Sept à Huit Life

VIDÉO - Féminicide de Nathalie à Lille : un meurtre annoncé qui aurait pu être évité ?

par LA.D. | Reportage "Sept à Huit" : Christophe Dubois et ses équipes
Publié le 23 avril 2023 à 23h40, mis à jour le 23 avril 2023 à 23h52
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Source : Sept à huit life

Le 27 mai 2019, Nathalie Debaillie est tuée à l'arme blanche par son ex-compagnon à Lille.
La mère de famille avait pourtant déposé plusieurs mains courantes et porté plainte, sans succès.
Les équipes de "Sept à Huit Life" ont enquêté sur cette affaire, sur fond de défaillances de la police lilloise.

Un meurtre planifié

Nathalie Debaillie était cadre supérieur pour la Société Générale. Divorcée en 2010, elle a rencontré Jérôme Tonneau en 2016 sur Internet. Ce père de deux enfants gérait alors des laveries dans la région lilloise. Progressivement, l'homme de 53 ans s'est imposé dans la vie de Nathalie. Il a initié d'importants travaux d'aménagements dans la maison de la mère de famille. Mais un jour, Nathalie découvre une facette troublante de son compagnon ultraprésent. "La police débarque chez elle pour une histoire de faux car-jacking que Jérôme avait essayé de simuler pour toucher l'argent de l'assurance. Ma sœur ne comprend pas ce qui se passe. [...]  Ma sœur était quelqu'un de très carrée, très droite et elle n'avait jamais rien fait d'illégal. Donc c'était quelque chose qui lui échappait, qui lui faisait peur. Elle ne le supportait pas", raconte le frère de Nathalie.

La mère de famille essaie alors de se séparer de Jérôme Tonneau, qui cherche à imposer sa présence coûte que coûte. Deux ans après leur rencontre, Nathalie décide de couper les ponts définitivement avec Jérôme Tonneau. Mais dès février 2019, son ex-conjoint menace Nathalie et sa famille. Son frère nous le raconte : Jérôme "a dit directement : 'De toute façon, je viendrai te voir et je passerai par le jardin". Et là, il se met à harceler tout l'entourage de ma sœur, moi y compris. Il se met à nous appeler, à dire que c'est une victime et que ma sœur n'a pas le doit de l'abandonner".

Il a dit à ses amis qu'il me mettrait bien dans un coffre de voiture pour me mettre un coup de pression. [...] Il dit vouloir me buter et se procurer une arme.

Plainte de Nathalie Debaillie

Inquiète, Nathalie Debaillie dépose alors le 11 février 2019 une première main courante pour harcèlement au commissariat de Marcq-en-Barœul. Moins d'un mois plus tard, elle redépose une deuxième main courante dans le même commissariat. Elle y déclarera : "Mon ex-compagnon a pénétré au sein du parking de ma société. Il m'a suivie jusqu'aux ascenseurs. Il voulait y entrer. Je l'ai poussée de la main." Les menaces se poursuivent via des SMS et photos violentes. En mars, elle portera finalement plainte au commissariat de Lille pour menaces de mort réitérées grâce aux confidences d'un ami de Jérôme Tonneau. 

Dans son procès-verbal, Nathalie Debaillie dévoile les propos rapportés de Jérôme Tonneau. "Il a dit à ses amis qu'il me mettrait bien dans un coffre de voiture pour me mettre un coup de pression. Il a dit qu'il allait rôder autour de chez moi avec des intentions pas louables. Il dit vouloir me buter et se procurer une arme. Ça se terminera comme ça. Cela m'inquiète. J'aimerais qu'il y ait des patrouilles de police de Marcq-en-Barœul ou de Lille qui fassent des rondes autour de chez moi." 

Tuée cinq jours après sa dernière main courante

Lorsque Nathalie Debaillie a déposé plainte, son amie Cindy l'avait accompagnée. Selon elle, le policier aurait dit à Nathalie : "'Rassurez-vous, c'est un escroc. Un escroc, ça ne passe pas à l'acte. Faites attention, mais bon, vous ne risquez pas grand-chose quoi'". Suite à cette plainte, la police conclut dans son rapport que : "L'importance du préjudice subi par la victime en raison de la gravité et des circonstances de l'infraction est de l'ordre du néant. Aucune mesure de protection n'est à mettre en œuvre". Jérôme Tonneau ne sera pas convoqué pour s'expliquer. C'est au contraire Nathalie qui sera entendue par la police suite à la plainte pour vol de téléphone déposée par son ex-compagnon. Mis hors de cause, Nathalie déposera une nouvelle main courante. Il s'agira de sa troisième en trois mois, cinq jours avant sa mort.

Le 27 mai 2019, Nathalie Debaillie est enlevée à bord d'un utilitaire sur le parking de la banque où elle travaillait à Lille. Trois hommes, dont Jérôme Tonneau la ligotent, la bâillonnent et l'emmène dans l'appartement de ce dernier. Après avoir payé ses complices, son ex-compagnon mutilera et égorgera Nathalie dans une baignoire à l'aide d'un cutter. Près de quatre heures après son enlèvement, la police découvrira le corps de Nathalie Debaillie. Quarante heures plus tard, Jérôme Tonneau sera placé en garde à vue où il reconnaitra les faits. Ses complices présumés, membres de la communauté rom, seront également interpellés. 

Un dysfonctionnement policier

L'enquête sur le féminicide de Nathalie Debaillie montrera que Jérôme Tonneau planifiait bien l'assassinat de son ex-compagne depuis plusieurs mois. Des tentatives de meurtres seront même identifiées. Face à ces éléments à charge, les proches de Nathalie estiment que la police a failli. Et cela également le jour de son assassinat. Selon l'avocate de la famille, les policiers n'auraient pas agi assez rapidement après avoir été alertés de l'enlèvement. 

Les policiers "vont aller une demi-heure plus tard sur le lieu de l'enlèvement, où il n'y plus personne. Puis, de fil en aiguille, ils vont aller à 10h30, quasiment deux heures après l'enlèvement, devant l'appartement de Tonneau. Nous avons effectué une reconstitution et nous savons qu'à 10h30, Nathalie était vraisemblablement décédée. Mais par contre, si des policiers s'étaient immédiatement rendus au domicile de Monsieur Tonneau, on peut imaginer qu'elle aurait été sauvée", soutient maitre Isabelle Steyer. Une enquête administrative de l'IGPN, la police des polices, a conclu que les policiers lillois avaient agi avec professionnalisme et rapidité. Cette autorité a tout de même jugé qu'un service plus aguerri aurait dû être saisi dès le début de l'enlèvement.

Évidemment, si [la police] l'avait convoqué, il aurait probablement arrêté

Frère de Nathalie

La famille de la victime cherche également à savoir pourquoi la plainte déposée par Nathalie Debaillie n'a eu aucun effet. Elle aurait dû être transmise au procureur, mais cela n'a pas été le cas d'après la confirmation obtenue auprès du parquet. En conséquence, aucune poursuite n'a été engagée et Jérôme Tonneau n'a jamais été convoqué malgré les menaces de mort.

"Évidemment, si [la police] l'avait convoqué, il aurait probablement arrêté. Mais là, plus il menace, plus il fait monter la pression, moins il se passe de choses. Donc en fait, il a un sentiment d'impunité qui s'est installé et qui le conduit à penser qu'il peut tout faire", analyse le frère de Nathalie. Sur cette non-transmission au procureur, une autre enquête de l'IGPN a conclu à des manquements déontologiques et professionnels au sein du commissariat de Lille.

Des sanctions auraient été prises. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin l'avait confirmé en février 2022 à l'occasion d'un déplacement dans le Nord de la France. "Il y a eu des sanctions. Des sanctions pour le policier qui a pris la plainte et pour la commandante de l'époque. Donc il y a eu des conséquences et en même temps une réorganisation totale de la brigade en ce qui concerne les violences familiales et conjugales à Lille", a-t-il affirmé. Le ministère de l'Intérieur a indiqué à "Sept à Huit Life" que les deux policiers concernés avaient reçu un blâme ou un avertissement, c'est-à-dire, les sanctions les plus faibles. La famille de Nathalie Debaillie entend de son côté engager la responsabilité de l'État. Cette procédure pourrait déboucher sur une indemnisation pour faute lourde.

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Pour Isabelle Steyer, l'avocate de la famille de Nathalie Debaillie : "Tous les systèmes ont été défaillants, à tous les niveaux de l'enquête, de façon évidente et flagrante. On ne peut pas laisser un État qui vient nous dire qu'il fait tout pour les femmes victimes de violences conjugales, et en même temps qu'il ne se passe rien. Que lorsqu'une femme vient décrire ce qu'elle subit dans un commissariat, qu'on la laisse juste repartir".  L'instruction du féminicide de Nathalie Debaillie est achevée. Le procès de Jérôme Tonneau et de ses complices-présumés devrait se tenir d'ici un an.


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