théâtres d'opération"

Source : ALAIN JOCARD / AFP

JUSTICE – Les médecins du Raid et de la BRI se sont succédé à la barre ce jeudi. Devant la cour, ils ont détaillé leur intervention il y a six ans dans l'enceinte du Bataclan.

"Hémorragie", "Nid de blessés", "urgence absolue", "urgence relative", "extraction", sont des substantifs et des groupes de mots qui ont résonné dans la salle d'audience au 35e jour du procès des attentats du 13 novembre 2015.  

Ce jeudi en effet, la cour a entendu successivement à la barre les médecins du Raid, Matthieu Langlois et de la BRI, Denis Safran. Les deux spécialistes, qui ne sont pas armés quand ils sont en intervention, ont détaillé leur mission à leur arrivée sur le site du Bataclan. Leur objectif : "mettre en sécurité des victimes, les extraire de la menace et du danger et les confier aux secours."

"Plus on avance, plus la situation de chaos est évidente"

"Je voudrais préciser le rôle d'un médecin du Raid, le Raid depuis 1993 a intégré dans ses équipes d'intervention au moins un médecin dont le rôle est d’assurer les secours au plus près des équipes en cas de besoin" commence le Docteur Langlois qui était là "lors de l'assaut contre Mohamed Merah et à l'HyperCacher".

Après avoir eu le "feu vert du patron", le Dr Langlois prend la direction du Bataclan. "Le temps du trajet, j'essaie de prendre un peu de recul et de sérénité, je sais que ce sera précieux sur place". À son arrivée, il découvre "des corps sur le trottoir, passage Amelot". Des policiers crient : "Planquez-vous, ça tire". 

"Je suis médecin, je ne m'occupe pas de la partie sécurité et intervention. Par contre, je suis obligé d'en tenir compte pour avoir comment on va organiser les secours", précise le médecin du Raid. "Je suis à l'arrière avec le MED2, le patron du Raid et le chef des opérations . Plus on avance, plus la situation de chaos est évidente. La progression est difficile, il y a énormément de corps, il faut trouver la place pour marcher, pour aller jusqu'à la fosse". 

L'évacuation des victimes en vie dans la fosse et l'organisation du "nid de blessés" dans l'entrée prend une quarantaine de minutes selon le médecin. Les intervenants ont alors comme information que deux terroristes sont à l'étage, qu'un troisième terroriste pourrait être caché et qu'il pourrait y avoir un colis piégé. 

"Le rôle psychologique du médecin est très important. Ça m'a vraiment marqué dans cette nuit-là. L'importance de la confiance que le médecin transmet aux policiers et aux victimes m'a marqué, continue-t-il. Une anecdote :j'ai enlevé mon casque et ma cagoule devant des blessés, ce que je n'aurais jamais dû faire mais ça a été une aide pour moi dans la partie relationnelle que j'ai eu avec les médecins, les policiers et les victimes". 

Arrive une nouvelle information : 80 victimes, dont certaines blessées sont sur le toit de la salle de concert. "On se retrouve avec 4 échelles de pompiers, on demande à un binôme de pompiers de faire les descentes, on a des harnais type montagne (..) Il a énormément de monde, blessés et/ou dans une détresse psychologique, il y a urgence à les faire sortir". 

Après l'assaut,  le Dr Langlois apprendra qu'il n'y a pas de blessés parmi les otages à l'étage. "Un soulagement". La suite : "Je retrouve l'ensemble des médecins du Raid, on est vidés physiquement et psychologiquement. (...) On a fait notre maximum. On repart sur la base, il doit être 2 heures du matin". Son obsession à ce moment-là : se laver, jeter toutes ses affaires et prendre la douche plus longue de sa vie. "C'est une nuit qui nous marquera à vie, on n'est pas des surhommes, on a nos fragilités, on a nos failles. C'est quand même une nuit très marquante."

"Une vision d'horreur sur ce qu'il se passe à l'intérieur"

Denis Safran raconte à son tour sa soirée du 13 novembre. "J'étais à une certaine distance de mon domicile, dans un café où il y avait une réception pour le départ d'un de mes collègues de l'hôpital Georges Pompidou." Un ami de Bordeaux l'appelle, lui dit qu'il y aurait des attaques à Paris. Il n'est pas au courant." Ayant un doute, j'appelle la permanence de  la préfecture de police de Paris qui ne répond pas. J'en déduis qu'il doit se passer quelque chose. Je repars en courant chercher mon véhicule. Sur mon pager, le message : 'retour service immédiat'."

Le docteur se change sur le trottoir, met sa tenue de la BRI, puis suit le cortège de la Brigade jusqu'au Bataclan. Sur place, il se retrouve au sein de la colonne Apha, est happé par une personne qui sort d'un porche et lui dit qu'il y a un blessé. Celle-ci est prise en charge. "Je demande aux policiers locaux de me couvrir jusqu'à l'entrée du Bataclan. Le chaos règne, du verre partout, des victimes sur le trottoir, je rentre avec ma colonne d'assaut : une vision d'horreur sur ce qu'il se passe à l'intérieur", poursuit le Docteur Safran. 

Avec le médecin chef du Raid, ils œuvrent pour qu’il y ait une évacuation immédiate. "Il n’y a pas eu de bouclage du Bataclan, nous avons tout fait pour qu'un maximum de gens sortent le plus vite possible. Il peut y avoir des détresses respiratoires, des hémorragies, la seule façon de sauver ces victimes, c’est qu’elles soient prises en charge le plus rapidement. Les Américains ont appelé ça la "golden hour", là, c’était la "golden minute". 

Le médecin coupe les t-shirts et les pantalons pour évaluer la gravité des blessures, tend des vêtements en boule aux spectateurs indemnes pour qu’ils fassent des points de compression aux blessés. Puis, faute de brancard, il a l'ingénieuse idée de dire aux policiers de prendre les barrières Vauban devant la salle afin de s'en service comme de matériel d'évacuation. 

Après l'assaut, il passe la soirée à explorer les dédales du Bataclan à la recherche de blessés. : "Il y a énormément de monde, dans la situation dans laquelle nous avons découvert cette scène, cette salle, cette masse de gens dans la fosse, des gens blessés en travers des fauteuils. Je ne peux pas vous dire combien il y avait de personnes. On est dans une situation de guerre similaire à celle qu’on trouve sur les théâtres d'opération", conclut-il.


Aurélie SARROT

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