REPORTAGE - Scandale des Ehpad : comment Orpea tente de restaurer la confiance

Publié le 19 mai 2022 à 22h31
REPORTAGE - Scandale des Ehpad : comment Orpea tente de restaurer la confiance
Source : DR

La huitième rencontre des États généraux Orpea était organisée ce jeudi dans l'établissement de Boulogne-Billancourt.
Employés et résidents étaient invités à prendre la parole.
Tous ont pointé le manque de personnel pour assurer les soins et l'accompagnement nécessaires.

C'est dans une petite salle de l'établissement que rendez-vous était pris ce jeudi à la Maison de retraite Orpea-Le Corbusier de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Y étaient organisés ce jeudi la huitième rencontre des États généraux Orpea. Une cinquantaine d'autres sont prévues d'ici la mi-juin dans toute l'Île-de-France pour tenter de redorer l'image du groupe, éclaboussé par les révélations du livre Les Fossoyeurs (Fayard) de Vincent Castanet. 

Les 110 résidents de la maison de retraite y étaient conviés, mais seule une petite dizaine s'y est rendue. À leurs côtés, des proches ainsi que des personnels de l'établissement. "Il s'agit aujourd'hui de discuter du grand âge, de l'accompagnement de nos aînés", annonce l'animateur. "Peut-on tout dire ?", demande-t-il à la directrice de l'établissement. La réponse fuse : "C'est l'idée principale."

"Une proie à 3000 euros par mois"

L'événement commence par la diffusion d'un film, dans lequel les réalisateurs sont allés dans toute la France à la rencontre de 89 résidents, personnels et familles, interrogés sur divers sujets. "À la question, 'Si je vous dis Ehpad ?'", la fille d'une résidente répond :"C'est une vision qui est assez triste, avec parfois une odeur épouvantable parfois." Une autre déclare : "Quand on est là, on est une proie, une proie à 3000 euros par mois." 

Face caméra, Fabienne*, une résidente, reconnaît que "parfois, la nourriture n'est pas bonne". Une autre critique les ordres, notamment quand il faut aller diner à des heures strictes. "J'aime pas trop le côté militaire." Rania, elle, apprécie que le personnel soit aux petits soins. Une aide-soignante soupire contre le timing serré de ses journées de travail. "Le côté humain va manquer, j'ai 20 minutes pour laver un patient", détaille-t-elle. Dans le film toujours, Émilie, une autre résidente, confie d'ailleurs que, depuis son fauteuil, elle "voit des veilleuses de nuit s'écrouler", épuisées. 

La séquence, plutôt courte, s'achève par une question à un jeune Marseillais : "Quel conseil pour les dirigeants d'Orpea ?" Il rétorque : "Faire ce que vous feriez pour vos propres parents."

"Quand il y a des jeunes ici, ça revit"

Interrogés après la projection, les résidents, leurs enfants ou les employés prennent tour à tour la parole. Une femme qui s'occupe de plusieurs d'entre eux regrette d'emblée le manque de temps à consacrer aux personnes âgées, notamment les animations. Elle déplore aussi le manque d'échange. "On a un temps chrono. Est-ce qu'Orpea peut embaucher ?" Selon elle, le moral est d'ailleurs bien meilleur quand des stagiaires viennent prêter main forte au personnel. "Quand il y a des jeunes ici, ça revit. Surtout le week-end, sinon, parfois, c'est mort." 

Le film "dit bien ce qu'il se passe dans chaque établissement", embraye une résidente, qui regrette pour sa part un défaut d'organisation ou d'information. "Hier, il y avait des ouvriers dans la chambre, on ne me l'avait pas dit." Denise, 86 ans, pointe, elle, "des repas pas toujours adaptés la situation". "Hier, il faisait très chaud, on nous a servi du couscous. Pourquoi ? Je ne sais pas. Est-ce une question d'économie ? Un plat de semoule, ça coûte pas cher." Sa voisine poursuit, évoquant des aliments parfois difficiles à manger quand on est handicapé. "Les pâtes, tout le monde aime, mais ici on a des spaghettis d'une longueur interminable !"  

"Des petites mamies qui errent dans les couloirs"

La fille d'une résidente indique que sa maman est arrivée ici en janvier dernier, qu'elle a aimé le côté "cocon" des lieux. Elle insiste sur le fait que toutes les maisons sont différentes au sein d'un même groupe et qu'elle est plutôt satisfaite de celle-ci. Mais relève toutefois un problème majeur, "le manque de personnel". "Entre 19h30 et 20h30, il n'y a personne dans les couloirs. Et il y a des petites mamies qui errent, qui cherchent, qui ne savent pas trop où est leur chambre. Il y a une jonction qui ne se fait pas entre la fin de l'équipe de jour et le début de l'équipe de nuit. Il faut que l'État investisse."

Me Sarah Saldmann, avocate de victimes de maltraitance dans les maisons de retraite Orpea en France qui a déposé 80 plaintes était présente à ce rendez-vous. "J'ai un petit peu l'impression qu'on est face à une pièce de théâtre savamment répétée. Je me fais le porte-voix de certaines familles, pas toutes. Celles qui viennent vers moi sont celles qui ne sont pas satisfaites. Parmi les griefs qui sont à votre encontre, notamment la déshydratation, l'alimentation en quantité insuffisante et de mauvaise qualité... Ici, les familles paient des sommes astronomiques. Vous avez aussi des subventions publiques. Quand on prend ces deux variables, on s'attend au Ritz !"

"Aujourd'hui, tout passe par Internet"

L'avocate pointe aussi le manque de sortie. "Les gens disent qu'ils sont souvent enfermés dans leur chambre et quand ils sonnent, personne ne vient. Vous avez vu le livre qui est sorti. Quelles sont alors les mesures qui ont été prises depuis ?", demande-t-elle, rappelant que quatre mois se sont écoulés depuis la sortie de l'ouvrage. L'animateur ne répond pas directement mais rappelle que le but des États généraux est justement de faire une concertation pour apporter des solutions. "Pourquoi ne pas le faire dès maintenant", insiste-t-elle. "J'ai quand même l'impression qu'ici, on manque vraiment de personnel." 

La fille d'une résidente le confirmera peu après. "Ma mère ne veut prendre qu'une douche par semaine, c'est son choix. Mais quand elle demande à la prendre, on lui dit 'On va venir, on va venir'." Sauf que rien ne se passe. Elle parle aussi de médicaments qui manquent, "un sujet crucial quand un résident à un traitement à suivre". 

Orpea assure que tout est fait pour que chacun soit reçu au mieux dans cette résidence à l'aspect et à la propreté irréprochable de prime abord. "Des étudiants viennent, il y a des sorties dans les crèches. Et une plateforme numérique, accessible via un QR code, a été mis en place pour que les résidents et leur famille fassent leur suggestion", souligne la direction. Un "problème", estime Denise, 86 ans : "Aujourd'hui, tout passe par Internet. S'il y a des jeunes autour de vous, ils peuvent s'en charger. Ceux qui n'ont personne, je ne sais pas comment ils font. C'est un peu tard pour mettre les résidents dans le numérique, Avec ce que je vois autour de moi, ça ne me paraît pas réaliste..."

Le week-end prochain, les 20 et 21 mai, environ 450 maisons de retraite ouvriront leurs portes au public, à l'initiative du Synerpa, le principal syndicat des Ehpad privés. Objectif : faire preuve de plus de transparence dans ce secteur secoué par l'affaire Orpea. Une opération pour laquelle le groupe mis en cause a inscrit quelques établissements, mais pas celui de Boulogne-Billancourt.

*Les prénoms ont été modifiés


Aurélie SARROT

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