REPORTAGE - Manche : aux côtés des policiers dans la traque des passeurs de migrants

Léa Tintillier | Reportage TF1 Baptiste Guénais, Quentin Trigodet, Emmanuelle Coppo
Publié le 15 novembre 2022 à 9h00

Source : JT 20h Semaine

Chaque année, des dizaines de milliers de migrants tentent la traversée de la Manche pour se rendre en Angleterre.
Les policiers traquent quotidiennement les réseaux de passeurs, de plus en plus organisés, qui organisent ces traversées.
Le 20H de TF1 a enquêté sur ce phénomène.

150 kilomètres de côtes entre Le Touquet et Dunkerque, en passant par Calais, scrutés chaque fois que la météo le permet par des pilotes de la police aux frontières. Ce jour-là, ils repèrent, au milieu du chenal, de petits points noirs. Ces bateaux ont quitté la plage au petit matin. "Les trois sont partis quasi simultanément. Les positions vont être transmises aux ferrys et aux cargos qui sont dans le chenal de Dunkerque, qui est un chenal très emprunté", explique le brigadier-chef Patrice, chef de la brigade de police aéronautique de Lille. 

L’Angleterre est juste là, à 40 kilomètres. La marine nationale interviendra seulement si les migrants ont besoin d’être secourus. Pas question de les stopper une fois en mer. Les policiers vont prendre quelques clichés. Leur mission : repérer les candidats au départ tant qu’ils sont à terre, prévenir la mise à l’eau des bateaux et empêcher les passeurs de livrer le matériel. Une tâche sans fin. "Dès qu’un passeur est interpellé, qu’une filière est démantelée, il y en a une qui attend pour prendre la suite", reprend le brigadier-chef Patrice. 

Cette année, plus de 42.000 personnes ont tenté la traversée, soit 10.000 de plus que l’année dernière. Pour organiser les départs, les réseaux se sont structurés et font payer les places sur les bateaux au prix fort, entre 1500 et 5000 euros. Mohamed a déjà fait trois tentatives. Toutes ont échoué. "Une fois qu’on a payé, on peut essayer de traverser une fois, deux fois ou cent fois. Le passeur peut venir à tout moment. Ma prochaine tentative, ce sera dans quelques jours dès que la météo et la mer seront bonnes", témoigne-t-il.

39 personnes interpellées cet été

Dans un camp à Calais, plus de 500 personnes attendent leur tour. Les bénévoles de l’association Salam le savent : parmi les migrants, des membres de réseaux de passeurs sont présents. "Il y a les gens qui surveillent et puis qui font payer. Ils font payer la nuit, ils font payer la douche… Un euro le repas chaud, cinq euros la douche, trente euros pour ta famille. Et puis les gars casquent", affirme Claire Millet, secrétaire générale de l’association.

Ces petites mains servent aussi de rabatteurs. Lors de notre tournage, une berline vient se garer à proximité. Dérangée par notre présence, elle va repartir quelques minutes plus tard. Ces véhicules immatriculés en Allemagne sont la cible des forces de l’ordre. Cet été, Europol a démantelé un vaste réseau de passeurs et interpellé 39 personnes. Dans un garage, des centaines de gilets de sauvetage, des bateaux gonflables encore dans leur emballage et des moteurs ont été retrouvés. Les bateaux étaient fabriqués en Chine, puis stockés en Allemagne, avant d’être livrés en voiture à un point GPS précis quelque part le long des côtes françaises. 

Quinze millions d’euros de bénéfice en moins de deux ans

En moins de deux ans, ce réseau est soupçonné d’avoir fait passer 10.000 personnes pour un bénéfice estimé à quinze millions d’euros. Les gendarmes continuent pourtant de neutraliser ces bateaux tous les jours ou presque le long du littoral. Toujours la même marque et le même modèle. "Ils livrent du prêt à l’emploi : bateaux, moteurs, jerricans d’essence, pompes… C’est organisé, on est sur quelque chose qui est clairement de type mafieux", affirme un policier. 

Les moyens de lutte contre l’immigration illégale n’ont jamais été aussi importants. Mais les passeurs s’adaptent et osent même faire de la promotion sur Internet. Sur TikTok, des dizaines de comptes promettent, en albanais, un passage garanti et en sécurité, vidéos à l’appui. Nous décidons de contacter l’un de ces passeurs. L’homme est en Angleterre et accepte d’expliquer son rôle. "Moi, je suis passé l’été dernier avec les Kurdes. Je suis passé et je n’ai pas payé. Je leur dois de l’argent, alors je m’occupe des comptes TikTok pour eux. C’est tout ce que je fais", explique-t-il.

Depuis le début de l’année, 340 passeurs présumés ont été interpellés, soit 100 de plus que l’année dernière. 


Léa Tintillier | Reportage TF1 Baptiste Guénais, Quentin Trigodet, Emmanuelle Coppo

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