Le procès de Monique Olivier s’ouvre le 27 novembre prochain devant les assises des Hauts-de-Seine.L’ex-compagne de Michel Fourniret fera-t-elle de nouvelles révélations dans les affaires Estelle Mouzin, Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish ?Ceux qui l’ont rencontrée témoignent face aux caméras de "Sept à Huit" pour nous aider à cerner qui elle est vraiment.
Quand Sept à Huit le rencontre en février 2018, cela fait 30 ans que Claude Domèce espère retrouver la dépouille de sa fille Marie-Angèle, l’une des premières victimes de Michel Fourniret, en 1988. Le tueur en série n’a jamais révélé où se trouve son corps. "Quel que soit l’état dans lequel elle se trouve, je veux savoir où elle est. C’est devenu une obsession, qui ne me quittera pas. Mais comme je suis vieux, je ne sais pas si je verrai le bout. Ça m’embête." Le père de l’adolescente est mort ce samedi, à 94 ans. Il n’assistera pas au procès de Monique Olivier, l’ex-femme de l'assassin, qui s’ouvre ce 27 novembre. La seule qui peut encore faire des révélations, deux ans après le décès du tueur.
Mais le mystère demeure quant à sa personnalité et au rôle qu’elle a pu tenir. Pour certains, c’est une manipulatrice qui a utilisé Michel Fourniret afin d’assouvir ses propres fantasmes. Pour d’autres, elle est une femme soumise et sous emprise, qui craignait pour sa vie. Si elle ne l’avait jamais rencontré, aurait-elle eu le même parcours ? Dans l'enquête vidéo à retrouver en tête de cet article, Sept à Huit retrace la vie de cette femme de 75 ans, pour tenter de comprendre qui est celle que la justice s’apprête à juger pour trois cold cases (affaires non élucidées) supplémentaires : complicité d'enlèvement d'Estelle Mouzin (en 2003), meurtres et viols de Marie-Angèle Domèce (1988) et Joanna Parrish (1990).
"Monique Olivier naît dans une famille sans histoires, les gens autour d’elle n’ont pas d’histoires, elle a une scolarité sans histoires. Elle n’a aucun élément marquant à mettre en avant. Elle dit que son père et ses frères ne l’ont jamais vraiment aimée, que personne ne remarque si elle est là ou non. Elle considère que personne ne peut s’intéresser à elle", dépeint Richard Delgenes, son avocat.
Une "bouée de sauvetage"
En 1987, à 38 ans, elle vient de se séparer de son deuxième mari violent et de perdre la garde de ses deux enfants, quand elle tombe, alors qu’elle officie en tant que garde-malade dans le sud de la France, sur une petite annonce dans le journal Le Pèlerin : "Prisonnier aimerait correspondre avec personne de tout âge pour oublier solitude." Et décide d’y répondre. Elle confiera plus tard : "Je suis paumée, coupée de tout, le désert complet. Pour moi, Fourniret est alors une bouée de sauvetage."
Débute un échange épistolaire avec un inconnu. L’expert psychologue Gauthier Pirson a lu l’intégralité des 700 pages manuscrites de leur correspondance. "Elle va lui écrire pratiquement tous les jours, pour reconstruire un sentiment de relation et de vie sociale", décrypte-t-il. Au bout de deux mois, sans s’être jamais rencontrés, ils s’avouent leur amour par écrit. Surtout, Michel Fourniret confesse les raisons de son incarcération : sept ans de détention pour une dizaine d’agressions sexuelles et un viol. "J’étais au courant qu’il avait commis des délits sexuels mais dans ma tête, s’il avait purgé sa peine, il ne recommencerait pas", affirmera-t-elle plusieurs années plus tard devant les enquêteurs.
"Et peu à peu, ça va dériver. Il va l’interroger sur sa vie. Elle va lui raconter ses mariages mais ce qui l’intéresse, c’est la perte de sa virginité. Pour lui, la virginité représente la pureté. Et elle, au lieu de prendre peur, elle va aller dans son sens", étaye Alain Behr, l’avocat des parties civiles. "Tu sais que j’aimerais bien la chaîne que tu me proposes. C’est pas donné tous les jours d’être enchaînée à un fauve", écrit alors Monique Olivier dans une de ses lettres.
J’avais accepté de laisser Michel prendre son plaisir, quitte à sacrifier des gamines.
Monique Olivier
Gauthier Pirson est le premier à l’avoir jamais expertisée : "Il y a trois phases dans les écrits, détaille-t-il. La première, c’est une phase de séduction de la part de Michel Fourniret. Il va le faire d’une manière subtile, progressivement, en allant la chercher sur son terrain de la carence affective. La deuxième est une phase de culpabilisation. Il juge sa sexualité impure et menace de rompre le lien, alors qu’elle est déjà complètement séduite. Enfin, il fera valoir tous ses fantasmes auprès d’elle. Parce qu’elle est dans la toile et n’en sortira plus."
Francis Nachbar, procureur de la République de Charleville-Mézières de 2003 à 2009, l'a lu aussi : "Alors même qu’ils ne se sont jamais vus, il y a un pacte criminel qui est scellé dès le début, Fourniret s’engageant à tuer les deux premiers maris de Monique Olivier et celle-ci s’engageant en retour à lui trouver des ‘MSP’, des membranes sur pattes, c’est-à-dire des jeunes filles qu’il enlèvera, qu’il violera et qu’il tuera." Le 22 octobre 1987, elle l’attend sur le parking de Fleury-Mérogis.
"J’avais accepté de laisser Michel prendre son plaisir là où il se trouvait, quitte à sacrifier des gamines. Il recherchait une jeune fille qui me ressemblait, comme si c’était moi qui lui donnais ma virginité. Il avait repéré Isabelle (Laville). Il m’a dit qu’elle pourrait faire l’affaire", avouera-t-elle au cours d'un interrogatoire.
"Ils s’amusaient bien"
Lors de ce crime initiatique, c’est Monique Olivier qui, en voiture, demande à la jeune fille sa direction, en sachant que c’est la même que la sienne, avant de faire monter Michel Fourniret 200 mètres plus loin. C’est encore elle qui, tout en conduisant, drogue Isabelle Laville, au moyen de plusieurs dizaines de cachets, tandis que son compagnon la ligote. C’est aussi elle qui est chargée de vérifier la virginité de la jeune fille, puis qui administre une fellation à Michel Fourniret lorsque celui-ci est victime d’une panne sexuelle, au moment du viol. Tous deux finiront par jeter le corps dans un puits.
Pour Alain Behr, "une fois ce crime commis dans l’impunité la plus totale, ils n’ont plus de raison de s’arrêter". Le couple sévira pendant seize ans entre la France et la Belgique, sans éveiller le moindre soupçon. En 1989, ils se marient, ont un fils, Selim, et quittent la Bourgogne pour les Ardennes, avant de passer la frontière quelques années plus tard, se fondant toujours dans leur environnement. "Ils s’amusaient bien", témoigne une voisine qui les a invités à la communion de son fils.
Tout bascule en 2003, quand Michel Fourniret est arrêté pour une tentative d’enlèvement qui a échoué. Très vite, les enquêteurs font le lien avec d’autres disparitions de jeunes filles et entreprennent, faute de n’avoir rien pu obtenir de lui, de se concentrer sur son épouse. Ils la convoquent tous les deux jours pendant un an. "À cette période, elle se retrouve seule avec son fils. Et elle reprend une vie un peu différente, sans la pression permanente de Fourniret. Elle m’explique qu’elle va au cinéma, qu’elle peut se servir de l’ordinateur alors qu’avant elle n’avait pas le droit… Et comme elle sait que Fourniret va bientôt sortir, c'est là qu'elle le dénonce, mais sans s’auto-incriminer. Lui ne le voit pas venir. Il est foudroyé. Il reste alors en prison, sans rien dire", raconte l’avocat de Monique Olivier.
Cette dernière justifie son silence "par la peur d’être considérée comme sa complice" et accuse son mari d’avoir assassiné "au moins" cinq jeunes filles. Sept ans après l’affaire du pédophile Marc Dutroux, la Belgique découvre, effarée, le visage d’un nouveau tueur en série. En 2004, Monique Olivier, condamnée pour sa complicité dans les cinq meurtres de son mari, est incarcérée à son tour.
"Entre fêlés on se comprend"
Durant les interrogatoires, elle fait des aveux glaçants, reconnaissant par exemple avoir utilisé sa grossesse puis son nouveau-né pour amadouer les victimes, ou avoir pratiqué des toilettes intimes sur celles-ci avant de les livrer à Michel Fourniret. Serait-elle plus que la complice du tueur en série ? "Tu vois, moi aussi j’ai la tête un peu fêlée, ce qui prouve qu’entre fêlés on se comprend", lui a-t-elle notamment écrit dans une lettre.
"Elle est totalement froide et indifférente. Elle est beaucoup plus que cynique, elle est inhumaine. Pendant les dix heures de fouilles qui ont permis de découvrir les deux premiers corps, je l’ai vue ne pas montrer le moindre signe d’empathie, la moindre émotion, alors que nous étions tous blêmes, livides. Mais à la fin de la journée, je l’ai trouvée en larmes, pour me dire qu’elle était aussi la victime de Fourniret. En fait, elle pleurait sur elle-même", témoigne le procureur Nachbar.
Devant les enquêteurs, Monique Olivier affirme être "tombée dans un piège" : "J’avais peur qu’il fasse pareil avec moi." Ce qui fait dire au procureur qu'"elle leur a donné le rôle d’une femme terrorisée par Fourniret, qui vit sous sa coupe, sous sa dépendance, totalement dominée par lui, sans avoir son mot à dire." Gauthier Pirson : "Ce qui frappe quand on parle avec elle, c’est surtout une grande peur. Toujours peur de mal faire ou mal dire les choses. Toujours tendance à s’excuser. Malgré sa grande taille, elle paraît toute fragile, jamais à son aise." Ses différents tests de quotient intellectuel varient grandement, un coup dans une norme basse, en Belgique, un autre la faisant passer, aux yeux des enquêteurs, pour une surdouée, après son extradition en France… De quoi rendre impossible toute conclusion définitive.
Le tigre et le dompteur
"Moi, j’ai dit que c’est Monique Olivier qui lui a donné son permis de tuer, croit pourtant savoir l’expert Jean-Luc Ployé, lui aussi mandaté pour essayer de cerner sa personnalité. Parce qu’avant de la rencontrer, il n’avait jamais tué. Lui, il met en scène, et elle s’exécute, mais pas comme un objet soumis à ses fantasmes. Elle y a largement participé. Quand je la rencontre, elle me dit que se faire violer, on n’en meurt pas…"
Michel Fourniret, lui, la qualifie de "grande toute molle", laissant entendre que jamais elle ne se serait permis de lui dire quoi faire. "Pour lui, c’est un ustensile comme un autre", assure l’avocat de Monique Olivier, qui a interrogé le tueur à son sujet. Lors des dernières années de la vie du tueur en série, son ex-compagne, incarcérée dans une autre prison, refuse pourtant toutes ses lettres. En 2010, elle demande le divorce. Et lors d’une ultime reconstitution, elle l’engueule en public. "Je l’ai entendue hurler. Elle n’avait rien d’une femme soumise qui aurait peur", décrit un témoin de la scène.
Pour Alain Behr, "c’est elle qui tire un peu les fils, pour que lui se déchaîne". Puis l’avocat des parties civiles de conclure : "Elle l’appelle ‘mon Shere Kahn’ dans leur correspondance. Ce n’est pas anodin. C’est le nom du tigre sanguinaire dans Le livre de la jungle. Le tigre, c’est lui. Le dompteur, c’est elle. Mais est-ce que le tigre va bouffer le dompteur, ou est-ce le dompteur qui va réussir à maintenir le tigre ? C’est ça, la véritable question de ce dossier."