EXCLU TF1/LCI - "Oublier, c'est impossible" : le policier qui a neutralisé l’assassin de Samuel Paty témoigne

Virginie Fauroux avec Thibault Malandrin
Publié le 23 juin 2021 à 9h44, mis à jour le 23 juin 2021 à 10h03

Source : TF1 Info

INTERVIEW - Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, enseignant de 47 ans, était décapité près de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Huit mois après les faits, l'un des policiers qui a neutralisé le tueur se confie pour la première fois.

"Oublier, c'est impossible". Huit mois se sont écoulés depuis la funeste fin de journée du 16 octobre 2020, quand un enseignant, Samuel Paty, a été froidement décapité aux abords de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Pour Jimmy*, jeune policier appelé en renfort, cette image restera à jamais indélébile. "Je pense tout de suite à un élève parce qu'on est à côté du collège. Le professeur qui est au sol a un sac à dos et je ne me suis pas concentré énormément sur la tête décapitée. Je suis restée vraiment sur le corps. C'était une scène choquante. On avait même l'impression que ce n'était pas réel", raconte, dans la vidéo du 20H de TF1 en tête de cet article, celui qui était alors âgé de 29 ans.

C'est la première fois qu'il se confie devant une caméra. Cette scène dont chaque minute est gravée dans sa mémoire, il ne l'avait jusqu'alors partagée qu'avec ses collègues d'infortune et des psychologues. Comment peut-on vivre avec cette image-là ? "On n'y arrive pas. C'est compliqué de vivre avec", confie-t-il. "On ne pourra pas tourner cette page. Elle sera toujours en nous".

Il commence à courir dans ma direction en tentant de me poignarder. Je tire le premier ; le collègue qui est à mes côtés tire aussi. Malgré nos impacts, celui-ci continue d'avancer dans notre direction.
Jimmy, policier

Tout policier redoute de connaître un jour ou l'autre ce genre d'intervention. En cette fin d'après-midi, quand Jimmy et six de ses collègues arrivent sur les lieux, ils comprennent tout de suite que quelque chose hors du commun est en train de se passer : le ballet des voitures de police, un homme au sol, et surtout un individu armé qui s'est enfui dans la rue mettant en danger les riverains. Il faut agir et vite. Quand soudain, quelques mètres plus loin, un homme leur fait face au bout de la rue. C'est Abdoullakh Anzorov, l'individu qui vient de décapiter Samuel Paty. Un couteau dans une main, une arme de poing - qui s'avérera plus tard être un pistolet à bille - dans l'autre. 

Jimmy est en première ligne. Il se souvient : "Il commence à courir dans ma direction en tentant de me poignarder. Je tire le premier ; le collègue qui est à mes côtés tire aussi. Malgré nos impacts, celui-ci continue d'avancer dans notre direction. Un troisième collègue, spécialisé dans les tirs à distance, fait feu aussi. L'homme tombe au sol à un mètre de moi à peu près. À un moment, je pensais vraiment qu'il allait réussir à me toucher. Du coup, je vais sur lui. Il est au sol. Je pensais qu'il était décédé avec toutes les cartouches qu'il avait reçues", détaille-t-il. 

Avant de poursuivre : "J'ai le temps de récupérer l'arme, mais au moment où je vais pour prendre le couteau, celui-ci le récupère avant moi et tente de me mettre des coups de couteau au niveau des jambes. J'ai tout juste le temps de m'écarter de celui-ci, de retirer. Le collègue qui est à mes côtés retire aussi. Au bout de quelques secondes, on se rend compte que l'assaillant ne bouge plus du tout. C'est fini".

Jimmy et la plupart de ses collègues ont changé de commissariat

Aussitôt mis de côté par des policiers de la BAC arrivés pour les relayer, Jimmy et ses collègues seront entendus quelques heures plus tard par des psychologues. Il faut évacuer le trop-plein d'émotions. "J'ai un collègue qui s'est pris la tête à deux mains en pensant qu'on avait fait une connerie. Moi j'étais persuadé qu'on était dans notre bon droit avec tout ce qu'on venait de traverser : le professeur décapité, l'homme qui nous fonce dessus avec son couteau en voulant nous tuer", se souvient-il.

Heureusement, l'unité est solidaire. Depuis octobre 2020, ces sept policiers prennent soin les uns des autres, s'appelant régulièrement. "On ne peut pas être entraîné pour ça. On a l'habitude de tirer plusieurs fois dans l'année, mais c'est sur une cible. Là, on a abattu quelqu'un. On lui a ôté la vie", dit-il, même s'il admet qu'il fallait neutraliser le terroriste. "Il y a tellement malheureusement de collègues qui se suicident. Moi, j'avais la boule au ventre de me réveiller un matin en me disant qu'il y avait peut-être un collègue qui allait se suicider suite à cette intervention", poursuit-il.

Après cet épisode douloureux et plusieurs menaces de mort, Jimmy a demandé à être muté dans le Var, tandis que la plupart de ses collègues ont quitté le commissariat de Conflans-Sainte-Honorine. "J'ai eu la chance en arrivant ici d'être entendu par le commissaire Garcin. Je lui ai expliqué que suite à cette intervention, je suis toujours suivi par des médecins, des psychiatres et des psychologues. Mes nuits sont difficiles. Je ne peux pas retrouver un rythme aussi compliqué que les collègues", explique-t-il.

Aujourd'hui, Jimmy qui est par ailleurs délégué syndical Alliance, a des horaires adaptés et convient que psychologiquement, il sera toujours un peu plus fragile qu'avant. Mais il n'envisage pas de changer de métier. "Jamais. Je ne veux rien faire d'autre", insiste-t-il. "Je suis rentré dans la police parce que c'est un métier que j'aime. J'ai des mots difficiles, des phrases dures quand je dis à ma femme que pour moi ce métier va me tuer, mais quand on aime ce métier"... Jimmy s'arrête, la gorge nouée. Puis, il se ressaisit et conclut : "Malgré des événements comme celui-ci, je pense qu'il faut des policiers qui soient aimés. Juste nous dire : 'merci pour ce que vous faites', c'est pas grand-chose, mais rien que de l'entendre, ça vous fait une petite récompense".

* Le prénom a été modifié


Virginie Fauroux avec Thibault Malandrin

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