Procès du viol du "36" : "Les pièces à conviction ont assis mon intime conviction", plaide un avocat de la partie civile

Publié le 29 janvier 2019 à 22h42, mis à jour le 29 janvier 2019 à 23h00
Procès du viol du "36" : "Les pièces à conviction ont assis mon intime conviction", plaide un avocat de la partie civile

JUSTICE – Le procès de Nicolas R. et Antoine Q. policiers, anciens de la BRI, jugés pour le viol d'Emily S. dans les locaux du 36, quai des Orfèvres, dans la nuit du 22 au 23 avril 2014 se poursuit. Ce mardi, les avocats de la partie civile, Emily S., ont plaidé.

Ils n'ont pas cessé de prendre des notes depuis le début du procès, le 14 janvier. Ce mardi, 12e jour d'audience, les jurés ont encore une fois sorti leurs crayons et noirci le papier en écoutant les plaidoiries des avocats de la partie civile. 

Dans l'enceinte de la cour d'assises de Paris, où sont jugés pour viol en réunion dans les locaux du 36 quai des Orfèvres et depuis le 14 janvier, Nicolas R. et Antoine Q. policiers, anciens de la BRI, Me Stasi et Me Obadia, avocats de la plaignante, Emily S., ont assuré être certains de la culpabilité des deux hommes qui comparaissent libre et qui contestent, depuis toujours et encore aujourd'hui, les faits qui leurs sont reprochés. 

"Cette vidéo doit être votre pierre angulaire"

Me Sophie Obadia a pris la parole en premier. S'adressant au jurés, elle leur a lancé : "Vous allez avoir deux théories aussi loufoques l'une que l'autre. La première, c'est de dire qu'Emily S. ment, qu'elle est dérangée, borderline… La deuxième thèse, c'était de dire que c'est une partouzeuse, maintenant c'est acquis au débat. Que cette femme si libérée avait accepté de coucher avec plusieurs hommes…"

Me Obadia évoque alors les images extraites des caméras de vidéosurveillance du 36, sur lesquelles on voit Emily S. devant l'entrée du 36 avec Nicolas R., avant les faits. "Cette vidéo doit être votre pierre angulaire. (…) Qu'est ce qu'on y voit : qu'Antoine Q. monte seul et vite, que Nicolas R. monte après. On voit que ce long baiser évoqué par un accusé n'existe pas, on voit qu'Emily S. titube, qu'elle zigzague et qu'elle a l'air gai…"

Puis l'acovate revient sur ce SMS envoyé par un policier à ses collègues le 23 avril au matin : "Suite à notre petite soirée arrosée, Antoine, gamin et Nico ont montés une gonzesse au 36 pour la fourrer. Sauf qu'elle a déposé plainte pour viol". "Porter plainte pour viol, ça n'est pas rien", insiste-t-elle détaillant les démarches et examens que cela impliquait pour la victime. 

"C'est un viol d'humiliation"

Me Obadia aborde ensuite les expertises. "Au bout de 6 mois, le résultat d'une première expertise nous dit qu'Emily S. est crédible, intelligente. Ça nous a rassurés, car à en croire la presse elle était complètement cinglée. Puis à la deuxième expertise, les choses changent, il y a l'ADN. Ça change un peu les choses, il va falloir comprendre…"

Puis elle raconte avoir, un matin, allumé la radio et y avoir appris que toutes les personnes du 36 allaient été soumises à un test ADN". "On cherche le 3e ADN, le M1, celui qui manque. Je n'entends à la radio pas que l'on a deux ADN qui sont sûrs, j'entends qu'il en manque un. C'est là que le vent tourne. Ça devient : 'Alors Mme Emily S. Vous couchez avec tout le monde ? C'est quoi cette fille qui a des amants ?' Ça y est, c'est le procès de la victime… "

Pourtant, selon Me Obadia, Emily S. ne s'est 'pas mise en danger en allant au Galway. Elle allait juste boire un verre, et passer une bonne soirée. "Emily S. est sympa, 'over friendly', un peu cabossée, elle est crédible et crédule Quand elle est au Galway, elle croit qu'on l'aime. Mais elle n'y est pas du tout… C'est un viol d'humiliation. Ce n'est pas une histoire d'amour. C'est les fêtes de Bayonne. C'est haro sur la viande saoule. Un viol physique, un viol psychologique".

Et de conclure : "Mesdames et messieurs les jurés, vous allez dans votre délibéré tout simplement, sans haine, aider Emily S. à aller de l'avant. Je ne vous demande pas de lui rendre sa dignité, car pour moi, Emily S. ne l'a jamais perdue"

Pas de sanctuarisation des lieux

Succédant à consoeur, Me Stasi a lui pointé du doigt les ratés de l'enquête dans ce dossier : des lieux qui n'ont pas été "sanctuarisés", des SMS, des photos et des vidéos effacées, un taux d'alcoolémie qui n'a pas été relevé chez les policiers, de la concertation chez les fonctionnaires… 

"Emily S. a été entendue le 25 avril et a dit : 'Je suis sûre qu'ils étaient 3, je ne suis pas sûre qu'ils étaient 4.' Il n'y a pas deux versions, il y en a une avec une incertitude sur un point", a souligné l'avocat. Ce dernier rejoint les conclusions du psychiatre et expert auprès des tribunaux Roland Coutanceau selon qui "la réalité du dossier, le plus important c'est l'alcool (entre 2 et 2,7g)" : "L'alcool altère la mémoire. La femme alcoolisée est plus fragile. Ceux qui sont autour peuvent le percevoir. Là je vais plaider, je vais changer un mot : Ceux qui sont autour DOIVENT le percevoir. Il y a une discontinuité due à l'alcool." 

Pour Me Stasi, les images du vidéosurveillance du Galway révèle une situation bien précise. Il parle d'une "meute" et d'une "proie facile". "La vulgarité, les gestes, après tout c'est leur droit à ces policiers, je ne suis pas dans la morale, ils font ceux qu'ils veulent le soir. Sauf que l'alcool est une circonstance aggravante pour eux. Quand on sait qu'il y a un crime qui s'est déroulé un peu plus tard à trois ou à quatre, c'est vrai que l'on regarde la vidéo du Galway un peu différemment : un tel mime une sodomie, un tel tente d'embrasser Emily S. Un tel mime une pénétration sexuelle puis une fellation…"

"Une poivrasse, faut la virer"

Puis Mario Stasi rappelle qu'à son arrivée au "36", Emily S. avait l'air heureuse. Puis qu'en redescendant des bureaux, elle était, selon plusieurs témoignages, "en larmes" et "effondrée". Il reliera également ce témoignage d'un fonctionnaire rapportant les propos d'Antoine Q. aujourd'hui accusé : "C'est une poivrasse, faut la virer", "Cette merde elle est bourrée il faut s'en débarrasser"… 

L'avocat poursuit en soulignant que la Canadienne était à ce procès. "Ça a été et c'est toujours dur", dit-il "Le huis clos ? Nous ne l'avons pas demandé", a rappelé l'avocat. "Moi je voudrais que tout le monde sache, en accord avec Emily S. : quand c'est oui c'est oui, quand c'est non c'est non. Albert Camus a dit : 'Un homme ça s'empêche'." 

"Dans ce dossier, les pièces à conviction, les SMS, l'ADN, le sperme, ont assis mon intime conviction. Je sais à l'analyse de ces pièces qu'ils ont menti. L'intime conviction c'est qu'ils sont coupables", a conclu l'avocat pour qui il n'est aucunement question dans ce dossier de "parole contre parole". 

L'audience doit reprendre mercredi à 9h30 avec le réquisitoire de l'avocat général. Suivront les plaidoiries de la défense. Le verdict est attendu jeudi. Les accusés encourent 20 ans de réclusion criminelle. 


Aurélie SARROT

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