Procès du viol au 36 quai des Orfèvres : les accusés donnent leur version des faits

Publié le 25 janvier 2019 à 0h15, mis à jour le 25 janvier 2019 à 7h20
Procès du viol au 36 quai des Orfèvres : les accusés donnent leur version des faits
Source : NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Justice - Le procès de Nicolas R. et Antoine Q., deux policiers, anciens de la BRI, jugés pour le viol d'Emily S., touriste canadienne, dans les locaux du 36, quai des Orfèvres à Paris dans la nuit du 22 au 23 avril 2014 à Paris se poursuit aux assises. Ce jeudi, les accusés ont dévoilé à la cour ce qui, selon eux, s'est passé dans le bâtiment de l'île de la Cité ce soir-là.

Le procès doit durer jusqu'au 1er février. Après trois semaines d'audience devant les assises de Paris, ce sera peut-être encore parole contre parole. Car neuf jours après le début des débats, le 14 janvier dernier, les versions livrées par les parties restent radicalement différentes. 

Sur le banc des accusés : deux policiers, Nicolas R. et Antoine Q. deux anciens de la BRI. Sur celui de la partie civile : Emily S., canadienne. Cette jeune femme qui a rencontré les fonctionnaires au pub le Galway, quai des Grands Augustins le 22 avril 2014 avant de les suivre dans les locaux du 36, quai des Orfèvres, affirme avoir été violée par plusieurs d'entre eux, au moins deux, probablement trois – une troisième personne n'a pas été identifiée – alors qu'elle voulait visiter les bureaux. 

Pour ces faits, les deux accusés encourent une peine de réclusion criminelle de 20 ans. Ce jeudi, ils ont donc livré tour à tour, devant la cour, à la demande du président Stéphane Duchemin, leurs versions des faits qui se sont déroulé dans le bâtiment de l'île de la Cité.

"Seins nus, en train de rigoler et de danser"

Antoine Q., en couple, père d'un petit garçon né en 2012, a déposé le premier. Il a reconnu avoir une maîtresse à l'époque des faits, il a reconnu des baisers avec Emily S. près du pub ce soir-là, ainsi qu'une pénétration digitale dans sa voiture alors que tous deux prenaient la direction du 36, quai des Orfèvres après une soirée arrosée au Galway, quai des Grands Augustins. 

Mais le fonctionnaire dit avoir été stoppé dans son élan, incommodé "par une odeur" sur sa main. Par la suite, après avoir pénétré dans les locaux du 36, il aurait regagné son bureau pour travailler sur "une grosse opération" qui avait lieu le lendemain matin et qu'il n'avait pas eu le temps de préparer avant. Emily S. serait, elle, montée quelques minutes plus tard avec son collègue Nicolas R., avec qui elle aurait aussi flirté un peu plus tôt au pub. 

Nicolas R. lui aurait montré des photos dans le couloir, parlé avec elle, avant qu'ils n'aillent tous les deux dans son bureau. "La porte est fermée. J'entends des choses. J'imagine qu'il sont tous les deux dedans, peut-être trois", a indiqué aujourd'hui son collègue Antoine Q. 

La suite ? Selon Antoine Q., un troisième homme de l'unité d'élite, qui avait passé le début de soirée avec eux arrive.  "Il me dit : 'Il est ou Nico ?' Je lui dis : 'Bah il est là', avec un petit sourire... Puis après, Emily S. arrive dans mon bureau en short, seins nus, en train de rigoler et de danser"

"Je n'ai rien fait de ce qu'elle raconte"

Nicolas R. aurait alors lancé à ses collègues: "Elle est barrée, elle est barrée!" Antoine Q. raconte qu'elle serait ensuite allée "sous le ventilateur où un string est accroché".  Je lui dis :"Rhabille toi!". Je lui parle mal. Elle me dit : 'Non non non'. Elle me dit : 'Take a photo, take a photo'. Dans son sac, elle prend un appareil photo rose elle le tend à Nicolas qui l'a prend en photo. 

Selon Antoine Q., Emily S. est ensuite allée aux toilettes. En revenant des WC, Nicolas R. avait, toujours selon lui, quitté les lieux. "Je dis à Seb : 'Sympa'. Genre, il nous laisse son paquet quoi". Et là ,elle a dit : "My jacket, my jacket, il m'a volé ma jacket avec 500 dollars". "Quelque chose ne va pas. Elle est obnubilée par sa veste", souligne Antoine Q. à la barre. C'est loin d'être un détail car, selon Antoine Q. et ses collègues, Emily S. se serait d'abord plainte d'un vol et non d'un viol. 

Au cours de ces 1h22 minutes dans les bureaux, Antoine Q. jure ainsi n'avoir fait que travailler et régler cette histoire de veste. Il n'a entendu aucun cri "ni de plaisir, ni de douleur" en provenance du bureau de Nicolas R. quand ce dernier s'y trouvait avec Emily S. Il affirme également n'avoir jamais vu la jeune femme "en pleurs" comme l'ont répété plusieurs fonctionnaires. Il parle lui de quelqu'un qui a "pinaillé" à certains moments puis "chouiné".

"Je veux bien avoir fait des erreurs dans cette histoire, mais je n'ai jamais fait une saleté pareille. Et jamais je n'aurais couvert un collègue qui a fait une saloperie pareille", lance le policier, en larmes. "Je n'ai rien fait de ce qu'elle raconte". 

"Quelque chose de festif"

Un peu plus tard, son ancien collègue, Nicolas R., jurera la même chose. Père de deux enfants, séparé, le policier aujourd'hui âgé de 49 ans reconnaît qu'il fréquentait quelqu'un à cette époque mais qu'il fait aussi "des rencontres d'un soir". 

Selon lui, Emily S. et lui se tenaient la main en arrivant au 36. Puis ils montent les étages du bâtiment :"Je lui explique que là il y a la Crim'; puis je lui dis que là, il y a la brigade des stups. Puis je lui dis que l'on arrive au service de la BRI, raconte l'accusé à la barre. Je lui montre des photos au mur. J'ouvre mon bureau, je lui présente mon bureau, je lui montre ma tenue avec mes médailles, je lui montre des photos de sniper. Je ferme la porte pour plus d'intimité. On a des échanges de caresses, de baisers tout en restant dans quelque chose de festif". 

Nicolas R. précise avoir alors dit qu'il était quelqu'un de "libéré" et ajoute : "Elle me dit qu'elle aussi". "Tout en continuant nos gestes et nos embrassades avec la langue. On parle d'échangisme. Je crois que c'est moi qui appelle Sébastien C. Il me demande si je suis avec la fille, si tout se passe bien". 

"Elle a menti"

Nicolas R. indique ensuite qu'Emily S. lui aurait fait une fellation - qu'il n'a pas reconnue au départ . Puis du fait de l'alcool, il n'aurait pas "réussi à bander" et aurait alors demandé à la jeune femme de se rhabiller. 

Elle aurait alors filé dans le bureau du collègue voisin, dansant, et seins nus. "Elle est alors festive, olé olé". Elle demande à Nicolas R. de la prendre en photo. Il le fait. Puis elle n'aurait plus voulu lui parler. "J'ai alors pris la décision de partir et je suis rentré chez moi. Je n'aurais pas du partir, j'aurais du rester, insiste Nicolas R. face aux jurés. Ce qui est sûr, c'est que quand je pars, elle est joviale. Rien à voir avec l'état décrit après en bas du 36".

 Puis il conclura :"Je n'ai jamais violé Emily S. Je n'ai jamais tenu Emily S. ou plaqué Emily S. sur le bureau. [...] Je dis qu'Emily S. a menti, comme elle a menti quand elle dit qu'elle ne m'a jamais embrassé dans le Galway..."

Vidéos et photos disparues

Le président, Stéphane Duchemin, comme l'avocat général, Philippe Courroye, s'étonneront un peu plus tard de ce coup de fil à un collègue, alors qu'il "prend du  plaisir" avec la Canadienne. Ils pointeront également ce SMS envoyé par Nicolas R. à Sébastien C. qui se trouve alors encore au pub : "Dépêche ! C'est une touzeuse". Le texto sera retrouvé dans le téléphone de Sébastien C. Nicolas R. l'a lui effacé. 

La vidéo tournée à 1h16 avec l'iPhone de Sébastien C. a elle aussi disparu. Tout comme une vidéo et une photo, du téléphone cette fois de Antoine Q. L'état actuel de la technologie ne permettrait pas, selon un expert entendu ce jeudi, de les reconstituer dans leur intégralité. 

Quant au sperme retrouvé dans un caleçon de Nicolas R. sur l'arrière du sous-vêtement alors que sur le devant se trouve l'ADN d'Emily S., l'accusé indique que dans le panier de linge sale, les slips ont dû "rentrer en contact".  Avant de demander à l'avocat général : "Comment sinon le sperme peut se retrouver à l'arrière du caleçon ?" Hypothèse de Philippe Courroye : "Si, par exemple, on remet vite le caleçon et qu'il n'est pas du bon côté". "J'avais même pas pensé à ça", souffle alors Nicolas R.

L'audience doit reprendre ce vendredi, à 9h30. Seront notamment entendus Sébastien C. et Emily S. sur ce fameux 23 avril 2014.


Aurélie SARROT

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