Ces ex-policiers ou gendarmes reconvertis dans le privé qui flirtent avec la ligne jaune

par William MOLINIE
Publié le 30 septembre 2016 à 20h33
Ces ex-policiers ou gendarmes reconvertis dans le privé qui flirtent avec la ligne jaune

Source : AFP/illustration

ENQUÊTE – Bernard Squarcini a été mis en examen pour avoir fait jouer ses anciennes relations au sein de la police pour le compte de ses nouveaux clients. Une pratique trouble et illégale, régulièrement pointée du doigt.

Ils sont anciens gendarmes, policiers, ou agents du renseignement, aujourd’hui en poste dans des grands groupes privés. Forcément mieux payés que dans leurs affectations publiques. Evidemment recrutés pour leur expertise en matière de sécurité. Mais aussi pour leur carnet d’adresse, leurs réseaux, leurs anciennes connexions. Au risque de franchir la ligne jaune et de tomber sous le coup de la loi : conflit d’intérêt, trafic d’influence, violation du secret de l’instruction ou du secret défense, compromission…

C’est pour certains de ces délits que Bernard Squarcini, l’ancien patron du renseignement intérieur, a été mis en examen ce mercredi. Il lui est reproché, entre autres, d’avoir profité de son ancienne situation pour renseigner le groupe LVMH, un de ses plus importants clients, à travers sa société de conseil en sécurité. Les enquêteurs pensent qu’il a ainsi tenté d’obtenir le contenu d’une enquête en cours, conduite par le parquet de Paris, après une plainte de Hermès contre LVMH.

VIDÉO - Bernard Squarcini : les raisons de sa mise en examen

Bernard Squarcini : les raisons de sa mise en examenSource : JT 20h Semaine
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Haut niveau de secret défense

Comme Bernard Squarcini, d’anciens patrons de la police ont rejoint le privé : Christian Flaesch, ex-chef du "36", aujourd’hui directeur général sûreté-sécurité du groupe Accor, Christian Lothion, passé de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) à la direction du département sécurité de la Fédération bancaire française (FBF), le général Denis Favier, ancien patron des gendarmes, recruté par Total pour diriger les stratégies de sécurité, Jean-Louis Fiamenghi, ancien chef du RAID, désormais à la sûreté de Veolia… "Si les groupes privés s’arrachent les anciens patrons, ce n’est pas pour leurs beaux yeux. C’est, bien évidemment, d’abord pour leur connaissance du domaine, mais aussi pour faire jouer leur carnet d’adresse", fait remarquer auprès de LCI un haut fonctionnaire. 

Sauf qu’en renouant les liens avec leurs anciens collègues, ces policiers peuvent s’exposer à des poursuites judiciaires. En quittant la "boutique", Bernard Squarcini a perdu ses habilitations "secret défense". Mais dans ce milieu du renseignement où l’information est ce qu’il y a de plus précieux, les bureaux se ferment, mais pas complètement à clé. Régulièrement, Bernard Squarcini aurait réactivé ses anciens réseaux. Ce qui lui vaut aujourd’hui, au sein de son contrôle judiciaire, une interdiction de se rapprocher des grandes oreilles de Levallois-Perret.

Evolution de la législation

Cette obligation de distance avec ses anciennes amours, Alain Rodier, ancien officier supérieur des services de renseignement extérieurs, s’en est fait une raison. Pendant 10 ans, il s’est mis "au vert" après avoir quitté le ministère de la Défense. "J’ai fait une plongée profonde au purgatoire. Mais cette règle, vous la connaissez quand vous signez. Reprendre contact avec les services internes, c’était aussi les mettre en danger", explique-t-il auprès de LCI.

Pour éviter les conflits d’intérêts lors du passage au privé, Christophe Rouget, commandant de police et chargé de communication du syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI), souhaiterait voir la loi évoluer. Et rapidement. "La réglementation doit changer. Patrick Calvar [patron de la DGSI] va partir l’année prochaine. La question va se reposer de la même façon. Doit-on interdire la reconversion dans le domaine de la sécurité privée ? D’autres professions peuvent aussi s’interroger : avocats, magistrats, politiques, conseillers ministériels…" fait-il remarquer.

Sentiment d’impunité

Le sujet est sensible, certes. Mais comment un ancien patron du renseignement intérieur peut-il se faire rattraper par la patrouille sur la base de SMS, de conversations, de mails échangés avec ses anciens collègues ? "L’affaire est surtout inquiétante. Voilà l’homme le mieux informé de France qui tombe sur une écoute téléphonique. Il n’a pris aucune précaution", relève un policier parisien. Un autre y voit plutôt la manifestation d’un sentiment d’impunité. "Il se pensait intouchable. Preuve que non", coupe-t-il. 

Avant de quitter la DCPJ et rejoindre la Fédération bancaire française (FBF), Christian Lothion a dû soumettre son projet de reconversion à une commission. "C’est bien qu’elle existe, ça permet d’interdire par exemple aux policiers du service des courses et jeux d’être recrutés par des casinos une fois à la retraite. Mais son travail pourrait être plus minutieux", reconnaît-il auprès de LCI. Malgré tout, la législation n’a pas besoin d’évoluer massivement. Surtout pas pour empêcher policiers et gendarmes d’exercer dans le domaine de la sécurité privée. "Les groupes qui emploient d’anciens policiers sont très contents de leur travail, justement parce qu’ils sont des professionnels de la sécurité", oppose-t-il. Avant de conclure : "Ils ne vont pas être recrutés pour planter des choux !"


William MOLINIE

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